Chapitre 3


Les minutes passent si lentement que je me demande si l'horloge de la salle d'attente est déréglée. On m'a donné un sandwich auquel je n'ai pas touché, le souvenir de l'odeur des cuisines étant encore trop présent dans mon esprit. Mais lorsque l'infirmière revient et qu'elle voit que je n'ai pas mangé, elle s'installe sur un siège pour vérifier que je ne me laisse pas mourir de faim. J'avale alors en trois bouchés le mélange insipide de pain et de jambon qu'ils ont le culot d'appeler repas. Je comprends maintenant les plaintes de mon père au sujet de la cafétéria. A l'occasion, je lui préparerais un repas d'avance pour le midi. La journée me semble extrêmement longue. Je n'ai plus ni peur, ni appréhension, mais juste envie d'en finir.

Je sais qu'il me reste les tests physiques puis ceux concernant les réflexes et la rapidité de réflexion. Nous étions entrainés pour cela à l'école, et j'avais de très bons résultats. Je me demande comment s'en sort Rune. En fait, je me demande même comment tout le monde s'en sort. Je n'ai aucune idée d'où les autres peuvent bien être. Je veux bien admettre que le bâtiment a l'air grand mais je doute qu'il soit réellement assez grand pour nous garder un par un. Il faudrait qu'il y ait plus de quatre cent salles et au moins autant de bureaux.

Soudain, la porte s'ouvre sur un sergent de la milice. Je reconnais tout de suite l'uniforme kaki et noir. Il est extrêmement massif, avec le crâne complètement nu et de grands yeux bruns.

-Faustine James ?

-Oui ? je réponds en me levant.

Il me balance un sac plastique rempli de vêtements que j'attrape sans difficulté mais avec surprise.

- Change-toi. Je reviens dans 3 minutes.

Et il claque la porte. C'est direct au moins. Je me change en quelques minutes dès que l'infirmière est sortie mais je suis gênée de savoir qu'une caméra continue de filmer. Je suis maintenant vêtue d'un large pantalon kaki, d'un débardeur noir et de chaussures de randonnée. Il y a également un sifflet au fond du sac que je passe autour du cou.

Je peux enfin enlever ma coiffure et ébouriffer mes cheveux pour les tresser à ma guise. Je m'assure qu'aucune mèche ne pourra sortir de ma natte durant les exercices physiques et me rassoie.

Dans l'attente, mon pouls s'accélère. Je me demande ce qui me rend si anxieuse alors que ce test est probablement le plus simple de tous, en particulier pour moi. Quelques secondes plus tard, il entre à nouveau dans la pièce, m'examine de haut en bas, acquiesce silencieusement en notant quelque chose sur son rapport et me fais signe de le suivre. Naturellement, je m'exécute et j'essaie ensuite de me maintenir à sa hauteur pendant que nous marchons. C'est déjà plus facile sans ces stupides escarpins. Je me sens beaucoup mieux dans cette tenue. Nous arrivons bientôt dans un gymnase rempli de tapis, de poutres, de murs d'escalade, de machines d'entrainement. Et je ne suis pas seule, ce qui attire immédiatement mon attention. Trois garçons sont déjà en pratique dans la salle et ce n'est pas franchement glorieux. J'espère pour eux que le reste de la Révélation a été plus probante.

-Bien, commence le militaire. Vous allez commencer par vous mettre sur le tapis roulant là-bas. Combien de temps pensez-vous pouvoir tenir à la course à pied ?

Je hausse les épaules et passe devant lui pour monter sur le tapis roulant. Autant en finir au plus vite.

-On verra bien je suppose, soupire t-il en notant autre chose sur son rapport.

Le sergent m'observe à peine une minute avant de retourner voir les autres garçons. Je n'aime pas courir mais c'est un moyen idéal pour évacuer le stress de la journée. Et aujourd'hui, j'en ai vraiment besoin.

Une bonne demi-heure plus tard, je suis toujours là à tenir le rythme, non sans quelques difficultés à respirer. J'espère que le sergent ne m'a pas oublié. Je commence à fatiguer et je ne suis pas sûre que mes jambes survivront aux tests qui vont suivre s'il ne me libère pas bientôt. Je pourrais descendre de la machine, mais je refuse de capituler.

-James !

J'observe le sergent me faire signe de le rejoindre, un peu agacée d'être appelée par mon nom de famille. C'est une mode que je trouve franchement exaspérante.

Avec soulagement, je descends du tapis roulant et le rejoins en quelques enjambées. Il me propose une bouteille d'eau sur laquelle je me jette avidement, en oubliant un instant les caméras.

-James, je tiens à te dire bravo pour ta performance.

-Vous m'aviez oublié, avouez, je lui lance entre deux gorgées, mon menton ruisselant d'eau.

Il émet un petit rire en haussant les épaules.

-Prête pour l'escalade ?

J'acquiesce à contrecœur. Je ne sens plus mes jambes. Mais il faut que je tienne le coup.

-Tu vas devoir parcourir cette zone en revenant au point de départ ici. Fais-le autant de fois que tu t'en sentiras capable.

Il faut d'abord grimper un mur en pente sans accroche, se tenir en équilibre au bout pour sauter sur une échelle mise en hauteur et à l'horizontal. Après avoir traversé l'échelle à l'aide de ses bras, il faut sauter au sol en roulant, avant de ramper sous un amas de tapis. Ensuite seulement, je pourrais accéder au mur d'escalade. Ce que je trouve très ironique. Après l'avoir monté d'un côté et redescendu de l'autre, il me faudrait encore monter sur une poutre pour sauter sur une corde qui me ferait m'agripper à un autre mur d'escalade. Une descente le long d'un poteau en fer conclurait le tour. Bref, un enfer.

Je ne prends pas le temps de me poser de questions et me lance dans le parcours au coup de sifflet. Le mur en pente me fatigue immédiatement car même avec les crampons des chaussures, les pieds glissent sur le métal et chaque centimètre gagné est systématique perdu le pas d'après. Je finis par me laisser glisser au sol. Cette méthode ne fonctionne pas et je ne fais que m'essouffler. Je dois trouver un autre moyen de monter.

Je note d'un rapide coup d'œil le regard exaspéré du sergent. Je peux le faire. Je sais que j'en suis capable.

En prenant de l'élan, je me lance sur la pente et réussis à atteindre le haut en trois pas rapide. Sans attendre, je me lance dans les airs et attrape une branche de l'échelle. En me balançant légèrement, je réussis à attraper une branche et encore une autre. Malgré la douleur que cela provoque dans mes articulations et mes mains, je poursuis. Arrivée à la dernière branche, je saute en effectuant mon plus beau roulage au sol sur le tapis mou, puis glisse sous d'autres tapis en rampant.

Le reste de l'épreuve se déroule sans trop de difficultés. Ramper, sauter, escalader et s'accrocher à une corde ne me pose pas d'autres problèmes que la fatigue accumulée sur le tapis roulant. Je continue à refaire le parcours jusqu'à ce que le sergent me rappelle enfin.

-James, c'est bon. Viens ici.

Je prends une minute pour respirer et le rejoins en marchant. Il m'attend avec une autre bouteille d'eau et je lui en suis terriblement reconnaissante. Il attend que j'ai finis de tout boire pour me faire asseoir à côté de lui sur un tapis. Je suis épuisée et m'affale sans retenue.

-Tu t'entraînes? me lance-t-il de but en blanc.

-Non, je fais un peu d'escalade et de canoë. Sinon je me déplace à vélo. Je ne suis pas une grande sportive.

-Pas de fausse modestie avec moi. Comment tu expliques ton endurance si tu ne t'entraînes pas?

Je réfléchis un instant et hausse les épaules.

-L'adrénaline?

Il lève les yeux au ciel, soupire et note quelque chose dans son rapport. Je suis trop fatiguée pour m'en soucier. Je profite du moment de répit pour regarder mon poignet. Déjà, mon futur symbole commence à se former. Je peux discerner deux courbes partants d'un même centre, et comme un rond un peu plus loin.

-Faustine, il est inutile de te faire passer la série réflexe. Mon rapport est plus que bon te concernant. Je pourrais t'engager dans la Milice dès demain avec ce genre ton endurance.

Je hausse les sourcils. On ne m'avait jamais proposé un boulot avant. Et je ne pensais pas me démarquer par mes capacités sportives. Et puis, pourquoi bénéficiais-je d'un traitement de faveur? Les réflexes et l'endurance n'avaient pourtant rien à voir.

-Maintenant, poursuit-il, seule la Révélation pourra nous apporter plus d'informations à ton sujet. Tu vas pouvoir aller te changer et poursuivre ta journée. Bonne chance.

Je souris au sergent, lui serre la main et quitte la salle de très bonne humeur. Plus qu'un seul test et la journée sera fini. J'ai vraiment hâte de connaître mes résultats. Je dois d'abord prendre une douche et remettre mes vêtements. Avec horreur, je revêts ma robe et mes talons en regrettant le confort de l'autre tenue. La secrétaire vient frapper à la porte et tends les bras pour récupérer mes vêtements. Là seulement, je remarque le sifflet que je n'ai pas utilisé.

-A quoi devait-il me servir ? Je demande.

La secrétaire hausse un sourcil, ajoutant un peu plus d'exaspération à son visage. Elle hausse les épaules, prend le sifflet et me le donne. Ou plutôt, me le jette de sorte que je me retrouve obligée à le rattraper. Comme elle tourne les talons, je suppose qu'elle vient de m'en faire cadeau. Étrange. Je l'enfile autour du cou en le cachant dans ma robe et la suit. La dernière salle dans laquelle on me conduit est (pour changer) entièrement blanche. Les néons m'aveuglent presque avec leur lumière. La secrétaire me pousse jusqu'à une vitre qui trône au milieu de la pièce vide. Sans un mot, elle quitte la pièce en fermant à clés derrière elle. Comme si j'allais m'enfuir. Je m'apprête à bouger quand la pièce devient soudainement sombre et qu'un écran translucide se dessine sur la vitre.

« Bonjour

Bienvenue à votre Révélation 47ème génération. Veuillez écouter attentivement les consignes qui vont suivre. Elles vous seront utiles pour tout le reste du test. La partie éclairée au centre de l'écran est tactile. Il vous suffira donc de toucher les éléments voulus pour pouvoir interagir avec le logiciel. Le temps de réponse s'affiche en haut à gauche de l'écran. Il est remis à zéro à chaque nouvelle question et enregistré dans le Système. En haut à droite s'affiche le nombre de séries restantes. Chaque série est composée de dix tests. »

La voix s'arrête un instant et mon visage apparait brusquement sur l'écran de verre. C'est moi. Une photo de moi dans ma tenue d'aujourd'hui. Je suis sous le choc. Je n'ai pas le souvenir d'avoir été prise en photo. Et pourtant mon portrait me regarde dans les yeux. Donc je regardais l'objectif.

« Faustine James. Test numéro un. ».

L'écran rétrécit ma photo et la pousse sur le côté avec mon nom inscrit en dessous. Je suis toujours si perturbée par l'affichage de mon portrait que je ne comprends pas tout de suite que le test a commencé. Un grand tableau blanc quadrillé se dessine avec plusieurs symboles à l'intérieur. Un symbole isolé clignote en bas sur la partie non tactile. Je le regarde attentivement et en retrouve un autre dans les carrés. Sans trop savoir, je touche le symbole similaire et il disparaît. Je lève les yeux vers le temps et vois qu'il s'écoule plus rapidement que je ne le pensais. Un autre symbole clignote en bas et j'appuie derechef sur son équivalent. Ce manège continue pendant une minute. Il ne me reste que quelques symboles à effacer mais j'ai perdu trop de temps au début et le temps est maintenant écoulé.

« Test numéro deux ».

Le tableau disparait et laisse place à une suite de chiffres. Je me doutais que le calcul mental serait la prochaine épreuve. Je suis assez douée à l'école pour ces exercices mais je préfère ne pas partir trop confiante. Et si les tests étaient réalisés en fonction de notre niveau ?

Effectivement, des équations à résoudre s'affichent en bas. Je réponds à toutes les questions avant la fin de la minute. Fière, j'essaye de rester concentrée et de ne pas me laisser emporter par mon succès. Mais avant que la voix retentissent à nouveau pour le troisième test, je réalise une chose : on n'avait pas validé que mes réponses étaient bonnes. Peut-être avais-je même fait des erreurs pour les symboles à vouloir aller trop vite.

« Test numéro trois. »

-Allez allez, me dis-je à moi-même. Concentre-toi, tu peux le faire.

Un écran blanc et immaculé apparait. Il n'y a rien. Même en bas de la zone tactile, rien ne s'affiche. Peut-être s'agit-il d'un problème technique. Mais soudain, un point rouge apparaît. Comme rien ne clignote en bas, je touche le point rouge du doigt et vois le compteur de temps s'arrêter. Lorsque, enfin, il repart, un autre point apparaît. Puis un autre. Et encore un autre. Mes bras bougent presque sans mon autorisation, guidant mes doigts d'un point rouge à un autre à une vitesse que je ne croyais moi-même pas possible. La minute se termine et j'ai l'impression de n'avoir participé qu'une dizaine de secondes.

« Test numéro quatre »

Un long trait se dessine. Un autre le coupe perpendiculairement. Un trait parallèle les rejoint. Deux autres traits dessinent un début de rectangle dans le même temps. Un labyrinthe. Je peux à peine le discerner que je réfléchis déjà à un moyen d'en sortir. Dès que le labyrinthe est entièrement tracé, je touche l'écran et trace un chemin sans hésiter pour sortir. Trop facile. J'adorais jouer à ces petits jeux étant enfant. Aussi je me demande en quoi ces tests peuvent révéler quoique ce soit d'intéressant.

« L'interphone est maintenant allumé. Répondez à l'oral. Test numéro cinq ».

« Rouge. »

-Bleu ?

« Mer. »

-Plage.

« Enfant »

-Famille

« Amour »

J'aurais bien répondu « famille » à nouveau mais je doutais qu'il s'agisse de la réponse espérée.

-Système, répondis-je enfin.

Le mot suivant met plus de temps à venir et je me demande si je ne viens pas de commettre l'irréparable. Cela dit, je ne vois pas ce que la notion d'amour vient faire dans ce test, étant donné que c'est une notion très vague à toute la nouvelle génération. Peut-être qu'il s'agit de trouver les rebelles cachés parmi nous?

« Rune »

Cette fois, je tique carrément. Comment le mot « Rune » aurait-il pu sortir innocemment, alors qu'il s'agit précisément du nom ma meilleure amie ? Les runes proprement dites n'existent pas dans notre monde. Ce mot fait partie de l'ancien dictionnaire, de même que chômage, magie,... ou liberté selon moi. Mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir plus. Je suis testée. Au premier sens du terme cette fois. Et je sais que quelque chose n'est pas normal.

-Amie, je réponds avec hésitation.

« Veine »

-Symbole.

« Plante »

-Montagne.

« Bleu »

(Est-ce une plaisanterie ?)

-Mer.

« Soleil »

-Pluie

« Test numéro cinq».

La pression augmente. De mon point de vue, elle est presque palpable. Je ne comprends pas l'intérêt de ces questions. En fait, j'ai vraiment l'impression que l'on essaie de me piéger.

J'ai toujours été un tantinet paranoïaque... Mais si j'avais raison cette fois ? Et s'il y avait un problème avec mes tests ? Pourquoi n'avais-je pas passé tous les tests physiques par exemple ? Pourquoi me sentais-je si privilégié depuis ce matin ?

Je tente de me rassurer en me convaincant que, même si j'échouais sur les tests (ou plutôt, si quelqu'un tentait de me faire échouer aux tests), c'est la science, ma génétique, mon ADN qui me définirait et pas toutes ces questions étranges. On cherchait probablement à me tester pour voir ma réaction au stress. Au pire, cela pourrait me désavantager au niveau de mon premier poste mais même en me retrouvant en bas de l'échelle, j'aurais toujours la possibilité de monter en grade.

Pourtant, je ne peux pas m'empêcher de penser aux choses étranges qui se sont produites durant la journée. La gentillesse du médecin et toutes les informations qu'il m'avait transmises. Ma réaction face au jeune homme dans la salle de tests et ses réactions vis à vis de mes réponses. Le fait que je n'avais pas passé tous les tests physiques. Sans parler des tests que je passais actuellement.

Non. Quelque chose ne va pas. J'en suis certaine.

Soudain, une photo apparait sur l'écran. Une image plutôt. C'est assez abstrait.

-Peinture, dis-je, moi qui n'ai jamais rien compris à l'art.

Ensuite, c'est un visage de vieille femme, souriant et compatissant.

-Bonheur.

Un petit chiot apparait ensuite et je ne peux retenir un sourire.

-Amour, je choisis pour compenser mon manque de tact précédent.

Je vois ensuite une forêt, envahit par une légère brume dans lesquels les rayons du soleil se perdent.

-Espace, je réponds.

L'image change pour une plage au coucher du soleil. Je n'étais jamais allée à la plage, aussi je regarde la photo plus longtemps que les autres.

-Beauté, je soupire enfin.

Je regarde le compteur et vois que la minute est presque écoulée. Une maison apparait, puis un vélo, puis un désert, puis une usine, puis un aquarium, une succession d'images qui ne semblent avoir aucun sens. Je réponds rapidement à chaque fois, énumérant ce qui me passe par la tête. Je me concentre et enchaine les réponses plus vite que je ne l'aurais pensé possible. De toute façon, tout ceci n'a aucun but. J'ai réussi tous les autres tests et il dépend maintenant de la science de m'Orienter. Je descends une seconde les yeux vers mon poignet et entraperçois mon symbole. Même s'il n'est pas encore aussi noir et précis que celui de mes parents, je peux maintenant voir la forme qu'il aura.

Et c'est là que la photo surgit.

Je suis sous le choc. Encore. J'ai l'impression que mon cœur s'est arrêté de battre.

Sur l'écran vient d'apparaître la photo du jeune homme de tout à l'heure. Celui qui faisait partie du jury. Il porte un uniforme militaire et regarde droit devant lui, son air sérieux et impassible gravé sur son visage pâle. Est-ce qu'on essaie de me faire une blague?

-Jury, dis-je dans un souffle.

L'écran s'éteint. J'attends quelques secondes, retenant ma respiration. Je scrute chaque parcelle de l'écran. Rien.

Un bruit derrière moi me fait sursauter. Deux blocs blancs immaculés viennent de sortir du mur, comme pour m'inciter à m'y asseoir. J'inspire et souffle lentement, enfin soulagée d'en avoir fini avec ce test. Je me retourne pour m'assoir lorsque j'entends un bruit étrange vers le mur du fond. Je m'approche doucement, l'ouïe extrêmement attentive. J'ignore comment j'ai pu ignorer ces bruits auparavant. On entend pourtant clairement le doux bruissement des ventilateurs, provenant probablement d'un ou plusieurs ordinateurs. J'entends aussi une porte se refermer tout doucement.

Quelqu'un venait de sortir de la pièce derrière le mur et j'étais prête à parier qu'il s'agissait d'un bureau. Je suis si proche du mur maintenant que je lève la main pour en toucher la surface.

Je pensais qu'ici, tout était informatisé. Mais peut-être que des personnes se trouvent derrière ces caméras, peut-être même derrière ces murs. Peut-être même qu'ils nous observaient en temps réel passer les tests pour adapter les questions au fur et à mesure. Je m'apprête à toucher le mur lorsque l'écran se rallume derrière moi.

Je me retourne, comme prise en flagrant délit et remarque que l'écran affiche à nouveau une image. Je me rapproche, sourcils froncés, en me demandant si je ne suis pas considérée comme une sorte de cobaye. Mais la photo accapare mon attention et je mets cette idée dans un coin de ma tête.

Il s'agit à nouveau du juriste blond. Mais il est habillé simplement d'une veste bleue, d'un tee-shirt vert et d'un jean. Il porte une chaîne en métal avec une plaque argentée. On peut voir qu'il se tient debout, le bras droit levé. Je fais de nouveau quelques pas, hypnotisée par la rigueur et la beauté nordique de son visage. Le contexte de la photo me laisse perplexe mais on peut presque sentir la conviction et l'assurance dans son regard.

J'essaie d'enregistrer l'image dans mes souvenirs. Je voudrais garder les détails en mémoire. Je ne cherche même pas à savoir pourquoi cette photo était soudainement apparue. Je ne réfléchis même pas à un mot à donner en réponse car, quelque part, je sais qu'aucune réponse n'est demandée. Je sais que ça ne fait pas partie du test.

La porte s'ouvre à la volée, me fait sursauter. Je m'imagine pendant un instant mourir d'une crise cardiaque à l'âge de dix-huit ans, en plein milieu de ma Révélation. Et ça aurait peut-être été préférable. Car lorsque je me retourne, toute trace d'amusement disparait de mon visage. Mon père est là, entouré de deux gardes de la Milice, armés jusqu'aux dents.

-Faustine... commence mon père.

-Veuillez-nous suivre mademoiselle James, le coupe l'un des gardes.

J'acquiesce silencieusement, si étonnée qu'aucun son ne peut sortir de ma bouche. J'ai des ennuis. De gros ennuis. Mon père ne serait pas là sinon. Et la Milice non plus.

Est-ce à cause de la photo du juriste? Est-ce qu'il a quelque chose à voir là-dedans? Est-ce que j'ai échoué à tous les tests? Est-ce que j'ai été déterminée dangereuse pour la société? Est-ce que je vais disparaître?

Je réussis à peine à me constituer une apparence calme et indifférente. J'aimerais m'enfuir à toutes jambes. Mais je me contente de suivre mon père qui est toujours escorté par les deux gardes. Aucun des deux ne m'adresse un regard.

Nous traversons plusieurs couloirs. Blancs. Déserts. Mon père est toujours encadré par les deux gardes, aussi je commence à penser que c'est lui qui a des ennuis. Les gardes ne vérifient même pas que je suis toujours. En même temps, le claquement agaçant de mes talons sur le sol blanc leurs signale ma présence.

Je me demande si Rune s'en est sortie mieux que moi aujourd'hui. Je me demande si ma mère sait que mon père est ici avec moi. Je me demande si je les reverrais un jour.

Tout va bien se passer.

C'est ce qu'ils avaient tous promis et répété inlassablement. Ils avaient tort.

Et je ne suis pas surprise.

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