Chapitre 11
Je suis tellement surprise d'avoir retrouvé la photo, que le juriste ne quitte pas mes pensées de la journée. Je suis maintenant persuadée qu'il est la clé de toute cette histoire. Et comme May continue de briller par son absence, j'ai tout le loisir d'organiser une excursion. Car oui, j'ai bien l'intention de retourner au camp militaire, avec ou sans tutrice.
Lorsque j'arrive enfin chez moi après avoir flanée dans les rues, profitant du soleil estival, je m'étonne du calme qui règne dans la maison. Attentive au moindre bruit, au moindre mouvement, je claque la porte et reste immobile. Quelque chose bouge dans un coin de la pièce. Ou plutôt, je jurerais que les rideaux ont bougés. Affolée, je prends la première chose qui me vient; un ridicule annuaire téléphonique; et m'approche doucement. En voyant des baskets dépasser du tissu, je repose l'annuaire et secoue la tête. Mon esprit est plutôt perspicace, aussi, il ne me faut pas plus d'une demi-seconde pour comprendre qu'aucun membre de surveillance ne porterait des chaussures aussi sales et voyantes. Non, il n'y a qu'une personne pour faire une erreur aussi bête.
Finalement, je reprends le gros livre et le lance avec force en sa direction.
-Aïe ! se plaint Jake alors que je m'esclaffe, fière de moi.
-Ça t'apprendra à te cacher chez moi, Mike !
Jake me regarde d'un air étonné. Mike est le prénom de mon voisin. Je lui fais signe que nous sommes probablement sur écoute et qu'il vaut mieux ne pas dévoiler son identité. Je devrais être furieuse qu'il soit ici. Après tout, il se met en danger autant que moi et nous réunir dans ma maison relève de la folie. On me considère déjà comme une rebelle alors...
-Si tu savais que c'était moi, alors pourquoi avoir cherché à me faire mal? rouspète-t-il.
-Crois-moi, si j'avais vraiment voulu te faire mal, j'aurais probablement lancé quelque chose de plus aiguisé.
Voilà un avertissement que j'adresse à ceux qui nous espionnent.
-Comment tu as su ?
-Tes chaussures, crétin.
Il regarde ses baskets blanches et sales d'un air gêné. Je sais qu'il ne peut probablement pas rentrer chez lui pour les changer. Je me dirige vers le placard à chaussures dans l'entrée et lui donne une paire qui appartient à mon père. Des chaussures de marche marron foncé, pour le côté pratique et discret. Il me remercie d'un signe de tête. C'est étrange de ne pas pouvoir parler librement.
-Je pensais que l'on pourrait aller à la bibliothèque aujourd'hui ? je chantonne.
-A la bibliothèque ? ronchonne-t-il. Sérieusement?
-Oui. Sérieusement.
Je lui fais à nouveau un regard lourd de sens pour qu'il comprenne que je ne peux pas dire où nous allons réellement. Il hausse les épaules.
-Si tu veux Faust.
J'allume la télévision et monte le son jusqu'à nous crever les tympans. Nous allons dans la cuisine et chuchotons.
-Je dois me rendre à une base militaire que j'ai visitée il y a deux jours.
-D'accord, tu veux que je vole une voiture ?
Je suis affligée de voir à quelle vitesse Jake a pu se débarrasser du respect des lois. A la même vitesse que ses muscles ont remplacé son cerveau probablement. Je rigole intérieurement de ma propre blague.
-Pourquoi pas un bus scolaire aussi ? Tu veux vraiment t'approcher d'une base militaire dans un véhicule volé ?
Il hausse les épaules.
-Tu sais où elle se trouve au moins ?
-Non, je dois avouer en réfléchissant comment m'y prendre pour trouver l'adresse. Je sais que nous avons parcouru une longue route au milieu des champs, et qu'un bois se trouve derrière le camp.
-Ok, tu as toujours ton ordinateur ?
J'acquiesce et nous montons dans ma chambre. Là aussi, je mets de la musique, volume à fond, espérant secrètement avoir au passage, détruit l'ouïe des espions. Jake m'empêche d'ouvrir ma session et prend ma place.
-On va ouvrir une session fantôme, m'explique-t-il. Sinon, ils sauront exactement où nous chercher.
Je n'ai pas encore le courage de lui dire qu'il ne viendra pas avec moi. Il est hors de question que je mette sa vie en danger en le laissant approcher trop près des autorités. Le simple fait d'être à mes côtés, en sachant que je suis sous haute surveillance, l'expose déjà à un risque trop important. Pour l'instant, il ne semble pas y avoir de caméras chez nous, mais cela ne saurait tarder.
Jake me montre une vue satellite de plusieurs bases militaires aux alentours et je reconnais facilement celle qui m'intéresse. C'est la seule qui comporte un bois et un lac dans son enceinte. Et puis, je reconnaitrais ces bâtiments gris et futuristes entre mille.
Je note l'adresse et chiffonne le papier dans ma poche. Il supprime toute trace de son passage et nous redescendons au salon. Je baisse le son de la télévision afin de ne pas paraître suspecte trop longtemps.
-Finalement, je pense que je vais rester ici aujourd'hui, je dis l'air de rien.
-Je peux te tenir compagnie, propose-t-il avec un regard insistant.
-Non, merci. Il y a quelque chose que je dois faire seule.
J'insiste sur le dernier mot et je vois qu'il comprend mon message.
-On est toujours mieux à deux, que tout seul, insiste-t-il.
-Je ne voudrais pas te déranger.
J'espère qu'il comprend à demi-mot ce que je lui dis. Je ne veux pas qu'il t'arrive des ennuis. Je ne veux pas que tu viennes avec moi et qu'ils t'arrêtent. Je ne supporterais pas d'être la cause de ton arrestation.
-Comme tu veux Faust, dit-il sèchement, en haussant les épaules.
-Mais tu veux rester manger ? je lui propose en essayant de paraître plus détendue.
-Non ça va merci.
Il me fait un clin d'œil, ouvre son sac et me montre ses provisions. Je n'ai pas besoin de vérifier pour savoir qu'il les a volés chez moi.
Depuis la Nouvelle République et la mise ne place du Système, chaque maison est rationnée en fonction du nombre de personnes qui y habitent, leur âge et leur sexe. Il existe encore des supermarchés, bien sûr, mais uniquement pour ce qui n'est pas de la nourriture : produits ménagers, ameublements, vêtements, etc... Cela réduit les injustices et règle les problèmes de surconsommation qui existaient avant la Nouvelle République. Je me souviens de ces images atroces où l'on voyait des hectares et des hectares chargés de bovins qui étaient si nombreux qu'ils pouvaient à peine bouger. On les élevait en masse pour répondre à la demande toujours plus grande. Ces images ont failli me rendre végétarienne. J'ai l'impression que l'on parle d'un autre monde. Je me demande toujours pourquoi ils n'ont simplement pas rationner la viande plutôt que de surproduire comme ça au détriment des cycles naturels.
Je ne suis pas du genre écolo mais ça me semble simplement être du bon sens. Voilà au moins des points positifs que la Nouvelle République a instaurés. La tour Atlas contrôle maintenant la production et le rationnement du monde entier, ainsi que la protection de plusieurs zones appelés les « Secteurs Zéro » ou "Zone Zéro". Personne n'y vit et personne n'a le droit d'y aller.
Je secoue la tête face à un Jake visiblement très satisfait de lui-même. Je sais qu'il n'a pas le choix et que voler chez moi est le plus sûr pour lui, mais j'aurais quand même aimé qu'il m'en parle. Peu importe, son rire me fait oublier mon mécontentement.
-Bon allez, à plus Faust !
-Ouai, à plus.
Je vois une lueur de malice briller dans ses yeux mais il disparaît derrière la porte. Je m'applique ensuite à fermer toutes les portes et toutes les fenêtres. Je n'ai jamais compris comment il faisait pour entrer partout. Aucune serrure ne semble lui résister. Je mange rapidement les restes que ma mère m'a laissé et déplie une carte du Secteur. La base se trouve juste au bord de la frontière du Secteur 8. Je comprends très rapidement que je ne pourrais pas y aller à vélo.
Alors je regarde les lignes de bus. En trois changements, je pourrais arriver à la ville la plus proche et devrais faire le reste à pied. Soudain le doute m'assaille : et s'il n'était pas là ? Et si je faisais tout ça pour rien ?
« Et si ? Et si ? Tu veux refaire le monde Faustine ? me dis-je. Tu n'as pas vraiment le choix ! »
***
Deux heures plus tard, je suis enfin arrivée à Middletown, la petite ville à 7 km de la base. C'est au moins la troisième ville nommée ainsi, que je connais. « La ville du milieu ». Du milieu de quoi ? Aucune idée. Le milieu de rien du tout, si j'en crois les champs qui s'étendent à perte de vue autour de cette ville d'à peine 300 habitants.
Je reprends ma carte, ma boussole et soupire devant les deux heures de marche qui m'attendent, et surtout à l'idée de devoir affronter le retour ce soir. « Tu n'as pas le choix ».
Je passe sous les regards curieux de quelques paysans et commence la traversée de la longue route jusqu'au camp. Il fait extrêmement chaud aujourd'hui et il n'y a pas d'ombre. Je commence seulement à penser que ma venue va soulever beaucoup de questions, surtout si je suis venue à pied. Sans May.
Une pensée perturbante me traverse alors l'esprit. Et si l'absence de May n'était que pour me tester et voir si je me rendrais à la base militaire en secret? Après tout, ils m'avaient déjà fait suivre pour la cascade avec Rune, alors pourquoi pas me tendre un nouveau piège?
Mais c'est trop tard, je ne peux pas faire demi-tour. Un kilomètre plus tard, je suffoque. J'aurais dû transporter de l'eau. Il n'y pas d'ombres, pas de vent, et je ne vois que des mirages devant moi.. Je suis réellement à deux doigts de m'effondrer.
Quelle pauvre créature je fais.
Deux pauvres petits kilomètres et me voilà prête à rendre les armes. Mais bientôt, j'entends une voiture arriver au loin et m'arrête pour la regarder. Cette même voiture s'arrête devant moi. Les vitres sont fumées, si bien que je ne vois pas le conducteur. Je devrais m'inquiéter car je suis au milieu de nulle part, sans arme, face à cette voiture noire imposante. Mais la porte du passager s'ouvre et le visage de Jake illumine ma journée.
-Allez monte !
Je m'exécute sans attendre et profite de la fraîcheur de l'habitacle.
-Comment as-tu...
-Allez Faustine, on se connaît mieux que ça toi et moi ! Je savais que tu ne voulais pas que je vienne, et je comprends pourquoi. Mais, sérieusement, tu pensais que ça m'arrêterais?
-Franchement, oui.
-Tu peux descendre de la voiture alors, si tu veux. Et continuer à pied. Tu t'en sortais très bien, à ce que je vois, se moque t-il en indiquant la sueur qui couvre mon débardeur et mon visage rouge écarlate.
En quelques minutes, nous arrivons à la base militaire.
-Je repasse te chercher à dix-neuf heures. J'ai déjà dit à Rune de prévenir tes parents que tu es avec elle mais que ton téléphone ne marche plus. Pense à l'éteindre du coup.
Je ne l'ai toujours pas rechargé de toute façon.
-Merci beaucoup Jake. Vraiment.
-Pas de quoi.
Je descends de la voiture et m'avance vers l'entrée. Mon cœur bat à tout rompre. Je reste un instant face à ce portail comme si je me trouvais face à mon destin. Je ne ferais pas demi-tour. D'une façon ou d'une autre, j'ai aujourd'hui bien l'intention d'obtenir des réponses. Coûte que coûte.
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