5. Réflexion faite...

 

Deux ans. Deux ans de tranquillité avant qu'un autre problème survienne. J'avais fait profit bas. Hélas, même Dame Nature peut être une sacrée garce. Pour Étain, un peu de sang s'était rien... Pour moi, ce fut le fait le plus horrible de mon adolescence.

Largement prévenue par notre mère, elle avait eu le temps de voir venir. Pas moi.

Par souci de bienséance, nous avions appris à ne plus aller dans les toilettes. Car j'avais tendance à entrer dans celle des filles, quand Étain en avait besoin, et elle dans celle des garçons, quand moi, j'en avais eu besoin. Avec l'âge, nous arrivions à nous en passer, si bien qu'on n'avait jamais vu l'intérieur des toilettes de notre collège.

Malheureusement, cette pièce, ma sœur en eut bientôt besoin pour autre chose.

Une chose que les mecs préféraient en général ne pas en entendre parler. De même pour moi, mais ma sœur étant celle qu'elle est... Et en étant ce que je suis...

Nous ne tardâmes pas à découvrir des choses que j'aurais préféré ne pas connaître pour tout l'or du monde.

Treize ans. Je suppose que cela aurait pu être pire quand certaines les ont bien plus tôt.

Je me souviens que nous étions en plein cours de français et que j'étais en pleine discussion avec Julien. Un camarade de classe assis juste devant moi, qui avait la fâcheuse habitude de mettre le dossier de sa chaise contre le mur, ce qui avait pour but de voir la pièce dans son ensemble et bien sûr de pouvoir parler. Avec moi. Il était vite apparu que nous avions quelques points en commun.

La phrase que j'étais sur le point de finir mourut dans ma gorge par quelque chose d'incroyablement insolite : du coin de l'œil, je vis ma sœur lever sa main droite pour demander quelque chose au professeur.

- Oui, Mademoiselle Rocheford ?

- Je me sens pas bien, puis-je aller à l'infirmerie ? demanda-t-elle d'une voix chaude, mais enrouée.

Les yeux ébahis, je vis le professeur aussi surpris que moi, acceptant de discuter. Ma sœur était un modèle, qu'il pleuve ou qu'il vente, elle n'avait jamais raté un cours, ni être en retard de quelques minutes, à vrai dire. Et cela, je le savais très bien puisque je la suivais toujours de quelques secondes.

- Mon frère peut m'accompagner, s'il vous plaît ?

Devant son ton suppliant, un saint lui-même n'aurait pu lui dire non. De toute manière, je l'aurais suivi avec ou sans l'accord du professeur. Sans un mot, je me levai d'un bond, encore le stylo à la main, avant même qu'il puisse refuser.

Mais ma sœur était loin de bouger : elle prit mon imperméable noir, le posa sur le dossier de ma chaise et l'enfila encore assise. Elle prit même le temps de le refermer par-devant avant de se lever.

C'est parce que je la regardais faire, que je vis une trace carmin s'étaler sur sa chaise blanche. Elle la fit disparaître d'un geste gracieux, d'un coup de manche et pour être sûr que personne ne puisse soupçonner quoi que ce soit, elle rengaina le meuble sous la table, avant de se diriger vers la sortie.

Comme un con, je la regardais sans remuer. Qu'est-ce-que..? Bon sang, que venait-il de se passer au juste ? Lorsqu'elle disparut de ma vue, soudain, très inquiet, je m'empressai de sortir à mon tour. Pour rien. Elle m'attendait juste devant.

- Tu...

- Pas maintenant, me coupa-t-elle de sa voix froide.

Bizarrement, cela me soulagea plus rapidement que tout. La voir au naturel, signifiait pour moi que tout allait pour le mieux. Lorsqu'elle se remit en route, je la suivis sans un mot avant de m'apercevoir que j'avais encore mon stylo dans la main. D'un geste purement masculin, je le mis sur mon oreille droite avant de comprendre qu'elle prenait un tout autre chemin que celui de l'infirmerie.

Je dus courir pour me mettre à sa hauteur tant qu'elle marchait vite, si bien que je faillis lui rentrer dedans lorsqu'elle pila net devant son casier.

- Tu m'expliques ? demandais-je alors qu'elle fouillait dans nos affaires.

Nous partagions toujours tout. Le casier également. Elle jeta un rapide coup d'œil aux alentours sans me répondre. Ce qui eut le don de m'énerver quelque peu. J'attrapais ses mains sans aucune douceur et l'obligeai à se retourner vers moi.

- Tu n'es pas blessée au moins ?

- J'ai mes règles, m'annonça-t-elle, les yeux lavande pétillants.

D'abord surpris, je lui lâchais les mains, avant que la signification de ses paroles percutât ma compréhension tel un trente-six tonnes. Horrifié, je la regardais. Elle éclata de rire devant mon air ahurit, avant de retourner fouiller dans notre casier.

Je la regardais faire, complètement perdu. C'était si... inattendu. Quand ma sœur était devenue une femme ? À bien y réfléchir, elle n'avait jamais été autre chose... Qu'elle-même.

Avec une moue dubitative, je la vis sortir mon pantalon de sport noir, avant de nouveau jeter un coup d'œil aux alentours, puis elle attrapa une pochette violette, qu'elle s'empressa de cacher à l'intérieur du pantalon. Un éclair de lucidité me frappa.

- C'est bien ce que je pense que c'est ? Balbutiais-je d'une voix que je ne reconnus pas du tout comme la mienne.

C'est bien moi qui avais prononcé une phrase aussi ridicule ? Je regardais mon pantalon comme s'il s'agissait d'une bombe. Et le pire, c'est que j'en étais parfaitement conscient. Je ne regarderai probablement plus ce pantalon de la même manière. Voir ne plus jamais le remettre.

- Tu verrais ta tête, me dit-elle, alors.

N'en revenant toujours pas, je la suivis dans un autre dédale de couloir que je n'avais jamais vu aussi vide. Elle entra ainsi dans les toilettes des filles et, sans percuter davantage, je l'ai suivi. C'est uniquement lorsqu'elle me claqua la porte au nez de l'un des cabinets que je me demandais sérieusement ce que je foutais là.

Je jetais un coup d'œil dans la pièce lorsque je vis mon reflet dans un large miroir, au-dessus de quelques lavabos. En effet, j'avais une de ces têtes...

C'est complètement livide que je fis abstraction des sons de la seule cabine occupée, que je me dirigeais vers l'un des lavabos. Traumatisé à vie.

Automatiquement, je l'ouvris, et fis couler de l'eau. Je touchais le filet, en grimaçant. Pas assez froid, pas assez fort. Je le poussai alors au maximum de ses capacités et m'aspergeai le visage avec. Même si cela faisait un bien fou, ce n'était pas suffisant. Ce n'était pas assez. Je devais avoir l'esprit plus clair. Sans réfléchir, je me mis la tête sous l'eau. Beaucoup mieux. C'était beaucoup mieux.

- Nate ?

Surpris, je retirais ma tête de sous le robinet, trempé, gouttant de partout, je regardais celle qui venait de m'interrompre.

- Caroline ?

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