4. La Tempête


- Ce soir, on sort, annonçais-je à ma sœur, alors qu'elle allait mettre son pyjama.

- Ah bon, où ça ? fit-elle semblant de s'étonner en reposant ses affaires.

Cela me rendit malade.

- Étain, murmurais-je chagriné, tu sais bien qu'avec moi, tu n'as pas à faire ça...

Ma jeune sœur baissa alors le masque et le sourire affable disparut, son regard redevint terne et de sa voix froide, elle prononça ses mots :

- J'ai l'habitude maintenant. Alors, où va-t-on ?

Aimant et détestant à la fois son vrai comportement, que j'étais le seul à réellement connaître, je souris, énigmatique.

- C'est une surprise.

Je l'attrapais par la main et la fit sortir de l'appartement sans un mot. Étain, ayant une confiance absolue en moi, ne broncha pas, mais dès qu'elle mit le pied dehors, son masque affable se repeignit sur son visage.

L'interrupteur basculait sans même qu'elle ne s'en rende compte.

Alors quand elle vit la voiture de notre mère garée à sa place habituelle, alors qu'à cette heure-ci, elle devrait être dans le parking de l'Hôpital Blanche Drake Mémorial à Epsilon, une franche surprise apparut sur ses traits.

Je m'arrêtais un instant, choqué. Est-ce que..?

- Pardon, dit-elle de sa voix froide, s'empressant de rectifier, on est sorti de la maison, s'excusa la belle jeune femme.

Blonde... Des fois, je me demandais vraiment si le Psy n'avait pas annoncé trop vite le Syndrome du Savant. Mais seulement parfois.

- Ne t'inquiète pas, va, cette fois-ci, ça marchera, murmurais-je à moi-même en sortant mes clés.

Puis, je la lâchais et m'engouffrais dans le véhicule, au siège conducteur. Étain, resta là un instant, respirant l'air frais de la nuit, en prenant la décision que ce soir, elle ferait tout pour moi. Puis, elle entra à son tour dans le véhicule, ne sachant toujours pas notre destination.

D'habitude, c'était elle qui conduisait, mais comme cela ne lui faisait rien, elle ne demanda pas à changer de place.

Elle ne dit rien non plus, quand les premières notes de Chopin envahirent l'habitacle. Les notes de musique avaient toujours su me calmer, et j'espérais avoir pris une bonne initiative, malgré sa dangerosité.

Nous sortîmes de la ville et nous continuâmes sur une route départementale, puis nationale. Tout à coup, je vis Étain s'avancer sur le siège, je souris en voyant qu'elle venait de distinguer au loin de la lumière. Elle baissa la vitre, et des clameurs retentirent. De la musique aussi. Elle me regarda alors que j'arborais un sourire en coin.

Nous arrivâmes rapidement à destination, là où, dans un rassemblement composé de voitures de toutes couleurs, de tous modèles, de toutes personnes, de toutes origines, de toutes classes sociales, faisaient la fête.

Mais même si nous étions en été à Epsilon, cela ne justifiait pas les tenues légères de certaines jeunes femmes. N'exagérons rien, j'appréciais ce que je voyais. Je restais un homme.

Impeccablement, je me garais, puis je coupais le moteur et les notes de piano s'arrêtèrent brusquement. Je restais là un moment dans le silence, me préparant à répondre à ses questions, qui ne tardèrent pas à venir.

- Qu'est-ce qu'on fait là ? demanda-t-elle de sa voix glacée.

Par où commencer ? Je fus conscient de faire la grimace, ça ne me plaisait pas, mais j'avais accepté, alors il n'était plus question de faire marche arrière.

- Tu te souviens de Roberto ?

Roberto, deuxième du nom, comme si le premier n'était pas suffisant, un petit con, dénué de sens moral, ayant de graves problèmes scolaires dus certainement à une ambiance malsaine chez lui, était dans le même collège que nous, mais en dernière année, malgré ses seize ans passés.

On le distinguait surtout par ses voitures, qui changeaient pratiquement toutes les semaines, se garant dans le parking privé des professeurs, sans que ceux-ci s'en plaignent. Il pouvait aussi bien se ramener avec une deux cent six ou bien une Lamborghini.

Cette semaine, il s'était garé avec le dernier modèle de la Camaro en rouge pétant. J'ai bien vu qu'Étain s'était arrêté pour la regarder en souriant faussement et ce gros lourdaud en avait profité pour la mater.

- Où veux-tu en venir ? continua-t-elle.

- Eh bien, j'ai découvert que cet abruti est adepte des courses de voitures et c'est son grand-frère, Alejandro qui tient les paris. Ce soir, il joue la Camaro et de la menue monnaie, et comme je sais que tu conduis plutôt bien, je t'ai inscrite avec la voiture de maman.

Je frottais ma nuque, pariant avoir piqué son intérêt. Étain regarda alors le tableau de bord de la vieille BM.

- C'est quoi le deal ?

Un frisson me parcourut, me souvenant du regard sale de Roberto qui la mattait. J'eus envie en même temps de m'écrier "À moi" et de m'enterrer vivant. Mais voilà, j'avais promis que je ferais tout pour qu'elle ressente la moindre petite chose. Et si nous devions en passer par là, l'adrénaline ou la peur de la course serait un bon début. En espérant ne pas perdre la voiture...

- Si tu gagnes la course, tu remportes la Camaro, si tu perds, eh bien, il prend la caisse de maman et en prime, tu devras...

Les mots s'étranglèrent dans ma bouche, refusant tout bonnement de le dire.

- Je devrais ?

- Sortir.

Je le crachais presque.

- Avec lui ?

Je déglutis, regardais mes pieds, et hochais la tête. Étain mit la main sur ma cuisse et je reportais mon attention sur elle. Ma sœur souriait d'un mauvais rictus sans joie.

- Tu m'as déjà vu perdre quoi que ce soit, Nate ?

Rares étaient les fois où elle m'appelait par mon vrai prénom, Nathaniel, deuxième du nom. Alors, je souris, d'un même rictus mauvais.

De concert, nous sortîmes de la voiture, et pour la première fois, elle copia le comportement de Caroline. Que je connaissais par cœur, parce que généralement, elle l'exerçait sur moi. Son sourire se fit accrocheur, sa démarche sensuelle et féline.

Dur d'arriver à la hauteur des autres alors qu'elle portait des chaussures plates et elles des talons. Mais avec son carré plongeant, son pantalon en cuir, son chemisier sans manches noir, son assurance qu'elle drapait comme un manteau, elle n'avait absolument rien à envier à toutes les pimbêches qui se pavanaient ce soir.

De plus, elle avait à son bras le plus beau mec qui soit. Avec mon sourire en coin, la jeune femme se faisait remarquer.

Pour une fois, Étain se prêta à la conversation et échangea avec moi quelques banalités avec Alejandro avant la course. Même si elle faisait semblant, la voir ainsi ne me plût guère, mais je la laissais jouer son numéro à la perfection, se laissant séduire par un homme de dix ans, son aîné. Après tout, c'était ma faute.

Heureusement, son attention fut vite détourné, lorsque son cadet arriva.

- Elle est où ta gamine pour laquelle tu es prêt à céder la Camaro ? lui demanda-t-il en guise de salutations.

- Tu parles avec elle, roula des yeux le plus jeune des deux cons.

C'était officiel, je ne les aimais pas. Alejandro regarda MA sœur avec des gros yeux, son regard passa de ses chaussures à son pantalon, puis à son haut et à sa tête, reluquant toutes ses formes au passage. Ben voyons...

- Tu me charries ? Lança-t-il à Roberto, sur le ton de la confidence.

Puis regardant Étain, comme s'il n'en revenait pas :

- T'as pas onze ans, dit ?

Elle sourit, aguicheuse.

- Pourquoi tu me donnes combien ? dit-elle, d'une voix suave, plusieurs tons plus bas que d'ordinaire.

Cette voix... J'aurais pu me damner pour moins que ça. Alejandro secoua la tête, presque désespéré.

- Dommage, y'avait pas d'aussi beaux spécimens dans mon collège, dit-il en regardant son petit frère. Vous avez cinq minutes...

Puis, il s'en alla, jetant un dernier coup d'œil à ma sœur, en secouant la tête, les épaules voûtés.

Plus tard, Alejandro m'avoua qu'il avait des principes, comme ne pas chasser en dessous de la majorité, par exemple. Bien que ma sœur méritait sans doute d'être l'exception à la règle, et pourtant... Il en avait eu très envie, jusqu'à envier son jeune frère, car pour lui, le gagnant était couru d'avance.

Je n'en étais pas aussi sûr. Mais retournons à la suite de mon histoire.

Étain ne prit même pas la peine de discuter avec Roberto, elle m'entraîna direction la voiture pour mon plus grand bonheur. Le propriétaire de la Chevrolet, laissa tomber, pensant sans doute qu'il aurait eu tout le temps qu'il souhaite pour parler avec elle.

Ma jeune sœur monta derrière le volant, après que j'eus ouvert la porte à son attention, et s'installa confortablement. Quant à moi, je me souviens mettre accoudés à la portière, la vitre baissée. Mais elle chercha quelque chose du regard et me remarqua moi, accoudé à sa vitre, la regardant.

- Tu attends quoi ? me demanda-t-elle de nouveau elle-même.

Perplexe, je la regardais. Puis je lui expliquais mon point de vue.

- Je vais être un poids mort pour la voiture, ça va te ralentir.

- Monte, trancha-t-elle.

Sans perdre une seconde, je contournais le véhicule, n'ayant aucune envie de la quitter, et je m'assis à la place passager sans oublier de mettre ma ceinture. Elle devait avoir ses raisons. Elle démarra le véhicule et alla se placer sur la ligne d'arrivée.

Alejandro nous attendait déjà. Il s'accouda à la fenêtre, comme moi quelques minutes plus tôt, et me jeta un regard, l'air de dire que c'était bête.
Bah... Si lui aussi le pensait, nous étions mal barrés.

- Le principe est simple, tu ne démarres qu'au coup de feu, tu vas jusqu'au rond-point, tu fais demi-tour et tu reviens, le premier qui passe la ligne à gagner. Compris ?

- Reçu cinq, sur cinq, lui sourit-elle faussement aimable.

Il s'éloigna, et nous eurent le temps de voir arriver Roberto dans une luxueuse voiture de sport. Mais le hic, c'est que ce n'était pas la rouge, mais une noire chromée que j'avais vu une fois sur le parking des professeurs. Une Ferrari, et lui était seul à bord.

- Eh bien, lança-t-il à ma soeur, prête à mordre la poussière ?

Alors, Étain montra alors à quelqu'un d'autre qu'à moi son véritable visage. Roberto ravala son sourire et se crispa sur le volant. Je suis sûr qu'il se rappela les rumeurs qui circulaient sur ma jumelle. Je le voyais dans son regard et je ne pus retenir le fou rire qui m'envahit.

Alerté, Alejandro alla voir son frère.

- Tout va bien ? lui demanda-t-il.

Le brun s'efforça de sourire, et ne contrôlant pas certainement sa voix, il leva son pouce.

- Tenez-vous prêt, ça commence d'un instant à l'autre.

Rassuré, son grand frère s'en alla, me lançant tout de même un dernier regard.

- Tu devrais mettre ta ceinture, lança ma sœur à Roberto.

Mon fou rire repartit de plus belle. Quant à l'autre, il obéit machinalement et boucla sa ceinture. Quant le coup de feu retentit, ma sœur ne prit pas la peine de dépasser la quatrième, contrairement à Roberto qui s'élança en vrombissant loin devant.

Je jetais quelques coups d'œil à ma sœur, pas le moins du monde, rassuré.

La Ferrari fit demi-tour, alors qu'Étain s'arrêta en plein milieu de la route. Elle poussa la voiture au max et les pneus tournaient à plein régime sans que l'on bouge d'un iota.

Roberto déboula tel un canon, fonçant droit sur nous. Elle leva le pied, et le véhicule fit une embardée de plusieurs mètres avant de monter à cent cinquante kilomètres heure. Toute la puissance de la pauvre BM de notre mère.

Quand la Ferrari allait à droite, ma sœur allait à gauche, ne voulant aucunement la laisser passer. La collision se fit proche, et Étain ne disait toujours rien. Je m'accrochais de toutes mes forces à la portière. Et pour la première fois de ma vie, je priais.

- T'inquiète, je gère, lança la voix glaciale que je connaissais par cœur.

Elle en avait des bonnes, elle ! Roberto se rapprochait à vive allure, dix mètres, neuf mètres, huit mètres. Je pouvais voir le blanc de ses yeux. J'ignore ce qu'il vit dans les yeux de ma sœur, mais à la dernière seconde, il vira si fort, qu'il enchaîna des tonneaux hors de la route.

Étain fraina, évita le véhicule de peu, et une fois à l'arrêt, elle sortit son téléphone de la boîte à gants et me le tendit.

Estomaqué, je la regardais, ne sachant pas ce qu'elle attendait de moi.

- Tu devrais appeler une ambulance, me lança-t-elle avant de faire demi-tour. Sors et vois s'il est vivant.

Obéissant, je sortis. Je fus stupéfait de sentir mes jambes me porter.

- Junior ? me demanda-t-elle.

- Oui, répondis-je en la regardant hagard.

- Si la voiture pète, ne joue pas les héros et casse-toi là de toi vite fait, ok ?

- Ok, répondis-je, en déverrouillant le téléphone.

Puis je la regardais partir, en tapant le numéro des secours, avant de porter le mobile à mon oreille.

Je ne jouais pas les héros, je dégageais un Roberto sans connaissance de son véhicule, le traînais sur quelques mètres et attendis le retour de ma sœur. Qui avait tranquillement fini la course, embarqua à bord Alejandro et me rejoignit dare dare.

Cette nuit fut l'une des plus longues que j'ai eu à vivre. Maman fut stupéfaite de nous voir débarquer à l'Hôpital puis d'être interrogée par les flics d'Epsilon. Le médecin informa à Alejandro, que Roberto allait s'en tirer sans trop de séquelles et qui devait la vie à sa ceinture de sécurité.

J'interrogeais Étain. Pourquoi l'avait-elle prévenue de mettre sa ceinture ? Sa réponse ne fit pas celle que j'espérais, mais je fus tout de même heureux d'être aussi important pour elle.

Apparemment, elle l'avait fait pour moi, parce qu'elle savait que la mort de quelqu'un n'aurait pas été ce que j'aurais voulu.

La semaine d'après, ma sœur fut la nouvelle propriétaire d'une Camaro, rouge pétant. La semaine d'après, avec l'argent des paris qu'elle avait misé sur elle-même, elle m'acheta une belle moto noire que j'adore.

Quand je lui demandais comment cela se faisait qu'elle avait parié de l'argent, sur une course dont elle n'était même pas au courant, sa réponse ne fut pas encore celle que j'espérais, mettant mon ego à rude épreuve, mais je l'adorais :

- Ah parce que tu croyais pouvoir m'inscrire à quelque chose, sans que je sois au courant ? me demanda-t-elle de ses yeux sans vie et de sa voix si froide et pourtant si chaleureuse pour moi.

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