2. Chez Le Psy
Quelques jours plus tard, ma mère nous annonça qu'aujourd'hui, nous n'irions pas à l'école. Mais elle nous demanda néanmoins de nous habiller.
C'est seulement arrivé dans le cabinet du psychologue que je m'agitais. Nerveux, la peur au ventre, je serrais la main de ma sœur, comme si c'était la dernière fois que je la voyais. J'avais si peur que l'on me l'enlève, que je ne faisais pas attention à ce que je faisais.
Pareillement, c'est plus tard dans la journée que je sus que la douleur ne lui faisait pas mal. Car le bien et le mal étaient des notions que personne ne pourrait les lui expliquer. Elle ne savait pas, et personne n'aurait pu les lui faire comprendre.
Pour elle, si je voulais lui faire mal, elle l'acceptait sans problème, parce que j'étais son frère, son pilier, sa moitié. Dans son esprit, elle m'expliqua que j'avais tous les droits. Point, cela se résuma à ça.
Elle savait, pourtant où on se trouvait. Mais tant que je serais là, elle le serait aussi. Sa logique régissait son mode de vie et elle tournait autour de moi.
Le médecin, un homme d'âge mûr, s'avança, la mine affable, sourit à la belle jeune femme aux cheveux teintés en un châtain clair qui était ma mère, avant de lui serrer la main. Celui-ci recula alors d'un pas avant de nous sourire.
Peine perdue, j'étais trop anxieux. Et ma sœur, eh bien, c'était ma sœur. Il nous fit entrer, puis nous demanda aimablement de s'asseoir dans le vaste canapé, avant de lui-même de se poser dans un fauteuil assorti juste en face.
- Bien, pour qui est la consultation ? demanda aimablement le médecin aux cheveux bruns grisonnant à peine et au sourire clinique et professionnel.
Ma mère se racla la gorge et hésita. Inquiet, ne sachant que dire, je baissais les yeux.
- Pour moi, lança Étain de sa voix glaciale.
Surpris, je la regardais et comme moi, le médecin vit le changement opéré sous nos yeux. La vie quitta ses prunelles violines, la fausse joie disparut de son visage gracieux et ses membres se figèrent dans un calme olympique.
- Je vois, murmura le psy. C'est la première fois que tu consultes ? demanda-t-il d'une voix douce.
Ma jeune soeur hocha la tête.
- J'ai déjà vu ce regard, mais généralement sur des personnes plus âgées. Je dois avouer que tu ferais une parfaite actrice. Dis-moi, as-tu des questions ?
Moi, j'en avais plein de questions, et avant même d'avoir songé à fermer la bouche, je posais la question qui taraudait chaque être de cet univers.
- Pourquoi ?
Le docteur me regarda avec pitié.
- Je veux dire, pourquoi elle et pas moi ? Me repris-je en m'humectant les lèvres, voulant faire disparaître ce sentiment que je voyais dans ses prunelles.
Le docteur prit un instant pour réfléchir à ma question, puis, calant sa tête contre le dossier, il me répondit :
- Pourquoi le ciel est bleu ? Il n'y a pas vraiment d'explication, cela arrive, c'est tout.
- Que suis-je ? demanda alors Étain.
- Eh bien, pour commencer, es-tu heureuse ? demanda le docteur.
- J'ai Junior, répondit-elle en haussant les épaules.
Oui, elle m'avait, moi, et je serais toujours là pour elle.
- Qu'aimes-tu manger ? enchaîna le médecin.
- Je mange pour me nourrir.
Le docteur soupira.
- Aimes-tu ta mère ?
Oula, question à ne pas poser.
- Pour ce que j'en sais... murmura ma petite soeur.
- Raconte-lui ce que tu lui m'as dit, l'autre jour, ma chérie, coupa Maman, habituée.
À ses « je t'aime », elle lui répondait « moi aussi ». Mais jamais elle n'utilisait le verbe « aimer ». Même avec moi. En tant qu'infirmière, ma mère avait une petite idée sur le diagnostic, mais tant que l'on ne lui aurait pas clairement dit... Elle garderait espoir ou se bercerait d'illusions, autant que je le faisais déjà en ce temps-là.
Étain raconta de nouveau sa petite histoire avec notre camarade de classe. De Caroline, elle s'en était faite sa première amie, mais maintenant que j'y pense, il était étonnant à l'époque que quelqu'un lui parle et ose, par ailleurs, se moquer d'elle. Cela aurait dû me mettre la puce à l'oreille.
- Et ton problème, c'est de savoir en quoi cette jeune fille t'a qualifié de bête, n'est-ce-pas ? Pas d'autre chose, je me trompe ?
- Non.
- Junior ? me demanda alors le médecin. Je peux t'appeler Junior ?
J'hochais la tête, me demandant pourquoi il s'adressait à moi.
- Tu peux lui expliquer ? Je suis sûr qu'elle comprendra mieux si cela venait de toi.
J'eus ainsi la gorge sèche. Bien sûr, qu'elle comprenait mieux si cela venait de moi, mais enfin c'était lui le médecin. Si je ne l'avais pas déjà fait, c'était justement pour ne pas avoir à le faire. Mais de ses yeux perçants, il me regarda et je compris qu'il le savait parfaitement et qu'il avait fait exprès dans ce but. Alors, je me lançai.
- Étain, Caroline, t'a demandée si tu avais un amoureux, dis-je en reprenant sa main et en les frottant l'une contre l'autre. Je suis ton frère, je ne peux pas être ton amoureux. Un amoureux est quelqu'un qui ne peut être de ta famille.
- Je comprends pas, me murmura Étain. Je veux être avec toi.
Oh, moi aussi, j'ai envie d'être avec toi, si tu savais...
- Je sais, continuais-je cependant sans la regarder.
Puis soudain, j'eus une idée. Pas terrible, je vous l'accorde, mais je ne voyais pas d'autre moyen pour me tirer de là.
- Tu te souviens du cours d'éducation sexuelle ?
Du coin de l'oeil, je vis Maman sursauter. Je savais ce qu'elle pensait. Les cours sur ce sujet ont lieu aussi tôt maintenant ? Sur le web, rien n'était moins sûr.
- Eh bien, continuais-je, la mort dans l'âme, c'est ce que tu as envie de faire avec ton amoureux parce que tu l'aimes, et tu ne peux pas m'aimer moi, car je suis ton frère.
- Pourquoi ? demanda innocemment ma soeur.
- Par ce que c'est mal.
- Mal ?
- Oui.
- Mal pour qui ?
- Pour les autres, pour la société.
Cela a fait tilt à ce moment-là dans mon esprit, j'avais compris. Et parce qu'au plus profond de mon âme, je venais de comprendre et je pleurais, silencieusement car mon cœur saignait.
J'entendis Maman renifler, puisqu'elle avait compris elle aussi. Jamais ma sœur ne pourra comprendre pourquoi je l'aime et comment je l'aime. Effectivement pour elle, tout ce qu'elle verra de l'amour sera à jamais rapporté à quelque chose de mal.
Comment définir quelque chose que l'on ne ressent pas ? Comment définir quelque chose avec seulement le quart des informations ? Étain me regarda et essuya mes larmes. Ne pouvant pas pleurer, je pleurerais à jamais pour nous deux.
- Est-ce que tu comprends, Étain ? nous interrompit le médecin de sa voix douce.
- Oui. Est-ce que cela veut dire également que je n'aurais jamais d'amoureux ?
Le docteur, peiné s'essuya le front avec un mouchoir en tissus, avant de remettre ses lunettes. Remis de mes émotions, je lui pris la main et lui murmurai une cruelle vérité :
- Oui, à moins que tu fasses semblant, comme d'habitude.
Je vis passer quelque chose dans son regard, si furtivement, que je me demandai si j'avais rêvé.
- Vous allez enfin me répondre ? demanda-t-elle avec froideur, ni plus haute, ni plus basse que d'habitude, au médecin qui réfléchissait dans son coin.
Puis, mu par la détresse ambiante, il enchaîna d'un bloc :
- Tu n'éprouves ni sentiments, ni remords, tu ne sais pas faire la différence entre le bien et le mal. Tu n'as aucune intelligence sociale ni d'intelligence émotionnelle, tu compenses donc avec une intelligence de connaissance bien supérieure à la moyenne.
Le docteur avait dit cela d'un trait, comme si les mots s'échappaient de sa bouche, me donnant des coups de poignard en plein cœur à chaque fois.
- Comme un aveugle qui ne voit rien, il peut entendre bien plus que la plupart des gens, ou ressentir ce que d'autres ne font qu'effleurer. Tu es impulsive, comme un animal, tu laisses ton instinct décidé. Tu n'as aucune empathie, tu ne sais pas ce qu'est la honte, par exemple. Si on te dit de ne pas t'habiller, cela ne te dérangerait même pas de te balader nue au-dehors. Tu n'as absolument aucune personnalité... Il faudra faire d'autres tests, mais au vu de tes résultats scolaires et de tes réponses...
Il s'arrêta deux secondes avant de nous annoncer la sentence, qui tomba comme la lame d'un échafaud :
- Je pense dire sans me tromper que tu dois avoir le Syndrome du Savant et être une Sociopathe en même temps.
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