1. Une Petite Soeur Pas Comme Les Autres
- Où tu vas ? Demandais-je.
Ma jolie petite sœur venait de me lâcher la main et se dirigeait à présent dans la cuisine, où notre mère s'était retournée depuis l'évier, en entendant sa voix.
Reposant l'assiette qu'elle venait d'essuyer, Juliana regarda Étain avec inquiétude, puis elle se tourna vers moi, les yeux me suppliant de l'aider.
Ma petite sœur, qui n'avait que neuf ans et pourtant que je ne considérais comme petite uniquement parce qu'elle était née quelques minutes après moi, ne l'était vraiment pas.
Mais ma mère et moi savions tous deux, depuis bien longtemps déjà, que c'était mauvais signe lorsqu'elle me lâchait la main.
- J'ai une question à poser à Maman, me répondit Étain d'une voix douce et cependant sans aucune intonation, toute belle dans sa robe de blanc pastel accordée à nos cheveux.
Juliana, notre mère, pâlit subitement.
Nous avions appris au fil du temps à redouter les questions d'Étain, bien trop mature pour son âge, pour moi et même pour notre mère.
Ma merveilleuse sœur avait l'habitude de trouver la réponse toute seule à toutes ses questions. Donc, cela ne pouvait signifier qu'une seule chose. Et cela fit si peur à Julianna, que sans se rendre compte, elle serra d'une main le bord du plan de travail et de l'autre son chiffon.
- Maman ? demanda Étain, d'une voix si douce et si froide en même temps, sans sentiments.
Pourtant, notre mère, une belle brune plantureuse à la peau pâle et aux yeux rosés, avait l'habitude de percevoir chez sa fille ce manque incroyable de... Tout.
- Oui, ma chérie ? demanda-t-elle, d'une voix chevrotante, qui redoutait pas mal de choses de notre part à tous les deux, mais ça, je ne l'avais appris que bien plus tard.
- Hier, une fille de ma classe m'a demandé si j'avais un amoureux. J'ai répondu que le seul amour de ma vie, c'est Junior. Elle a pouffé et a dit que j'étais bête. Je crois, continua-t-elle, d'une voix prudente, devant la mine déconfite de notre mère, que je n'ai pas compris ce qu'elle voulait insinuer par là.
Je me souviens, plus tôt dans la journée, d'avoir apprécié la réponse de ma sœur avant de se sentir mal devant la moquerie de cette fille. Et ce mal-être qui me rongeait de l'intérieur me fit si mal, que sous le coup de l'émotion, je serrais les poings rien qu'avec le souvenir.
- C'est elle qui est bête, pas toi ! M'exclamais-je un peu trop vivement.
Oups, cela m'avait échappé.
Étain se tourna et me regarda de ses yeux violines, si clairs, si glaciaux, que ma fureur me quitta immédiatement. Ce regard, c'était le sien pour moi, pour moi seul.
Mon cœur se réchauffa instinctivement.
Je savais que ma sœur était différente, spécialement différente. Comme moi, je l'étais également d'une autre manière.
Je ne l'avais dit à personne, pas même à elle. Parfois, j'entendais des murmures. La plupart d'entre eux m'aidait, mais pas toujours...
Mais je faisais tout pour me rapprocher de ma jumelle, jusqu'à reproduire le même manque de sentiments dans mon timbre de voix. En espérant en retour comprendre sa même différence.
Malheureusement, cette fois-ci, j'étais trop en colère pour y faire attention.
Étain perdu, nous regarda tour à tour, les deux piliers intangibles de sa réalité.
- Maman, je te demande pardon, lança ma petite sœur adorable sans inflexion.
Je savais qu'elle n'avait posé la question que parce qu'elle n'avait pu s'en empêcher. Elle voulait savoir et pourtant elle savait également que cela allait embêter Julianna.
Cela encore, ce n'était pas si grave pour Étain qui préférait encore connaître davantage la réponse. Mais je la soupçonnais de ne pas vouloir s'en prendre à moi.
Dans son esprit d'enfant, l'information n'avait pas la même valeur en fonction de maman ou de moi. Elle était dérisoire face à mon embêtement et capitale à son embêtement à elle.
D'une rotation sublime, ses cheveux fins scintillants dans la lumière de la fin de journée, elle m'offrit un faux sourire, qui ne monta pas jusqu'à ses yeux, et me tendit la main pour que je la prenne.
Je ne pouvais dire non.
J'avançais pour la lui prendre quand notre mère prononça la phrase qui allait changer absolument toute notre vie. Le départ de notre histoire.
- Il est temps.
Étain laissa tomber sa main et regarda la femme avec un intérêt soudain. Sa déclaration avait plongé l'appartement dans le silence. Mais Julianna ne la regarda pas elle, mais moi. La tristesse avait envahi mes traits, impossible de la contenir et une larme silencieuse coula sur ma joue.
Car du haut de mes neuf ans, je savais qu'elle avait raison, mais ce n'était pas pour autant que je le voulais. Au contraire, j'aurais voulu garder ma petite sœur encore un temps dans l'ignorance. Ou la mienne.
- D'accord, grognais-je cependant, en hochant la tête machinalement.
Comme si l'avoir dit n'était pas suffisant. Mon cœur se serra dans ma poitrine et mes épaules s'affaissèrent dans mon t-shirt à manche longue bicolore de noir et de blanc. Ses couleurs préférées.
Je pris ma sœur, si mignonne, dans mes bras, la serrant contre moi. Je savais qu'au fond, elle ne devait pas comprendre grand-chose à un tel geste. Mais j'en avais tant besoin !
Résolu, je l'embrassai sur le front, puis je lui repris la main avant de la conduire de nouveau vers le salon pour faire nos devoirs.
C'est plus tard que je sus, à ce moment-là, que ma mère avait pris le téléphone, avait composé un numéro. Celui d'un certain Docteur Garned.
Quant à moi, je me rappelais la première fois où j'avais compris que ma sœur était différente.
La rentrée scolaire en petite section de maternelle. En fait, j'avais cru que c'était moi qui étais différent des autres enfants, avant de me retrouver dans cette classe. Après tout, c'était Étain le modèle, pas moi.
Appréciation de ma maîtresse : « Nate Junior est drôle, rieur et sympathique, attire les foules avec sa bouille toute mignonne et son charme qui lui promet de devenir un beau jeune homme plus tard. »
Mais qui écrivait ce genre de commentaires ?!
Mais pas Étain, au contraire, son regard vide, sa voix glaciale et son intelligence hors du commun faisait fuir n'importe qui. Sauf moi.
Je me souviens encore du regard de la maîtresse. Je n'avais pas aimé. De la peur et du dégoût. Je les avais identifiés dans les yeux de la femme que j'avais trouvée gentille, puis de la pitié lorsqu'elle avait vu que je la regardais.
De gentille, la maîtresse était passée méchante et vilaine. Moche par-dessus le marché.
Le lendemain, Étain n'avait jamais plus été la même. Elle avait su copier les autres enfants à la perfection, si bien qu'elle les berna tous. Excepté la maîtresse.
Moi, je savais toujours quand elle n'était pas vraiment elle-même. Tous les jours, elle s'exerça pour cacher ce qu'elle était réellement. Mais je me fâchais la semaine d'après, lorsqu'elle le fit également à la maison.
- Non, ici, chez nous, tu n'as pas à te cacher, je t'aime comme tu es.
Elle avait souri. Un sourire froid, qui m'avait pourtant réchauffé le cœur : celui-ci n'était pas faux.
La fois d'après, ce fut lorsque nous entrâmes à la Classe Préparatoire, le CP. La maîtresse, subjuguée par les capacités hors du commun de ma sœur, a contacté notre mère dans l'espoir de lui faire sauter une classe.
Juliana avait alors proposé que l'on demande à la principale intéressée. Je me souviendrais à jamais de sa réponse, un souvenir que je chérissais par-dessus tout.
- Junior, montera dans la classe supérieure avec moi ?
Quand elle sut que la réponse était négative, Étain répondit avec un sourire entendu :
- Je n'irai jamais nulle part sans Junior.
Depuis ce jour, je faisais tout pour exceller dans toutes les matières, travaillant d'arrache-pied pour me montrer à la hauteur de son sacrifice et de sa reconnaissance.
La toute dernière fois, cela avait failli tourner au cauchemar. Pierre, un camarade de classe, s'en était pris à moi par pure jalousie. J'étais apprécié de tous et pas lui...
Il faut dire que je faisais tout pour que l'on laisse ma sœur tranquille. Quitte à faire le pitre avec un mot pour rire. J'étais agréable à regarder, avec mes cheveux blond pâle et mes yeux violets, toujours de bonne compagnie.
Pierre avait fini par m'attraper et me frapper sans aucune raison, me traitant de fils de démon, propre à un comportement immature.
Dans sa logique, mon look atypique et mon absence de figure paternelle justifiaient son raisonnement excentrique. Mais il avait oublié ma sœur, qui restait toujours à mes côtés, et qui s'était tellement rendue invisible qu'il ne vit rien arriver.
Elle l'attrapa et rendit chacun de ses coups. Pour finir, elle ne lui avait laissé aucune chance, serrant de ses petits doigts fins son cou jusqu'à l'étrangler.
Toujours par terre, j'avais su qu'elle aurait pu continuer jusqu'à tuer sans que cela ne lui fasse aucun effet. Je l'aurais bien laissé faire, si on ne me l'aurait pas arraché à moi. À contrecœur, je lui avais ordonné d'arrêter.
Pourquoi m'avait-elle obéi ? Nul ne le savait.
Même pas moi, alors que je ne contemplais qu'un grand vide dans son regard, qui avait fait peur à plus d'un. Sa réputation de dur à cuire la poursuivie, et plus personne n'osa sans prendre, ni à elle, ni à moi.
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