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— Je n'en suis nullement la cause ! rétorqua Helena à la suite de ses reproches. Si Benoît est devenu un tueur, c'est parce qu'il l'a voulu, et personne d'autre ! Personne n'a mis un couteau sous sa gorge pour le contraindre à tuer ! Et puis, c'est lui qui a tué ce chien, pas moi ! Il est le seul fautif dans cette histoire !

Cédric se redressa et contesta :

— Certes, il est difficile d'arrêter de tuer après avoir commis un premier meurtre, certes, il est le seul à avoir tué ce chien ! Mais s'il-vous-plaît, Madame Hernández, remettez-vous pour une fois en question ! Vous êtes la principale cause de ce malheur ! C'est vous qui l'avez plongé dans une vie aussi malsaine que celle qu'il vit. Il ne faut tout de même pas ignorer le fait que vous êtes sa mère, son exemple. Vous étiez censée l'éduquer, lui apprendre à vivre, l'aider à prendre conscience des choses morales et immorales. Vous êtes consciente que vous avez manqué​ à votre devoir ! ? Vous avez échoué...

Elle se leva et lui coupa la parole :

— Ça suffit ! Vous n'êtes personne pour m'indiquer mon travail. Vous n'êtes pas son père !

— Heureusement !

Elle se pencha vers Cédric :

— Je vous conseille de rester dans votre rôle, monsieur le policier.

Cédric esquissa un mince sourire pour canaliser sa colère, et répondit :

— C'est une menace ?

Et là, il affronta son regard, sans le lâcher d'une semelle. Un malaise traversa toute la salle. Sa phrase resta en suspens. Plus aucun bruit ne se fit. Un silence assez inquiétant flottait lourdement dans l'air.

— Vous avez un problème, Madame Hernández ?

Helena fit les quatre cents pas.

— Non, finit-elle par répondre.

C'était sans doute son statut de policier qui la retenait.

— C'est lui qui souffre dans tout cette histoire, Madame Hernández. Pas vous.

— Vous croyez que je ne souffre pas ! ? Vous croyez que la criminalité​ de mon fils ne m'ébranle pas ! ? Bien sûr que je suis touchée. Vous ne l'imaginez pas. Je souffre jours et nuits de savoir qu'il est devenu un monstre. Je ne le reconnais plus.

— Tout ceci est votre faute.

Cédric se leva et s'approcha d'elle.

— Il est temps que vous vous en rendiez compte, ajouta-t-il en posant fébrilement sa main sur son épaule droite.

— Ce n'était pas mon intention..., lança-t-elle avec remords.

À travers le timbre de sa voix, on sentait qu'elle était à deux doigts de pleurer.

— C'est vous qui avez fait de Benoît ce qu'il est devenu aujourd'hui. Et à cause de vous, ma femme est entre ses mains.

— De quoi est-ce que vous parlez ?

Elle se retourna pour lui faire face.

— Je dis qu'il a enlevé mon épouse, Léa Vermandois. Ça vous dit quelque chose ? Je ne veux pas fouiller la vie de Benoît pour fouiller sa vie. Mais parce que la vie de ma femme est en péril. J'ai besoin de l'aider. Je veux savoir à qui nous avons affaire. Parce que, juste avant que je ne vous rencontre, Benoît n'était pour moi qu'un nom.

Elle prit un court instant pour réfléchir et se lança :

— J'ignorais que l'assassinat de ce pauvre chien était le début d'un long calvaire. Vous savez ce que Benoît m'a dit ? Qu'il ne le supportait plus, qu'il refusait de s'attacher à un autre être, de peur qu'il s'en aille sans lui. Donc il s'est débarrassé​ de lui à temps. Il m'a expliqué qu'il n'a jamais demandé à avoir un animal domestique, que c'est moi qui l'ai soumis à une telle responsabilité, et que lui dans tout ça, il n'avait pas son mot à dire.

Helena parlait d'un ton calme, les yeux rivés sur le sol. De temps à autres, elle jouait avec ses mains. Quelque chose la picotait, et il fallait qu'elle livre à Cédric les souvenirs qui la hantaient depuis toutes ces années concernant Benoît.

— Je n'avais pas l'intention de lui faire ça. Je ne voulais pas l'obliger à faire quoi que ce soit, croyez-moi, Vermandois.

— Si, si, je vous crois, ne vous inquiétez pas.

Quand Helena poursuivit son histoire, Cédric apprit que Benoît avait consacré​ toute son adolescence, enfin, la moitié, à la délinquance. Il braquait les passants, cambriolait des bijouteries, des banques, des magasins... Faisait les poches à ses camarades pour pouvoir amasser de l'argent. La mort de son père l'avait rattrapé, et il en souffrait terriblement. Il voulait arrêter d'y penser, mais plus il cherchait à ne plus y penser, plus il y songeait. Alors, voler et boire était pour lui l'unique recours, l'unique échappatoire. Tout ce qu'il voulait, c'était occuper ses pensées avec des choses plus amusantes, plus exaltantes. Il lui arrivait souvent de coucher avec des gamines et de les planquer là, sans rien dire.

En effet, la vie de Benoît Hernández n'avait pas été l'une des plus roses qui puissent exister. Loin de là.

Et puis, il était arrivé un jour où il avait provoqué​ une violente bagarre à la récréation, ce qui avait poussé​ le principal du collège à le renvoyer. Personne ne connaissait son passé, son présent. Pourtant, tout le monde le critiquait, le pointait du doigt. La seule vision qu'ils avaient de lui était celle d'un bon à rien, d'un profiteur, d'un connard, d'un délinquant, d'un garçon violent... Mais jamais personne n'avait pris la peine de s'asseoir et de se demander pourquoi il agissait ainsi. C'est vrai, après tout. On n'est jamais trop gentil, comme on n'est jamais trop méchant. S'il commettait de telles atrocités, c'était parce que la douleur que lui procurait le départ de son père l'empoignait et compressait cruellement son cœur. Peut-être qu'il voulait tout simplement endurcir son cœur afin d'éloigner cette affliction qui ne le lâchait plus.

Helena avait déployé​ maints efforts pour trouver une école capable d'accepter Benoît. Plus d'une vingtaine l'avait refusé, jusqu'à ce qu'un établissement religieux veuille bien l'accepter. C'est à ce moment-là qu'il avait fait la connaissance de Léa. Il avait l'habitude de traiter les filles comme des vulgaires chaussettes. Mais elle, il la trouvait différente. Quand il était à ses côtés, il se sentait comme sur un nuage. La vie lui paraissait beaucoup plus douce, beaucoup plus belle. Avec elle, il oubliait tous ses problèmes. Et c'est ce qui l'avait conduit à tout lui conter concernant son existence, un jour, quand la confiance s'était installée. Et c'est là qu'elle avait appris à le connaitre, à le comprendre, et à l'accepter tel qu'il l'était. Contrairement à ce que les autres voyaient de lui, elle voyait un homme bon en lui. Elle savait que tout ce malheur qui se jetait durement sur sa tête n'était pas sa faute. Elle savait qu'il était innocent dans cette histoire. Et c'est pour cela qu'elle voulait l'aider. Elle croyait en lui, elle aurait mis sa main à couper qu'il était innocent. Elle était sûre et certaine qu'il aurait réussi à dépasser cet évènement, et à ne regarder que vers l'avant. Elle le soutenait dans tout ce qu'il entreprenait. Elle l'inscrivait dans divers ateliers proposés par l'école, histoire qu'il se défoule un peu, qu'il libère ses sentiments et émotions... Pour qu'il se sente mieux tout simplement.

Ceux-là s'aimaient comme des fous. Et les cinq ans et dix-huit mois qui avaient créé une certaine distance entre eux après leur sortie du lycée​ les avait profondément fait souffrir. Mais jamais séparés. Quand Léa était devenue avocate en droit pénal, elle s'était précipitée dans le mariage avec Benoît, en dépit du fait qu'il poursuivait ses études de médecine. Léa n'imaginait pas faire sa vie sans lui. Elle les voyait tous les deux entourés de milliers de petits garnements en train de courir. Façon de parler ! Ils semblaient ne jamais se lasser l'un de l'autre. Cependant, Benoît trouvait que leur relation manquait de sexe. Elle ne voulait pas faire que ça de sa vie. Mais lui, il voulait combler ce vide en lui. Léa n'avait jamais imaginé​ qu'un tel problème serait survenu en s'engageant dans un mariage avec lui. Et surtout, elle ne savait pas qu'il serait allé jusqu'au bout de ses besoins.

Benoît avait trouvé une autre femme ailleurs, disponible à plein temps pour si jamais des envies lui venaient. Tout cela avait duré pendant un long moment. Et son amant, qui n'était autre que la meilleure amie de Léa, croyait réellement qu'il l'aimait. Elle lui demandait même de divorcer de Léa. Mais il ne le faisait pas. Jusqu'au jour où elle avait eu assez de n'être que son amant, à devoir se cacher de tout le monde. Elle voulait que toute l'humanité​ sache qu'elle aimait Benoît. Alors, elle avait commis l'irréparable. Elle avait saisi le téléphone et s'était mise à composer le numéro de Léa pour que les secrets ne deviennent que poussière. Elle ne devait pas le faire car Benoît le lui avait interdit. Malgré​ son infidélité, il tenait à Léa. Il ne voulait pas la perdre. Il ne voulait pas qu'elle s'en aille et qu'il souffre de nouveau du manque d'un être qui lui était cher. Encore une fois, son acte était bien justifié. Et il ne fallait pas lui en vouloir. S'il avait trompé Léa, c'est parce qu'il cherchait à combler ce vide en lui que causait l'absence de son père. Mais Léa n'avait pas voulu lui venir en aide.


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