53
Depuis très longtemps Cédric frappait bruyamment la porte. Pourtant, Helena ne semblait pas vouloir lui ouvrir. Il commençait à faire froid et son pull en laine ne lui servait à rien. Il frottait ses mains afin de voler ne serait-ce qu'une moindre chaleur. Il en avait grandement besoin.
Il entendit des pas lents, lourds, et agaçants venir jusqu'à lui. Puis plus rien. La personne se trouvait juste derrière cette porte et ne daignait pas le libérer de ce froid glacial. Après quelques secondes d'hésitation, elle ouvrit la porte, mais juste un peu. À ce moment-là, elle pencha légèrement la tête dans le mince espace qu'elle avait créé et glissa ses yeux le long du corps de Cédric en partant du bas.
— Qui êtes-vous, lui demanda-t-elle d'un ton grossier.
— Cédric Vermandois...
Il n'eut pas le temps de finir qu'elle tenta de lui claquer la porte au nez. Mais Cédric introduisit à temps ma jambe droite chez elle, ce qui interrompit le mouvement de la porte.
— Mais dis donc, on ne vous a pas appris la politesse. Quelles sont ces manières irrespectueuses ! ?
Elle haussa la voix :
— Sortez d'ici !
Il esquissa un faible sourire avant de faire complète irruption chez elle. Ce n'était pas déjà un endroit chaleureux, vu l'obscurité qui y régnait, et la chaleur immonde qui les recouvrait.
— Je vous ai demandé de sortir d'ici ! insista Helena en le suivant.
— Ou sinon quoi ?
Il se retourna vers elle pour lui faire face.
— Ou sinon ça va mal se passer pour vous.
Un sourire se dessina sur le coin de ses lèvres avant qu'il n'ajoute :
— Tant mieux, j'aime les défis.
— Vous ferez moins le malin lorsque vous verrez arriver la police.
— Je suis la police, chère Madame.
Elle déglutit. En promenant son regard partout, comme en attente qu'elle l'invite à s'asseoir, il fit telle remarque :
— Mais j'ai l'impression que vous me connaissez... Je me trompe ?
Elle n'ouvrit pas la bouche.
— Je pense, insista-t-il avec conviction, que le nom Cédric Vermandois vous est familier. Cessez de jouer au roi du silence avec moi. Et maintenant, répondez-moi avec toute franchise... Qui est Benoît Hernández ?
Après quelques instants d'hésitation, Helena l'invita à s'asseoir et fit de même.
— Très bien, je vous dirai tout dans les moindres détails. Alors, soyez très attentif, car l'histoire risque d'être longue.
Cédric resta comme en attente qu'elle commence son récit. Elle entrouvrit légèrement les lèvres et débuta.
Benoît était très jeune quand il avait vu son monde déferler sous ses yeux. Il n'avait pas demandé qu'une telle tragédie se produise. Il n'avait en aucun cas cherché à vivre un événement aussi accablant. C'était un simple petit garçon de trois ans, tout fragile, qui venait tout juste de sentir ce bonheur inespéré de vivre... Mais ce jour-là, il avait fallu d'un petit rien pour que tout vacille. Helena se rappelait ce moment comme si c'était hier. Son mari et elle venaient d'entreprendre une violente dispute. Ce n'était pas la première à laquelle leur fils avait assistée. Pourtant, il semblerait que celle-ci l'avait profondément touché. Vous n'imaginez pas les cris, les insultes, les horreurs, les mépris qu'il avait dû recevoir en pleine face comme s'ils l'étaient destinés ! Vous n'imaginez pas le malaise qui s'était installé dans la pièce ! Benoît devait probablement suffoquer de cette situation qui perdurait et qui l'étouffait. Et ses deux parents n'auraient jamais deviné que la pérennité de ce conflit aurait fait plus de mal à Benoît qu'à eux deux réunis.
Ce jour-là, une pluie diluvienne assénait la ville. Un froid glacial s'emparait de la population de Dunkerque. Cependant, la météo ne semblait pas avertir Bernard du danger qu'il encourait en s'engageant sur la route. Il avait impitoyablement entraîné son fils avec lui dans la voiture. Helena avait beau tenté de le raisonner, de le prévenir que partir sur un coup de tête, et surtout, avec le pauvre gamin, ignorant ce qu'il se passait autour de lui, était l'une des plus grandes folies qu'il avait faites. Mais son entêtement était beaucoup plus résistant qu'elle ne le croyait. Il ne voulait rien savoir, il voulait partir très loin d'elle. Et il prétendait vouloir le « bonheur » de Benoît, vouloir le préserver de ce « monstre » qu'était Madame Hernández.
Et il était regrettable qu'il n'eût pas réalisé à temps la stupidité de son acte. Car il avait dû le payer cher. À peine qu'il avait quitté le quartier, un énorme camion avait percuté sa voiture et l'avait dirigé tout droit dans une boutique souvenir. Et malheureusement, il n'était pas aussi fort pour survivre après ce terrible accident. Il était mort sur le coup, sans s'apercevoir qu'il aurait été plus juste qu'il écoute sa compagne. Heureusement que le petit n'y était pas passé. Helena, jusqu'en ce jour, était soulagée que son fils se fût accroché à la vie.
Revenant à ce tragique accident, Benoît, sous le choc, ne savait que faire hormis verser toutes les larmes de son corps, jusqu'à ce qu'un passant le trouve et appelle les secours. Sa mère, après avoir exprimé la reconnaissance qu'elle portait pour cet inconnu, s'était jetée sur son fils en lui répétant : « Je suis là mon amour. Tout ira bien. ». Ce n'était plus qu'une simple scène émouvante entre mère et fils, mais une scène déchirante, portant encore la blessure que cet événement avait causée au plus profond de leur âme. Car désormais, plus rien n'aurait été comme avant. La mort abrupte de Bernard, aussi choquante qu'elle avait été jadis, avait commencé à les brûler, à les tirailler de l'intérieur. Car il était clair que Benoît avait déjà eu le temps de s'attacher à son père, de le voir parmi eux, de lui parler, de lui raconter tout ce qui lui passait par la tête... C'était un enfant ! Un enfant de trois ans qui avait toujours besoin de son père à ses côtés. Et à entendre les cris douloureux qu'il poussait, Helena ne pouvait plus garder en otage les larmes qui ne demandaient qu'une seule chose, se libérer.
Helena aussi suffoquait, mais en silence. Car c'était l'homme avec lequel elle avait décidé de faire sa vie depuis sa tendre adolescence. Pourtant, elle avait tendance à adopter un comportement insoutenable vis-à-vis de son défunt mari. Elle avait coutume de se montrer froide face à lui. Elle avait refusé de lui témoigner les belles facettes de sa personnalité qu'elle renfermait. Parce qu'il l'avait tant trompé, tant humilié, tant fait souffrir, qu'elle était au bout du rouleau. Elle ne comptait plus donner tout son amour à un homme qui, pour elle, ne le méritait pas.
Mais après, pouvons-nous croire à son témoignage sans avoir entendu celui de Bernard ?
— Continuez, Madame Hernández ! lui demanda Cédric.
— Mon fils a appris à vivre avec ça sur la conscience. Il avait passé sa jeunesse à me jeter les pierres, à me rendre responsable de la mort de mon mari.
Mais après quoi, elle en était bien consciente. Et c'est ce qui lui faisait le plus de peine. Quand il avait eu douze ans, Helena avait tenté de l'aider à oublier le choc émotionnel qu'il subissait depuis ses trois ans en lui achetant un adorable chiot. Mais visiblement, plus rien ne pouvait désormais compter à ses yeux. Et il l'avait sauvagement assassiné en laissant derrière son acte criminel, des marques de sang, et le cadavre sur le sol, comme si tout cela était naturel. Ahurie de découvrir la monstruosité qu'avait commis Benoît, Helena avait décidé de couvrir ce meurtre, craignant les regards accusateurs des voisins. Après tout, ce n'était que la première fois ! se disait-elle. Helena avait enfermé le corps du chien abattu dans un sac plastique et, sous les yeux innocents de cet enfant, avait nettoyé soigneusement le couteau, et avait essuyé toute marque de sang. Puis elle s'était rendue sur le pont de Dunkerque pour se débarrasser du corps du pauvre animal qui n'avait rien fait pour se retrouver dans une telle situation.
Bernard n'avait finalement pas tort, Helena était dangereuse. Il avait même très bien fait de partir avec Benoît. Il est fort regrettable que la chance n'eût pas été de son côté en ce jour. En effet, en y réfléchissant bien, c'était Helena qui avait fait si Benoît était devenu ce qu'il était en ce jour. Car depuis qu'il était tout petit, au lieu de lui montrer l'ignominie de son acte, elle lui avait montré que tout ceci était futile, qu'un crime pouvait être masqué. Elle lui avait évité la leçon. Elle devrait avoir honte d'elle ! Si elle ne l'avait pas aidé, il se serait rendu compte de la gravité de ce fait, et n'aurait jamais recommencé. En fin de compte, la faute était sienne. Elle avait gâché la vie de son fils. Et le besoin de le lui dire dépassait Cédric.
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