52


Le lendemain matin, très tôt Benoît quitta son appartement, sans rien dire à sa mère. Il avait pris la lourde décision de rester vivre avec Léa. Il voulait gouter de nouveau à ce plaisir de partager le même toit que Madame Guérin, ou plus communément Vermandois.

Benoît tourna la poignée de la porte, et fit irruption dans la pièce. Au même moment, Léa se leva et le regarda, les yeux dépeints.

— Qu'est-ce que tu faisais ? lui demanda-t-il.

— Rien. Je dormais.

— Très bien.

— C'est quoi ça ? demanda Léa, surprise de le voir déposer ses bagages sur le sol.

— Mes affaires.

— Et tu comptes faire quoi avec ?

— Bah, à ton avis ! ? Je suis venu vivre avec toi, t'accompagnant jusqu'à​ ta mort.

Elle tourna la tête, répugnée.

— Pourquoi tu affiches cette tête ? Il y a quelque chose qui ne va pas ?

— Tu es sérieux ! ? Non mais...

Elle ferma les yeux, les rouvrit, marqua une pause et reprit :

— Tu es vraiment sérieux ! ? Tu as tué ma mère, ma meilleure amie, tu as tenté​ de tuer mes enfants, tu m'as emmené de force dans ce trou à rat, je suis obligée de dormir sur ce sol tout collant, mes dents sont sales parce que je n'ai pas brossé ma bouche depuis deux semaines, j'ai les cheveux tous secs, la peau grasse...

— Je m'en bats les reins, Léa... !

— ..., tu décides de vivre avec moi jusqu'à ce que tu me tues... Et tu me demandes s'il n'y a pas quelque chose qui ne va pas ?

Benoît esquissa un mince sourire et se servit un verre d'alcool.

— Est-ce que toi, tu vas bien, Benoît ?

— Parfaitement. Et je vais t'avouer quelque chose de fâcheux, Léa.

Elle baissa la tête et sa tignasse brune retomba devant son visage.

— Vas-y ! lança-t-elle. J'ai entendu tellement d'aveux de ta part que je m'attends à tout. Attends, laisse-moi deviner... Tu as tué Cédric ?

— Non, Léa, ne sois pas pressée. Pour l'instant, ton mari n'est pas un problème pour moi. Parce que je t'ai toi. Mais... Lorsque j'aurais assez d'entendre parler de lui, je le buterai.

Léa ferma les yeux et des larmes coulèrent le long de ses joues rosies. Sans doute était-elle en train de se préparer à accepter cette affreuse image qui s'apprêtait à se dessiner sous ses yeux.

— Arrête de pleurer, Léa, je n'aime pas ça... Tu sais que te voir pleurer me fait souffrir.

Elle leva la tête et planta son regard dans le sien avec une lueur d'espoir.

— Ah, il te reste une part d'humanité, dit-elle.

— Mais non, Léa, quand tu pleures, ton cœur s'apaise. Mais moi je veux qu'il soit lourd...

Il la fixa droit dans les yeux et ajouta d'une voix terrorisante :

— ... Jusqu'à ce que tu ne puisses plus le supporter.

— Tu ne voulais pas me voir pleurer à tes pieds, non ?

— Hum... C'est vrai. Tu as raison. Je le voulais. Mais il se trouve que tu ne pleures pas à mes pieds pour que je puisse t'humilier en compensation. C'est dommage ! Parce que j'aurais préféré​ que ça se passe ainsi. Mais vu que non, tant pis. C'est soit ça, soit rien.

Elle leva la tête au ciel, et en souriant faussement, elle s'exclama :

— Très bien, je n'ai pas le droit de pleurer.

Des larmes de douleurs profondes prirent le risque de s'échapper de ses yeux. Benoît avança alors sur elle.

— Eh ! Qu'est-ce que j'ai dit ?

— Tu vas m'interdire​ aussi d'avoir mal ?

— Non, surtout pas !

Il esquissa un vilain rictus.

— Parce que je veux que tu souffres pour le restant de tes jours.

Elle avala difficilement sa salive, sans détacher ses yeux des siens.

— Tant que tu vivras sous mon toit, tu n'auras pas le droit de pleurer. Est-ce bien clair ?

Elle hocha la tête et lui jeta un regard terrible, menaçant.

— Maintenant il est grand temps que tu saches tout, ajouta-t-il.

— Tout de quoi ?

Léa esquissa une affreuse grimace.

— Sur une affaire qui n'a jamais été élucidée.

Elle devint sérieuse et resta stoïque, comme en attente d'une suite...

L'heure était venue.

— J'ai incendié​ l'orphelinat Saint Joseph.

Léa resta sans rien dire. Comme si elle avait perdu l'usage de la parole. La nouvelle lui était sans doute venue de manière trop abrupte, trop crue. Benoît posa sa main sur son épaule droite et lui demanda avec une pointe de désinvolture :

— Un verre d'eau ?

Elle secoua légèrement la tête pour dire non. Benoît aventura ses doigts sur une mèche de ses cheveux pour la repasser derrière ses oreilles.

— Ne me touche pas ! avertit-elle.

Il passa sa langue sur mes lèvres pour les humidifier, et en partant à la recherche de son regard, il lui demanda d'un ton sombre :

— Et qu'est-ce que tu vas me faire ?

Cette fois-ci, juste pour voir ce dont elle était capable, juste pour tester sa capacité​ à se défendre, il promena sa main sur sa chevelure brune. Et là, elle fit telle remarque :

— Tu as laissé​ une innocente être accusée à ta place !

Son regard était empli de regrets, d'amertume... Et surtout, on pouvait noter une touche de dédain dans son expression faciale. Elle semblait être révoltée. Et ses yeux qui avaient pris l'habitude de fuir ceux de Benoît s'étaient engagés dans un affrontement sans merci avec les siens.

— J'ai de la peine pour toi, Léa... Tu as toujours cru que ta connaissance parfaite en droit pouvait faire le poids contre mes connaissances en supercheries et en perversité​.

— Je comprends que ma souffrance ne t'ébranle en rien, mais au moins rends-toi compte que tu as laissé une innocente aller en prison par ta faute !

— ...

Benoît se toucha les barbiches.

— Hum... Je comprends, Léa. Tu essaies de te faire passer pour une bonne personne, c'est ça ? Mais tu ne l'es nullement car...

Il approcha sa tête de la sienne et poursuivit :

— Tu es mauvaise. Tu es égoïste, tu ne penses qu'à toi, à la gloire, au succès... Tu ne penses qu'à devenir la meilleure, à écraser les autres. Mais au fait, en réfléchissant deux fois, je me rends compte que tu es comme moi, Léa. Tu n'as aucune pitié​, tu veux tout le temps remporter les combats auxquels d'ailleurs tu te livres avec acharnement... Tu ne penses pas une seconde à ce que les autres pourraient éprouver... Ce que tu veux, c'est piétiner, détruire, et montrer que la puissance, tu es la seule à l'avoir. Mais tu vois le monde entier comme une guerre, Léa ! Mais tu ne comprends pas que tu es seule à semer des épines sur ta route ? Plus tu verras le monde comme un combat, une lutte, plus tu sombreras dans le malheur. D'ailleurs, tu n'as jamais été heureuse. Et tu sais pour quoi ? Parce que tu es incessamment en guerre avec les autres. Et il faut savoir que la guerre éloigne la paix...

Léa versa une larme de souffrance. Elle ne prononçait plus rien. La seule chose dont elle était maîtresse, c'était le silence et la solitude.

— Tu ne penses pas au mal que tu causes autour de toi, je ne vois pas pourquoi tu me demandes de le faire.

Il afficha un regard haineux.

— Mais tu es drôle, Léa, lâcha-t-il en soutenant la même expression. J'espère que tu as bien profité de tes vingt ans de paix, de gloire, de succès... Tu peux appeler ça comme tu veux. Je m'en fiche. Et tu sais pourquoi je te dis ça ?

Léa ne répondit point.

— Parce que je suis de retour, prêt comme jamais pour te faire connaitre mieux que quiconque la définition parfaite de la souffrance. Avoue, tu en sais déjà plus que la Terre entière. C'est normal, je suis un excellent professeur.

— Je ne suis personne pour prétendre que je souffre plus que quiconque.

— Tu as raison, Léa, tu n'es personne.

Il se mit à applaudir.

— Je suis très content que tu t'en sois enfin rendue compte, nota-t-l, le sourire aux lèvres.


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