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MARDI 11 MAI 2016...
Léa avait passé toute la journée dans son bureau à réviser le dossier de sa cliente. Tout ce qu'elle souhaitait à présent, c'était de rentrer chez elle, se couler un bon bain, et profiter de sa famille. Elle accordait en effet très peu de temps à son époux et à ses enfants, car elle était tenue à des obligations professionnelles : elle ne pouvait pas se permettre de délaisser ses clients au profit de sa famille. Mais ça, son époux ne le comprenait pas, et il ne se gênait pas de lui faire des reproches.
Léa avala la dernière goute de café qu'il restait dans la tasse, et se leva enfin de sa chaise, après de longues heures. Elle était seule dans son bureau car elle avait autorisé sa secrétaire à partir quelques heures plus tôt. Si Léa était exigeante envers elle-même, elle l'était moins envers les autres.
Léa ne prit pas le temps de nettoyer le bureau. Elle abaissa simplement les volets, puis les rideaux, et s'en alla.
Léa arriva devant sa voiture et commença à sortir ses clés de son sac. Mais la sonnerie de son téléphone l'arrêta. Elle s'empressa alors de le décrocher.
« Allô ? », prononça-t-elle d'une voix harassée.
Léa attendit quelques instants, croyant obtenir une réponse. Mais elle n'entendit rien. Alors, elle haussa la voix et demanda d'un ton presque péremptoire :
« Qui est-ce ? »
— A partir de maintenant, tes jours sont comptés, Léa Vermandois...
— Qui êtes-vous pour me parler ainsi ?
La personne raccrocha aussitôt. Léa ne savait pas qui c'était, mais elle n'avait pas peur.
JEUDI 12 MAI 2016...
Le lendemain, Léa se rendit à la gendarmerie déposer une plainte contre X, puis alla au tribunal plaider pour sa cliente, accusée du meurtre de son défunt époux, et de recel de stupéfiant. Elle s'appelait Michelle Beaufort. Elle avait quarante-deux ans. Elle était enceinte. Avant d'être accusée de meurtre et de recel de stupéfiants, Michelle avait été la petite fille de parents pauvres. Ses parents travaillaient, mais leurs revenus étaient insuffisants. Ils étaient d'ailleurs menacés d'expulsion. Ce temps-là, ils n'avaient personne pour les aider. Ils avaient donc fini à la rue. Ils avaient passé huit mois dehors, sans couverture, dans le froid glacial... En dépit de la charité qu'ils demandaient aux passants, personne ne les venait en aide. Michelle avait ainsi fini déscolarisée... à 13 ans. Par la suite, elle avait rencontré dans un coin de rue, Nicolas, un jeune garçon assez sympa, qui voulait bien l'aider, elle et sa famille. Nicolas avait, tout comme elle, 13 ans. Mais ses parents étaient aisés.
Quelques jours plus tard, les parents de Nicolas avaient permis à Michelle de reprendre sa scolarité, et avaient par ailleurs hébergé ses parents, le temps que ces derniers trouvent un travail. Mais la mère, souffrant de problèmes respiratoires, décéda quelques semaines plus tard. Quant au père de Michelle, ne pouvant supporter la disparition de sa femme, il sombra dans l'alcool avant de se suicider.
La nouvelle avait été dure pour Michelle, qui avait dû faire un suivi psychologique. Elle avait fini dans une famille d'accueil, même si elle continuait à voir Nicolas, qui lui était d'un grand soutien. Ils s'aimaient d'ailleurs. Ils voulaient se marier.
Quelques années plus tard, ils se marièrent et décidèrent de s'installer ensemble. Leur objectif premier était désormais de fonder une famille.
Mais les choses avaient pris un tout autre tournant à l'annonce du décès des parents de Nicolas à la suite d'un accident de voiture. Ils s'étaient probablement tués après avoir perdu tous leurs biens dans un jeu de poker. Nicolas se retrouvait sans héritage. Il commença alors à se droguer, à vendre de la drogue... Michelle retrouvait des tonnes de paquets sous leur lit, dans la commode, dans l'armoire, derrière les toilettes... Nicolas lui faisait la promesse d'arrêter, mais il continuait, et d'après les dires des voisins, il trempait dans de sales affaires avec l'un des plus grands narcotrafiquants de la Colombie, venu se réfugier en France. Il s'agissait de Vicente Santa Monica.
Michelle avait peur pour son enfant qu'elle attendait. Elle estimait que Nicolas était un très mauvais exemple pour leur enfant... Elle avait d'ailleurs perdu toute confiance en lui. Nicolas lui demandait une seconde chance, et lui promettait un avenir meilleur, en lui parlant du sac d'argent qu'il détenait.
— Je n'avais jamais eu l'occasion d'avoir en ma possession une telle somme..., ajouta-t-elle à l'assemblée... et je voyais ma vie se transformer positivement. Je m'imaginais faire énormément de choses avec, tout ce que je n'avais jamais pu réaliser jusque-là. A cet instant, je me suis dit que plus jamais je n'aurais souffert de manque d'argent.
Michelle avait dit à Nicolas combien elle l'aimait, et s'était empressée de faire ses valises dans la chambre, pendant que celui-ci l'attendait dans le salon... mais elle ne savait pas dans quoi elle s'embarquait...
El Gato avait fait irruption dans leur maison avec ses hommes de mains, le révolver braqué en direction de Nicolas. Michelle, qui se trouvait encore dans la chambre, avait entendu des bruits dans le salon, et notamment des cris... Elle avait compris que Nicolas n'était pas seul, et qu'il était mal, qu'ils étaient mal ! Elle avait poussé les rideaux du couloir pour obtenir confirmation.
« Où est mon blé, sal fils de pute ! »
Michelle était horrifiée. Elle ne savait plus quoi faire. C'était elle qui détenait cette somme, mais elle ne voulait pas qu'El Gato la récupère. Elle pensait à elle, à son enfant... Elle se disait qu'elle ne pouvait pas rendre à El Gato le sac... Mais en même temps, elle pensait à Nicolas...
Le révolver était pointé sur la tempe de Nicolas, mais Michelle avait préféré fermer les yeux... El Gato avait tiré sur la gâchette, et Nicolas s'était étalé de tout son long sur le sol, trempant dans sa propre marre de sang. Michelle avait commencé à pleurer... mais en silence. En effet, elle ne voulait pas qu'on l'entende. Elle s'était alors précipitée dans la chambre. Elle avait fermé la porte à clé, et s'était mise à chercher une issue...
Michelle termina son récit, et le Président s'éclaircit la voix, avant de donner la parole à l'avocat général. Ce dernier adressa un furtif regard à Léa avant de remonter le col de sa robe, de se lever, et de prononcer, l'air attristé :
— Madame Beaufort, votre histoire est très touchante. C'est vrai, qui pourrait rester indifférent face à une telle ignominie ? La situation à laquelle vous avez été confrontée par le passé nous prend littéralement par les sentiments. Votre témoignage est si éprouvant que j'en ressens les contrecoups ! J'imagine à quel point votre adolescence a été l'une des périodes les plus difficiles, et les plus mémorables de votre vie, si bien que vous seriez prête à tout pour ne pas avoir à la revivre...
Michelle releva la tête. L'avocat général ouvrit son carnet de notes, et ajouta :
— Madame Beaufort, lors de votre témoignage, vous avez dit « (...) la rue m'avait changé (...). Dans quel sens, s'il-vous-plaît ?
— Eh bien... Je suis devenue beaucoup plus violente, beaucoup plus agressive...
— Très bien ! lui coupa-t-il la parole avec un large sourire. Ce que vous nous révélez là est particulièrement intéressant dans la mesure où nous nous apercevons que finalement, vous n'êtes pas la fille docile, innocente, et fragile, comme vous avez tenté de nous le faire croire. Au contraire, vous êtes très bien capable de manifester une certaine brutalité à l'égard d'autrui. N'est-ce pas, mademoiselle ?
Léa secoua la tête, mécontente :
— C'est exact.
Michelle toussota.
— J'ai pu noter également que vous étiez en quête d'une vie meilleure. Je me trompe ?
— Non, répondit-elle en regardant tout autour d'elle, comme perdue.
Mais il ne prit pas en considération sa réponse.
— Il n'était plus question pour vous de vivre une seconde fois dans la rue, de manquer de quoique ce soit : " Je n'avais jamais eu l'occasion d'avoir en ma possession une telle somme, et je voyais déjà ma vie se transformer positivement. Je m'imaginais faire énormément de choses avec, tout ce que je n'avais jamais pu réaliser jusque-là. À cet instant, je m'étais dit que plus jamais je n'aurais souffert de manque d'argent. ", tels étaient vos dires.
Michelle resta perplexe.
— C'était un but que vous vous étiez fixée. Et Nicolas vous faisait justement ombrage. Vous ne comptiez sûrement pas partager cette somme avec lui en sachant que vous comptiez énormément sur cette fortune pour arriver au terme de vos projets.
L'avocat général ajouta, d'un ton grave :
— Vous avez tué Nicolas Beaufort !
L'avocat général n'avait plus rien à dire. C'était au tour de Léa de prendre la parole. Alors elle se releva, dressa les plis de sa robe d'avocate, et commença, pleine d'assurance :
— Monsieur le Président, en relevant que ma cliente avait elle-même témoigné que la rue l'avait changé, pour en déduire qu'elle n'était pas la fille docile, innocente, et fragile, comme elle tentait de nous le faire croire, et qu'elle était très bien capable de manifester une certaine brutalité à l'égard d'autrui, Monsieur Lopez ne montre en rien que ma cliente, ici présente, a été à l'origine du meurtre de son époux Nicolas Beaufort. En notant que ma cliente, ici présente, était en quête d'une vie meilleure, avant de conclure qu'il n'était plus question pour elle de vivre une seconde fois dans la rue, de manquer de quoique ce soit, Monsieur Lopez ne démontre en rien que ma cliente a été à l'origine du meurtre de Nicolas Beaufort. En concluant pourtant que ma cliente, ici présente, a tué Nicolas Beaufort, Monsieur Lopez a commis une erreur de droit ! En relevant que Nicolas donnait un très mauvais exemple au futur enfant de ma cliente, et que c'était la raison pour laquelle elle voulait assassiner le défunt, sans même avoir établi que ma cliente était à l'origine de cet acte, Monsieur Lopez a commis une erreur de droit ! En concluant que ma cliente avait assassiné Nicolas Beaufort après avoir tenté de démontrer qu'elle avait l'intention de commettre l'acte, Monsieur Lopez a caractérisé l'élément moral avant de caractériser l'élément matériel, et a, par conséquent, commis une erreur de droit ! Monsieur le Président, en employant dans son réquisitoire à la fois le mot « meurtre », et « assassinat », Monsieur Lopez n'a pas qualifié les faits.
Léa marqua une courte pause avant de reprendre.
— Monsieur le Président, les enquêteurs de la police envoyés sur le lieu du crime ont pu trouver un révolver, supposant être l'arme meurtrier. Il s'agissait d'un calibre 38. Après avoir effectué diverses analyses, les scientifiques de la police de Dunkerque ont pu relever les empreintes de ma cliente sur ce calibre. Audrey Anselme a été par ailleurs chargée de réaliser une autopsie sur la personne de Nicolas Beaufort, et les résultats de cette autopsie démontrent, selon elle, que la balle qui a été à l'origine du décès de Nicolas Beaufort provenait d'un calibre 38. Les enquêteurs ont en ainsi conclu que ma cliente, ici présente, était l'auteure des faits qui lui sont reprochés. Pourtant, j'ai en ma possession des résultats d'analyses approfondies réalisées par le scientifique Georges Arsène. Ces derniers révèlent que l'arme qui a ôté la vie de Nicolas Beaufort est un calibre 38 Bull-dog alors que l'arme qui avait été retrouvée sur les lieux du crime, et qui revêt les empreintes de ma cliente est un calibre 38 357. De fait, il est impossible d'affirmer avec certitude que ma cliente est bien l'auteur du meurtre de Nicolas Beaufort. »
A la fin du procès, l'avocat général s'approcha de Léa en la félicitant pour sa prestation : « Vous être très douée, Maître Vermandois.
Mais celle-ci répondit, presque avec indifférence :
— Maître Lopez, je ne vous ai pas autorisé à m'adresser la parole... Nous ne jouons pas dans la même cour.
— Nous verrons tout cela demain après-midi, lors de la délibération. Et... avant de partir... prenez garde où vous mettez les pieds. Vous jouez sur un terrain très glissant, Maître Vermandois.
Léa fronça les sourcils, et demanda presque sereinement :
— C'est une menace, Lopez ? A votre place je ne la ferais pas.
— Relaxez-vous, Vermandois ! Je vous parle d'El Gato. C'est un homme d'influence... Il a beaucoup de pouvoirs... Ce serait bête que vous mouriez aussi jeune.
Et il la laissa ainsi sous ces paroles glaçantes. Mais Léa n'avait pas l'intention de laisser un parfait amateur avoir raison d'elle... Elle appela aussitôt son détective privé. Elle espérait obtenir une faveur de sa part. Ils se donnèrent rendez-vous dans un café pas très loin du tribunal, dans deux heures elle devait se rendre à un autre procès sur une affaire qui lui avait été commise d'office.
Léa se gara sur le parking du café, et quitta aussitôt son véhicule. Elle sortit ses lunettes de soleil, et alla retrouver son détective qui était arrivé quelques minutes avant elle.
— Hier j'ai reçu un appel menaçant. J'ai déjà déposé une plainte. Mais, comme tu sais, la justice en France est très lente, j'ai besoin que tu me retrouves qui se cache derrière cette mascarade.
— Ne vous inquiétez pas, madame Vermandois...
— Maître, appelez-moi Maître !
— Ne vous inquiétez pas, Maître Vermandois, reprit-il. Je ferai tout mon possible pour vous retrouver cet imbécile.
— Non, dit-elle en s'approchant de lui, vous ne ferez pas tout votre possible, vous le retrouverez !
— Et que se passera-t-il si je le retrouve ?
— On le livrera à la police, voyons !
— Et... votre époux est au courant ?
— De quoi je me mêle ? Contentez-vous de faire ce que je vous demande. La discussion s'arrête là. Ne vous inquiétez pas, en rentrant dans ma voiture, je vous fais un virement d'une partie de votre somme. Vous aurez le reste une fois le travail accompli. La discussion s'arrête ici.
Léa ramassa son sac énergiquement et s'en alla.
La pluie tombait avec abondance, et le froid commençait à s'emparer de Léa. Celle-ci ferma la portière avant de sa voiture et sortit ses clés de son sac. Puis, ses yeux croisèrent hasardeusement Paul, son voisin, qui devait probablement l'observer depuis un petit moment à travers la fenêtre de sa cuisine.
— Bonsoir Madame Vermandois ! lança-t-il avec insistance.
— Bonsoir, Paul ! répondit-elle, le sourire aux lèvres.
— Dure journée ! ?
— Oui ! Comme d'habitude, quoi ! Et vous ?
Elle avança un peu plus près de chez lui.
— Vous avez fait quoi aujourd'hui ?
— Bah... Rien de spécial hein, Madame... Je suis là... Je passe mon temps à faire le ménage, le jardinage, la cuisine...
— Et Odette ? Vous êtes allé la voir ?
Léa entendit un grincement de porte. Elle tourna la tête vers sa maison, curieuse de savoir qui c'était. Mais il s'agissait seulement de son mari qui venait regarder ce qu'il se passait.
— Salut, chéri ! lui adressa-t-elle brièvement.
Il se contenta de lui faire un petit hochement de tête. Et Paul enchaîna :
— Bah elle va bien. J'essaie d'aller la voir le plus possible pour qu'elle ne se sente pas seule.
— Bah j'espère que cet endroit lui fera du bien et lui permettra de se séparer de la drogue ! répondit Léa sincèrement.
— Moi aussi je l'espère de tout cœur.
— Un de ces quatre je passerai la voir. J'espère qu'elle se rappelle toujours de moi. C'est dans quel hôpital psychiatrique, déjà ?
— Celui le plus proche d'ici.
— Merci. C'est noté.
— Vous êtes très aimable, Madame Vermandois.
— Oh... Je vous en prie... !
Léa alla rejoindre son époux qui les regardait, émerveillé. Elle referma la porte derrière elle et déposa son sac sur la petite table de l'entrée.
— Et les enfants ?
— Ils sont couchés.
Elle poussa un soupir de lassitude, et jeta un coup d'œil à sa montre. Il était déjà six heures.
— C'est étrange qu'ils dorment tous à cette heure-ci. Ils n'ont plus d'inspiration ou quoi ? Pourquoi ils ne se chamaillent plus ?
— Vince a attrapé la fièvre et j'ai demandé à Camille et à Alix de dormir avec lui pour le surveiller, au cas où il y aurait un problème.
— Bon bah il n'ira pas à l'école demain. C'est dommage !
Léa se rendit dans la chambre et ôta ses escarpins qui commençaient à lui faire mal au talon.
— On ne va quand même pas en rester là, ajouta-t-elle. Demain très tôt j'essaierai de prévenir sa maîtresse.
— Ok. C'est la moindre des choses à faire.
Elle se rendit dans la salle de bain en serviette pour se faire couler un bain. Au même moment, Cédric apparût derrière elle.
— Tu es rentrée très tôt, aujourd'hui..., remarqua-t-il.
— Heureusement, parce que j'ai très peu dormi hier, renchérit-elle en se lavant le visage dans le lavabo. »
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