Chapitre 18

Héphasie tâchait toujours de recouvrer son souffle à grand-peine. Sa raison, quant à elle égarée depuis longtemps au fin fond d'une forêt sombre de laquelle surgissait des cris lubriques, ne lui permettait plus de distinguer le bien du mal, et encore moins ce qu'il convenait de faire à présent. Certes, ses parents lui tendaient indubitablement ce qu'elle désirait sur un plateau et la tentation s'en ressentait. Mais ce qui venait de se passer n'était-il pas la preuve de l'absolue dichotomie qui les séparait, Alex et elle ? Quand ils n'avaient pu trouver un accord, ils s'étaient réfugiés dans les affres de la passion, prouvant leur impossible entente. Ils réfléchissaient comme des bêtes, et construire une vie de famille sur de telles fondations les mènerait assurément à la catastrophe.

Pourtant, ce plaisir charnel était précieux. La peintresse doutait un jour de trouver auprès d'un autre telle félicité. Et en un sens, cette entente mutuelle demeurait bel et bien la résolution de leur dispute. Mais cela suffirait-il toujours ?

La jeune femme ferma les yeux, complètement dépassée par les événements et le fil de sa pensée. Pour l'instant, elle n'était pas certaine de vouloir abandonner. Alex l'avait déçue et devait avant toute chose le comprendre. Peut-être, plus tard, lui pardonnerait-elle. Mais ce temps n'était pas encore venu.

En entendant la porte s'ouvrir, la jolie blonde rouvrit les paupières, prête à affronter une énième tempête. Elle se doutait que le duc ne s'attendrait pas à la trouver dans des dispositions si peu favorables après ce qu'ils venaient de vivre. Elle espérait juste qu'il ne tenterait pas encore de remédier à leurs problèmes en la séduisant. Sans cela, ils iraient droit dans le mur.

Elle découvrit avec étonnement que c'était Diane qui se tenait sur le seuil.

— Enfin, te voilà ! s'exclama-t-elle. Nous nous sommes toutes inquiétées, bon sang, et nous t'avons cherchée partout.

Héphasie devina qu'elle faisait référence à leurs deux autres amies.

— Tout va bien, ne t'en fais pas, la rassura-t-elle. J'avais besoin de parler avec mon fiancé.

— Alors ? Comment est-il ?

— Tu te souviens d'Alex ? Eh bien, c'est son portrait craché, puisqu'il s'agit de lui-même.

Elle rit nerveusement en révélant cette information, qui la surprenait toujours autant.

— Je pensais que cela te rendrait heureuse. C'est une sacrée coïncidence ! Que t'arrive-t-il ?

La jeune femme se laissa tomber contre le sol en pleurant de manière totalement inattendue.

— Il n'est jamais venu mercredi ! couina-t-elle. Après avoir appris mon statut d'aristocrate, il ne voulait plus de moi. Il aurait mille fois préféré que je sois une prostituée !

Son amie s'approcha, alarmée. Puis son regard se durcit en apercevant la mise négligée de l'artiste.

— Il t'a touchée, constata-t-elle, une lueur meurtrière dansant dangereusement dans ses prunelles. Je vais l'émasculer ! éructa-t-elle, ne se contrôlant plus.

Le principal concerné choisit cet instant précis pour pénétrer dans la pièce, ce qui révélait sans doute de sa part un manque cuisant d'intérêt pour ses pauvres bourses. Diane, aussi vive que l'éclair, sortit de l'une ses bottines un couteau, bien décidée à le lui planter dans l'entrejambe. Héphasie émit un hoquet de terreur, dans l'incapacité de parler. Quant au duc d'Albufera, il ouvrit de grands yeux, ne s'étant pas attendu à un tel accueil.

L'arme vint se planter avec une précision parfaite dans le mur derrière sa cible, juste en-dessous de son appareil génital. Il s'y ficha si bien qu'il y demeura.

— Vous ! rugit la guerrière. Qu'avez-vous donc fait à mon amie ? Je vais vous étriper !

Iris et Hortense surgirent à leur tour dans la bibliothèque. Elles ne prirent que quelques secondes pour jauger l'ampleur du drame qui se jouait. Quand elles comprirent que Diane tuerait l'inconnu juste à côté de la porte si elles ne s'interposaient pas, l'une se dressa devant lui tandis que la seconde s'ingéniait à exhorter la jeune femme au calme.

— Avant d'en venir aux pires extrémités, parlons un peu, voulez-vous ? supplia la diplomate en s'efforçant d'adopter un ton conciliant malgré l'urgence.

— Il n'y a rien à comprendre ! Ce sale butor joue avec Héphasie depuis le départ. Il lui a posé un lapin parce que ce n'est pas une prostituée, s'insurgea-t-elle.

— Nous présenterez-vous ? hasarda l'accusé.

La peintresse, toujours bouche bée, tâcha de se reprendre, non sans mal, cette charge lui incombant indubitablement.

— Celle qui a tenté de vous assassiner s'appelle Diane Iria. Elle excelle dans le maniement des armes.

— Je suis bien placé pour le savoir, commenta-t-il placidement.

— Et voici Hortense de Beaumont et Iris Delacroix, poursuivit-elle. Mes chères, je vous présente le duc d'Albufera, Monsieur Alexandre Lion.

Elles s'inclinèrent.

— Votre grâce.

— Je vous en prie, appelez-moi Alex. Les amis d'Héphasie sont aussi les miens. Même les tueurs en série, ajouta-t-il à l'intention de Diane, qui sembla se retenir de lui sauter au cou.

La peintresse poussa un profond soupir, soulagée par cette accalmie inespérée.

— Nous devrions retourner au bal, suggéra-t-elle. Nous avons déjà trop tardé, on pourrait jaser. Et ne me dites pas que cela arrangerait vos affaires.

Elle s'était tournée vers le seul homme de la pièce sur ces mots, connaissant pertinemment ses velléités à ce sujet. Elle avait cependant besoin de temps pour y réfléchir au calme. La soirée avait été riche en émotions.

Alex lui concéda ce répit de fort mauvaise grâce. Quant à Diane, elle saisit Héphasie par la main comme une enfant pour ne plus la perdre de vue et ne plus la laisser converser avec son détracteur jusqu'à la fin de la soirée, qui parut interminable à l'artiste. Même la joyeuse conversation de ses amies ne parvint pas à la dérider, et elle n'eut pas non plus assez de courage pour se lancer dans une discussion sérieuse à propos de son bien-aimé. Elle rumina donc en silence et enchaîna les citronnades pour faire bonne figure. Le retour fut sa délivrance, et elle se jeta dans son lit comme une possédée, trop heureuse de se retrouver enfin seule. 

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