L'expérience
Je salue mes parents et mon petit frère au seuil de la porte. Malgré le fait que j'ai dix-sept ans, c'est la première fois qu'ils me laissent seul. Tout un weekend qui plus est ! Je vais pouvoir être tranquille et avoir la maison pour moi tout seul. Vivant dans un village loin de chacun de mes amis, je n'ai pas prévu de faire la fête ou d'inviter des tas de personnes. J'ai bien envie de profiter de cette solitude pour pouvoir faire comme bon me chante. Lorsqu'ils démarrent et s'éloignent, je ferme vivement la porte d'entrée et la verrouille à clé. Je me contente d'abord d'aller sur internet et les réseaux sociaux ne sachant pas vraiment quoi faire. Peut-être que je trouverai de quoi m'occuper comme cela. Je vois alors la publication de quelqu'un parlant d'une sorte d'expérience étrange que nous pouvons tous faire. Il suffit pour cela d'un simple miroir. On doit tout simplement observer son reflet pendant environ une dizaine de minutes. De ce que j'ai compris, au bout d'un certain temps on aurait l'impression de ne plus se voir soi-même, comme si l'on observait quelqu'un d'autres. J'ai toujours était fasciné par ce genre d'histoire, des expériences qui font peur, les légendes urbaines, ça m'a toujours intéressé. Pourquoi ne pas essayer ça pourrait être drôle, même si je dois dire que dix minutes ça me semble long, mais passons.
Je me dirige donc vers la salle de bain, je me sens un peu idiot de faire ça mais au moins je suis seul et personne ne sera là pour me juger. Je mets une alarme sur mon téléphone portable qui doit sonner dans une quinzaine de minutes. Je devrais rester absolument concentré sur mon reflet mais si au bout de ce temps l'expérience n'aboutit pas, j'arrêterais. Je laisse une marge de cinq minutes ce qui est déjà bien assez. Je pose ensuite mes mains sur le meuble du lavabo et commence mon observation. Je n'ai jamais vraiment aimé me regarder dans le miroir, mais c'est pour la science ! Je remarque que mon nez n'est pas très droit, ainsi que quelques boutons que je chasserai bien de mon visage, me fixer ainsi me dévoile des défauts que je ne voyais pas au premier abord. J'espère que l'expérience fonctionnera car si ce n'est pas le cas j'aurai non seulement perdu du temps, mais j'aurai gagné des complexes.
Je ne saurais dire combien de temps à passer, sûrement pas quinze minutes en tout cas. Cependant je constate une sorte de malaise, comme un poids sur le cœur qui pèse de plus en plus lourd. Je ne me laisse pas déconcentrer et continue de fixer ma propre image. Mais est-ce vraiment moi ? Je sens un courant d'air frôler ma nuque me donnant quelques frissons. Je détourne un peu le regard mais mes yeux fixent de nouveau vivement leur objectif. J'ai sûrement rêvé, toutes les fenêtres sont fermées et j'ai également verrouillé la porte de la salle de bain. Je sais, je suis seul et cette action n'était par conséquent absolument pas nécessaire mais j'ai ce réflexe depuis que nous sommes dans cette maison. Je ne saurai expliquer pourquoi d'ailleurs. Le fait est qu'il est impossible qu'un courant d'air ai parcouru la pièce. Mon corps commence à se faire lourd, mes pieds sont comme ancrés dans le sol. J'ai l'impression d'être paralysé. Sûrement le stress... Comme indiqué sur internet, mon visage semble se déformer ou... Pas vraiment. Il ressemble au mien, mais ce n'est pas moi. C'est une sensation étrange que je ne saurais décrire.
Dans la publication internet, je me souviens qu'il était dit que le fait de sourire rendait l'expérience encore plus mystérieuse, presque angoissante. Je m'adresse alors un timide sourire, mais ce que me renvoie mon reflet me tétanise. Il me sourit également, mais me montre toutes ses dents en un sourire malsain, presque cruel. Je me recule vivement et tombe au sol, choqué par ce que j'ai vu. Ma poitrine monte et baisse à un rythme rapide, mon cœur tambourine à une vitesse incontrôlable. J'aimerais pouvoir dire que c'est la fatigue mais il est environ dix heures du matin. Mon regard reste fixé au miroir, mais je ne peux pas y voir mon reflet cette fois-ci. Après d'interminables secondes, j'ose enfin me relever et revenir à ma place. Cette expérience aura été une réussite, mais je n'ai pas envie de m'arrêter en si bon chemin. Après tout, ceci ne peut pas être réel, ça fait partie de l'expérience. Je m'approche alors doucement du miroir et y plonge à nouveau mon regard. Mes yeux ont visiblement changé de couleur, ils ne sont plus marrons mais noir avec je crois un reflet rouge. Je pensais qu'il me faudrait recommencer de zéro pour retrouver un résultat aussi déroutant mais visiblement je me trompais. Le sourire est toujours visible, pourtant j'affiche une expression. Enfin... je crois. Au fur et à mesure que le temps passe, je me sens comme envahi par une présence. Je n'ai jamais vraiment cru à ces histoires étranges, et je ne crois donc pas aux fantômes. Dire que je ressens une présence est alors en quelque sorte contradictoire mais je ne saurais l'expliquer autrement. Je me sens comme engouffré dans les ténèbres.
Rien n'a changé depuis je dirai une ou deux minutes, mais subitement les volets claquent contre le rebord de la fenêtre, me faisant sursauter violemment et m'arrachant même un cri de surprise. Je fixe les volets, mais je ne vois presque plus rien. La pièce est plongée dans le noir. Bien qu'il fasse jour, le soleil se cachait derrière quelques nuages. Les volets ne laissent alors entrer aucun filet de lumière. Mes mains commencent à trembler, les palpitations de mon cœur ne cessent de s'accélérer. Peut-être qu'il y a eu un gros coup de vent ou quelque chose dans ce genre. Mes pensées défilent dans mon esprit, j'essaie de trouver tant bien que mal une explication à tout ceci. Est-ce que tout ça était vraiment prévu dans l'expérience ? La pénombre me rend aveugle, me privant de l'un de mes sens. Mon corps se crispe, je serre le rebord du lavabo de toutes mes forces. J'inspire profondément et regarde l'eau tombée goutte à goutte dans l'évier. Je ferme le mitigeur, espérant que cet affreux bruit cesse. Il n'en est malheureusement rien, cela intensifie même le poids qui pèse sur mes épaules.
J'entends les volets des autres pièces claquer à leur tour. Je sens ma tête tourner, je peine à respirer et tiens à peine debout. Mes mains ne veulent cependant toujours pas lâcher prise. J'aimerais courir et fuir, mais mon corps ne me le permet pas. Je suis paralysé, incapable de faire le moindre mouvement. Je ne vois rien, un silence pesant a envahi la pièce, je ne sens plus le contact froid du meuble sur mes doigts. Je suis privé de mes sens et je ne peux rien faire pour y remédier. Je suis faible et impuissant face à cette situation. Je ne comprends pas ce qui m'arrive, je ne peux que subir. Les seules choses que je peux encore sentir sont mon cœur qui semble sur le point d'imploser et mes larmes qui commencent à couler le long de mes joues. Mon corps semble s'enfoncer dans le sol, comme si le carrelage était devenu des sables mouvants. Un bruit me fait sursauter une énième fois. Je dois rassembler toutes les forces de mon corps pour pouvoir relever la tête. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais malgré la pénombre je peux apercevoir de la buée sur le miroir, comme si je devais les voir. Je sens ma gorge se nouer et mon estomac se tordre lorsque je me rend compte que la buée prend la forme de deux mains.
J'aimerais crier mais mes cordes vocales ne le permettent pas. Je vois comme une silhouette s'approcher dans le reflet, elle a le même visage que ce que j'ai pu observer tout à l'heure. Un grand sourire malsain, dévoilant des dents jaunies presque pointues, les yeux injectés de sang qui ne cessent de me fixer. La porte de la salle de bain s'ouvre brutalement, brisant la serrure. Les autres portes de la maison claquent également, je ne les vois pas mais je les entends grincer, s'ouvrir et se refermer sans cesse. Les ampoules clignotent et semblent devenir folles. C'est comme si la maison entière me hurlait de courir, de fuir le plus loin possible mais je ne peux pas. Je ne contrôle plus mon corps, à vrai dire je ne contrôle plus rien. Mon portable se joint à ce brouhaha et l'alarme sonne violemment. C'est alors la seule lumière qui illumine la pièce, ma tête bouge enfin, comme si une force supérieure me l'autorisait. Le bruit agresse mes tympans et le volume augmente à chaque seconde qui passe. Comme une marionnette, mes yeux se dirigent à nouveau vers le miroir. J'entends un cri et puis... plus rien.
J'ai attendu avec impatience le retour de mes parents et de mon petit frère pendant tout le weekend. Je crois d'ailleurs qu'ils arrivent, je peux les entendre garer la voiture. Je ne bouge pas, je n'ai pas vraiment envie pour le moment. J'entends les clés s'insérer dans la serrure et la porte d'entrée s'ouvrir. La maison est redevenue tout à fait normale après ce qui s'est passé, ce n'est pas pour me déplaire. J'entends mon père et ma mère m'appelant depuis le salon, plein d'entrain. Ils s'exclament, plein de joie, me disant à quel point ils sont impatients de me raconter leur incroyable weekend. Incroyable, pour sûr il l'était. Pour eux, comme pour moi. J'entends le bruit des pas de mes parents qui me cherchent dans la maison. Finalement, je crois que je n'ai pas très envie qu'ils me trouvent. Ils entrent finalement dans la salle de bain. Ma mère hurle à la vue de mon corps inerte. Mon père lui, ne bouge pas. Il semble tétanisé, comme je l'étais il y a seulement quelques jours. Lorsque mon petit frère s'apprête à entrer dans la salle de bain, mon père réagit cependant immédiatement pour l'éloigner de moi, l'empêchant de voir la terrible qui se trouve juste là. Ma mère me serre fort dans ses bras, je crois que je peux presque ressentir la chaleur de son corps contre le miens. Dans ce cas, aurai-je l'impression d'étouffer lorsque l'on enterra mon corps ? Je sens une main se poser sur mon épaule, je me retourne pour apercevoir pour mon autre moi, aussi terrifiant que la première fois. Maintenant que je suis de l'autre côté, il ne me fait plus de mal, il en a déjà assez fait. Je regarde derrière moi pour voir les autres victimes accompagnées de leur double. Je regarde une dernière fois mes parents avant de leur chuchoter « adieu ». Ma mère sembla surprise, comme si elle avait entendu mes mots. Quoi qu'il en soit, je ne pourrais pas revenir, j'ai bien essayé. Je me dirige alors vers ce qui semble être ma nouvelle famille.
Des mois sont passés et je ne me suis toujours pas faite à cette situation. J'aimerais revenir en arrière, ne pas faire cette stupide expérience, je serais sûrement encore auprès de ma famille. Je ne dirai pas que la vie ici est catastrophique. Je devrais plutôt dire la mort, mais ce n'est peut-être plus si important. Chaque jour, je retourne voir ma famille. Je les vois se confier au miroir, laisser verser les larmes qu'ils se cachent les uns aux autres. Mon petit frère semble perdu. Il a bien compris que son grand frère ne reviendrait jamais, mais il ne comprend pas encore tout à fait ce qu'est la mort. Lorsque l'on m'a enterré j'ai effectivement pu ressentir le bois dur contre mon dos, la terre prendre petit à petit possessions de cet espace déjà si restreint. C'était assez éprouvant, mais je ne pouvais rien y faire. Aujourd'hui, j'observe mon petit frère une énième fois à travers le miroir. Il se regarde fixement, avec de grands yeux ronds, presque comme s'il pouvait me voir. J'essaie alors de lui parler plein d'espoir, mais je ne reçois aucune réponse. C'est pourtant évident, je suis mort, je ne pourrais jamais sortir d'ici. En l'observant plus attentivement, je remarque que son regard n'est pas dirigé vers moi, mais derrière moi. Je ne comprends pas vraiment pourquoi, mais mon instinct me dit de me retourner, ce que je fais. Malgré la sombreur de l'envers du miroir, je le vois distinctement, comme les miens. Ses yeux rouges, son sourire effrayant. Mon reflet ne me fait désormais plus peur, mais lui le peut encore. Je vois mon petit frère comme hypnotisé par le miroir. Soudain, la maison commence à trembler, je l'entends crier. Elle lui dit de partir comme elle l'a fait pour moi. Je cours aussi vite que je le peux vers le miroir. Je le frappe de toutes mes forces, je hurle à m'en faire mal aux cordes vocales même si je ne peux plus vraiment ressentir la douleur. Je vois le reflet se rapprocher, les murs de notre maison tombent en ruine, ou peut-être suis-je le seul à pouvoir le voir. J'entends un rire, quelques centimètres derrière moi qui me glace le sang. Je hurle de désespoir mais il est trop tard. Une fois l'expérience commencée, rien ne peut vous sauver.
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