Chapitre 3


Il avance lentement, faisant craquer le plancher sous ses pas, soulevant d'épais nuages de poussière. On dirait une maison abandonnée, délaissée depuis des années. Peut être est-ce la fenêtre brisée qui donne cette impression. Ou alors les débris de bois un peut partout.

C'est le paradis de la débauche. C'est tellement malsain, rien que de remettre ses pieds en cet endroit Jungkook sent ses poils se hérisser sur ses bras. Son regard se pose sur la table du salon, jonchée de nombreuses bouteilles vides. Il y a du sang sur un des coins, son sang.

Ses yeux parcourent l'espace délabré dans lequel il a grandit, dépérit.

C'est le calme avant la tempête. Comme ces nombreux soirs où son père s'alcoolisait au point d'en oublier qui il était. Il grimpe les marches une à une, grimaçant à cause de ses genoux maltraités qui ne se sont toujours pas remis de sa chute. Devant la chambre de ses géniteurs,il fait noir, une terreur sourde lui broie le ventre. Jungkook continue, et s'arrête devant la chambre qui était celle de sa sœur.

Une douloureuse sensation remplace la peur. Pourtant, il entre.

Tout est si petit autour de lui. Si coloré. Souvent, quand tout le monde dormait, il se rendait dans le terrain vague à quelques kilomètres de chez eux, pour ramener quelques jouets à sa sœur. Quand son père le découvrait, il se faisait frapper, mais peut lui importait : toutes les douleurs du monde ne pouvaient que s'effacer quand il voyait le visage de sa cadette s'illuminer de joie. Et puis de toute façon, le lendemain, l'homme qui passait son temps à s'enivrer ne se souvenait déjà plus de rien.

Du bout des doigts, il effleure le lit de sa sœur, et s'empare de sa seule peluche, celle qu'elle traînait toujours avec elle, avant. Ses mains fermes l'apportent à son visage, et il s'imprègne de son odeur. Le doux arôme lui chatouille les narines, pendant une seconde encore, c'est comme si rien n'avait bougé. Puis la dure réalité le rattrape quand il ouvre les yeux. A sa place, il n'y a plus qu'un lit vide.

Dans un grand sac, il fourre son précieux trésor, et y ajoute le peut qu'il a avant de balancer son paquet sur ses épaules. Mais sur le pas de la porte il se stoppe, il hésite. Le haut de son corps pivote, il porte une attention grandissante à cet objet qu'il s'apprêtait à laisser derrière lui.

Ses doigts caressent doucement le manche de sa batte de Baseball, avant de l'empoigner fermement.

Il avait trouvé cet instrument délaissé à l'endroit où il récoltait habituellement les figurines pour Leila. Et il l'avait gardée, au cas où son père ne se laisserait plus abuser par ses paroles un jour, et ou il déciderait de s'en prendre sérieusement à sa sœur. Il était triste qu'elle n'ait jamais servit.

Il n'est plus qu'une ombre menaçante. Jungkook la fait tournoyer entre ses mains habiles, il prend son temps pour choisir. Une commode...une table ...un bureau...

Soudain son bras se contracte, il a trouvé.

Son nouveau jouet s'abat sur une armoire. Sur cette armoire. Il s'applique à la faire voler en éclats, à la réduire en un amas de planches défoncées. S'il sent les débris de bois lui entailler la joue, il n'y prête pas attention et se précipite déjà sur un autre meuble.

Étouffe tes rêves, tu ne changera pas de vie.

Il pulvérise le buffet, balaye son passé. Le robinet explose, les vitres éclatent.

Tu ne sera jamais quelqu'un.

Ces paroles lui martèlent le crane. Il s'attaque à la porte qu'il détruit sans ménagement. Chaque parcelle y passe. Lorsqu'enfin il écrase le dernier mur, il se calme momentanément. Sa batte racle le sol derrière lui. Il fixe un court instant le si bel instrument, qui porte une si infâme histoire. Quel gâchis.

Le piano se fracasse dans un bruit assourdissant. Les touches sont propulsées par l'impact et volent dans la pièce.

***

Suga, guidé par le vacarme, retrouva Jungkook seul, debout au milieu des débris. Le rouquin l'observa, alors qu'il était de dos et tentait de reprendre son souffle. En se raclant la gorge, il indiqua sa présence, et l'autre se retourna.

Son visage était étrangement calme. Et si beau. Yungi ne s'y habituerai jamais. Le plus jeune s'approcha en l'évaluant du regard. Puis son expression changea, c'était infime, mais il parut soudain fragile. Dans un soupir, il posa sa tête sur l'épaule de Suga, qui le laissa faire. La batte tomba au sol , mais aucun des deux garçons ne sembla y prêter attention : ils étaient l'un contre l'autre, et seul cela comptait. La respiration du plus jeune reprit peut à peut un rythme régulier en se calant sur celle de son aîné. Un frisson de dégoût agita son corps, il détestait cet endroit.

-Emmène moi, loin.

Ses mots résonnèrent dans la salle. Jungkook respira de nouveau lorsqu'il le sentit acquiescer.

***

Je suis enfermé dans le noir, j'entends ses cris. Je deviens fou. Je crie à mon tour, tentant de couvrir sa voix, mais rien n'y fait, il lui fait trop de mal. Je défonce mes poings contre les parois qui me retiennent prisonnier quitte à me briser tous les os.

Je dois sortir, je dois lui servir de bouclier, elle ne peut pas encaisser tout ça elle ne peut pas il va la tuer ! Un hurlement. Mes genoux frappent de toutes leurs forces sur cette putain de paroi, mes jointures sont en sang je dois sortir ! Il va la tuer putain il va la tuer !!! 

Je ne peut pas renoncer.

Je crie encore, je lui hurle de se battre, de mordre et de fuir, j'appelle, je supplie ma mère d'intervenir alors qu'elle est partie depuis longtemps. Le vacarme des coups est assourdissant, il me fait tourner la tête, mon coeur va finir par exploser , mes tempes battent trop fort ! Soudain le silence revient, mais pas le calme, seuls mes sanglots se perdent dans le calme de la nuit.

Quelques secondes s'écoulent, puis un bruit de serrure. Les portes s'ouvrent sur le visage de ma sœur, que ne reconnais à peine. Alors que son cœur s'arrête, et que ni elle ni moi ne pouvons rien y faire, elle me sourit.

Une dernière fois.

Je sombre dans une abysse infinie. 

Rien ne pourra me sauver.

***

Point de vue Jungkook

Seul les craquements de la neige sous mes pas viennent briser le silence de la fin de journée. Ça fait un an et demi maintenant.

Je suis sur que ça lui aurait plu, la neige. De sa courte vie, elle n'a jamais rien vu de beau. Je reste convaincu qu'elle était trop pure pour mériter une telle vie. J'aurai aimé lui offrir plus, tellement plus.

Des doigts s'enroulent autour des miens. Je souris quand je sens son souffle chaud contre mon cou, après qu'il y ait déposé un baiser. Suga pose ses yeux noirs sur moi, et d'un coup, toutes mes peurs, toutes mes douleurs s'envolent.

-On rentre ? Il fait froid.

-Comme si le froid te dérangeait.

Il me connait bien. Je me tourne vers lui et frôle ses lèvres des miennes. Ses yeux me dévorent, mais il attend, il est patient. Je les capture avec douceur, tandis que mon corps se colle au sien en me faisant ressentir une soudaine chaleur. Ses mains froides parcourent ma peau, et pourtant je meurs de chaud en le sentant se presser contre moi. Alors que je glissais mes doigts sous son pull, il me repoussa gentiment :

-Pas dehors Jungkook. Je suis pas un sauvage moi, se moque t il

Je grogne, frustré d'être ainsi éconduit. Il sourit, et dépose un léger baiser sur ma joue :

-Tu as raison, rentrons. Tu vas te chopper la crève un jour à force de trainer habillé comme ça quand il neige.

Il a vécu pire, bien pire que moi. Et pourtant, c'est toujours lui qui se montre fort, impassible et droit. Face à Suga, je me sent comme un enfant qui se fait sans cesse réconforter. Ce que je suis faible. Ce que je l'aime.

Ça fait un an et demi. De temps en temps la douleur refait surface, même si en général elle se contente de me hanter, tapie au plus profond de moi. Je n'ai jamais cessé de marcher dans le noir en me faisant souvent très mal, puisqu'elle n'est plus là pour me guider.

Je savoure un dernier instant le vent glacial contre mon visage, puis m'élance à la suite de Suga. Le ciel est toujours plus clair quand il est là.

Sa main se referme sur la mienne en sentant mes doigts chatouiller les siens. Il m'observa de biais, tandis qu'un large sourire se dessinait sur mon visage.

Je suis heureux tous les jours, je ne manque jamais de rien. Alors pourquoi j'ai le cœur qui éclate, quand je me rend compte que son visage s'est effacé de ma mémoire. Si seulement son souvenir pouvait s'estomper lui aussi.

Ça fait un an et demi. Le jour ou elle est partie, le temps s'est arrêté en moi.


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