qu'apparaît la plus éclatante des lumières
Est-ce que je suis mort ?
Ma tête me fait mal, ma poitrine me fait mal, mon corps tout entier me fait mal. Si c'est ça le paradis, je préfère l'enfer... À moins que je ne sois déjà en enfer ?
Je sens quelque chose heurter régulièrement ma poitrine.
Ça ne me fait pas vraiment mal, mais ce n'est pas non plus très agréable.
J'entends les bribes d'une phrase prononcée par une petite voix qui semble extrêmement lointaine.
"Oi", non, ce n'est pas vraiment ça, "toi" semble mieux.
Ça doit être ma voix intérieure qui se moque de moi encore... Je pensais qu'en mourant je cesserais de l'entendre, j'avais apparemment tort.
"moi", "toi","moi","toi"... mais elle est soûlante, elle ne peut pas faire des phrases au lieu de répéter sans cesse les mêmes mots ? C'est sa nouvelle façon de m'ennuyer ou quoi ?
"Tu vas te taire oui ?" Je crie. Ou du moins, j'essaye de crier. À la place de mes paroles, c'est de l'eau qui sort de ma bouche. De l'eau ? C'est parce que je suis mort noyé ? À moins que je ne sois pas mort ? Mais, comment ça serait possible ? Je n'ai pas essayé de survivre et personne ne peut me voir, personne ne peut m'entendre, donc personne n'a pu essayer de me sauver. En plus, lorsque je suis tombé, mort ou inconscient, au choix, j'étais très bas sous la surface, personne n'aurait pu aller aussi bas et revenir à la surface assez rapidement pour ne pas se noyer, et encore moins en me sauvant moi aussi...
Voulant connaître le fin mot de l'histoire, j'ouvre un œil, puis le second. Je me trouve sur la terre ferme, sur une des berges de la rivière. J'ai donc été sauvé apparemment, dommage... Au-dessus de moi, se trouve ce qui semble être un humain, ou en tout cas un humanoïde, ce doit sûrement être mon sauveur, enfin, celui qui m'a empêché de mettre fin à mes jours. Il semble être un peu plus grand que moi, difficile à dire, vu qu'il est en train de me faire... un massage cardiaque, j'imagine.
Ce qui me fait penser que ce n'est pas un humain est, premièrement, qu'il me voit, deuxièmement, qu'il ne possède pas d'ombre et troisièmement, qu'il brille tel un phare en pleine nuit, illuminant de sa lumière salvatrice les bateaux essayant d'accoster à bon port dans la tempête la plus sombre... Enfin, il brille énormément quoi. Et, la lumière qu'il fait est apaisante, calmante, comme cette intense chaleur que l'on ressent lorsqu'après avoir marché pendant des lustres dans le froid, la neige et les intempéries, on se repose enfin chez-soi, avec un chocolat chaud fumant, assis à côté de la cheminée au côté de sa famille bien-aimée...
Je secoue la tête, essayant de me calmer, de penser à autre chose, en vain...
Il ne semble pas avoir remarqué que je n'étais plus inconscient comme il continue de me faire son message cardiaque.
Je levai doucement ma tête et le haut de mon corps pour lui montrer que je suis de nouveau conscient, tout en lui disant, d'une voix enrouée par des années sans parler
–C'est bon. Je suis réveillé. Tu peux arrêter ton massage cardiaque maintenant.
Phrase que je complète d'une voix encore plus faible, inaudible, bien plus triste aussi
–Même si ça ne sert à rien de te le dire comme personne ne m'entend...
Sa tête tourne lentement dans ma direction, et ses yeux brillants me regardent avec un air surpris. Ses mains arrêtèrent de bouger.
–Tu aurais dû me le dire plutôt que tu étais réveillé, je m'inquiétais pour toi.
Il me dit de sa douce voix.
–Par contre, c'est normal que ton cœur batte si lentement ? On dirait presque que tu es un mort-vivant. Rajoute-t-il, avant de partir d'un rire qui se voulait joyeux, mais où je voyais bien qu'il y avait énormément de tristesse.
–Mon cœur bat lentement ? Ça doit être un des effets de ma transformation en ombre vivante. Je ne t'ai pas dit plutôt que j'étais réveillé pour la simple et bonne raison que tu ne dois sûrement pas m'entendre, comme tout le monde...
Je soupire, résigné depuis déjà bien longtemps.
Son air devient songeur.
–Donc c'est parce que tu es une ombre vivante que ton rythme cardiaque est bien plus faible que celui d'une personne normale.
Il m'a répondu ? Il m'a vraiment répondu ? Enfin, je veux dire, il a bien fait une remarque sur ce que j'ai dit ? Donc, il doit m'entendre, n'est-ce pas ?
–Tu m'entends ? Tu m'entends vraiment ?
Je lui demande d'une petite voix fébrile, ne pouvant y croire.
–Évidemment que je t'entends. Pourquoi je ne t'entendrais pas ?
Me demande-t-il surpris.
Je sens des larmes couler le long de mes yeux, des larmes de joie. J'avais enfin trouvé quelqu'un qui me voit, quelqu'un qui m'entend. Je sens mon cœur battre plus vite et un sourire naître sur mes lèvres accompagnées d'un sentiment de chaleur enveloppant mon cœur. L'intense sentiment de joie que je ressens en sachant que je ne suis plus seul m'a totalement fait oublier que je voulais mourir, il n'y a pas si longtemps.
–Ça va ? Pourquoi est-ce que tu pleures ? J'ai dit ou fait quelque chose de mal ?
–Non non, bien au contraire, je ne me suis jamais senti aussi bien que maintenant. Tu ne peux pas savoir à quel point.
Pendant de nombreuses heures, nous avons continué à parler, même si nous avions assez vite quitté l'obscurité de la nuit et la terre de la berge pour se diriger vers un restaurant. J'avais bien essayé de lui dire, que le fait que les autres clients le verront parler tout seul, comme personne d'autre ne me voit, risque d'être assez... particulier. Mais, il m'a dit, qu'on allait à un endroit fait pour les personnes comme nous, faits pour les êtres étranges, dont les gens normaux n'imagineraient jamais l'existence. Puis, de toute façon, c'est un humain luminescent sans ombre, donc une bizarrerie de plus ou de moins...
D'ailleurs, lorsque Sirith Eyjolf, c'est le nom de mon sauveur. Et tu ne pouvais pas dire son nom d'une voix encore plus suave ? T'es encore là toi ? J'espérais vraiment ne plus jamais t'entendre... Et moi, j'espérais te voir mort, on n'a pas toujours ce que l'on veut dans la vie... Et, comment ça "suave" ? Je n'ai absolument pas dit son nom avec une voix suave ! Donc, tu te tais...
Je disais donc, lorsque mon sauveur demanda une table pour deux, et qu'il répondit à la question "Vous attendez quelqu'un ?" par "Non, il est déjà à mes côtés.", le maître d'hôtel ne lui demanda rien de plus et ne le regarda même pas d'un air surpris, comme si c'était normal, comme si c'était quelque chose d'habituel ici.
L'alcool, le repas, si savoureux, le sentiment d'être à ma place, parmi d'autres êtres étranges, ou peut-être est-ce cet étrange sentiment de joie que je ressens, ou alors, est-ce cette chaleureuse lumière provenant de Sirith ou peut-être un mélange de tout ça ? Enfin bref, je ne sais pas à quoi précisément c'est dû, mais ma langue s'est facilement déliée, et la sienne aussi, livrant, au fur et à mesure que la soirée durait, diverses informations, plus ou moins privées, sur nos vies respectives.
J'appris ainsi, que Sirith est en fait un mort-vivant, et qu'il pense que ça serait pour ça qu'il n'a pas d'ombre. En gros, il a apparemment été poignardé par un fou, il pensait être mort, il aurait dû être mort et en fait, il l'était. Mais, des années plus tard, en octobre 1890, il se réveilla. Néanmoins, lorsque ce fut le cas, il était différent, enfin, comparé à sa vie d'avant, il est devenu ce qu'il est actuellement, un mort-vivant lumineux et sans ombre.
Alors que j'ai vécu tout ce temps dans l'obscurité et la solitude, invisible à tous, lui l'a vécu à la lumière, visible par tout le monde. Pourtant, ses particularités ont quand même repoussé tout le monde, enfin, tous les gens normaux... Il fut assez vite approché par d'autres gens comme nous, lui, il peut être vu après tout...
Durant ce repas, nous avons beaucoup sympathisé, nous sommes devenus amis. Et, comme je n'avais aucun endroit où aller, ni argent, ni quoi que ce soit d'autre que ce que j'ai sur moi en fait. Il a proposé de m'héberger chez lui. J'ai évidemment accepté, plus pour rester avec lui qu'autre chose d'ailleurs, même si je dois avouer que pouvoir, de nouveau, dormir sous un toit, manger, et surtout, manger avec quelqu'un d'autre, parler avec quelqu'un d'autre, vivre une vie normale en somme, me manquait énormément.
Les jours, les mois et les années suivantes passèrent rapidement, nous passions une grande partie de notre temps tous les deux, on se promenait ensemble, on mangeait ensemble, évidemment, je ne pouvais pas être toujours avec lui, vu qu'il travaillait. On vivait ensemble quoi... enfin pas ensemble ensemble, mais ensemble ensemble, enfin, voilà quoi... Oui oui, on a tous très bien compris que tu vis avec lui, mais que vous n'êtes pas encore totalement ensemble, pas besoin de nous faire un dessin...
Je disais donc, vivre ensemble nous avait grandement rapprochés, ce qui, je viens de m'en rendre compte, est assez normal au final... Nous étions devenus de très très bons amis et rien de plus. Rien de plus ? Rien de plus ? Tu te fiches de qui ? Dit directement que t'es amoureux de lui, c'est plus simple... Non non, on est vraiment juste des amis très proches. Tu sais que je sais ce que tu penses, et tu persistes à dire que tu n'es pas amoureux de lui...
Le 17 octobre 1915, le jour de mon 35ème anniversaire, il m'avait invité au restaurant, dans le même restaurant où il m'avait amené lorsqu'il m'a sauvé et, étrangement, à la même table que ce jour-là.
Le repas quasiment terminé, il m'a offert mon cadeau, ou plutôt, il me l'a proposé, une bague sertie d'une pierre noire scintillante que j'ai évidemment acceptée, je ne pouvais pas concevoir mon existence sans lui, et je ne voulais même pas essayer de le faire d'ailleurs...
Plusieurs mois plus tard, nous avons, enfin, fixé une date pour notre mariage. C'était tellement long et dur, de trouver un prêtre capable de me voir... Même en demandant de l'aide aux amis de Sirith qui ont pourtant plus de contacts que lui, la plupart étant dans ce monde depuis bien plus longtemps que lui.
Lorsque notre mariage fut officialisé et la cérémonie finie, que moi, l'ombre vivante, et que Sirith, le mort-vivant sans ombre, nous fûmes, enfin, liés pour toujours, j'entendis une nouvelle fois cette voix intérieure qui ne cessait de vouloir ma mort. Elle me dit :
–Tu as malheureusement trouvé ton être destiné, ton "âme-sœur" comme disent certains. Ce qui fait, que je vais disparaître et que toi, tu vas être libéré de ma présence. soupire Bref, je te souhaite tout le malheur possible. Ah oui, c'est vrai, ta vie, comme ta mort, ne t'appartient plus vraiment maintenant, tant qu'il vivra, tu vivras, s'il meurt, tu le suivras de très près...
Cette nouvelle était sûrement censée me faire peur, mais ce n'est absolument pas l'effet que ça m'a fait. Je n'ai ressenti que de la joie en entendant que je pourrais, que je ne peux que, mourir à ses côtés, que ce soit dans 10 ans, 100 ans, 1000 ans ou plus tard encore. Et, j'espère bien que ça sera le plus tard possible, évidemment...
Depuis, nous vivons ensemble, en famille, tous les deux. Et même, depuis quelques années, tous les trois. En effet, il y a quelques années, nous avons rencontré, et adopté, un enfant humain, abandonné par sa famille très jeune, dès que sa singularité s'est montrée, en fait. Il possède quasiment toutes les caractéristiques d'un lynx. Pourtant, il est un humanoïde, il a de grandes oreilles pointues, une mignonne petite queue derrière son dos, un pelage tout doux recouvrant l'intégralité de son corps et deux yeux perçants pouvant voir l'invisible, et donc, moi...
Je dois avouer, que lorsqu'on l'a vu seul, abandonné par sa famille parce qu'il est différent, on voulait déjà l'adopter, mais lorsqu'on a compris qu'en plus, il pouvait me voir ! Disons, que ça nous a convaincus encore plus rapidement de l'adopter.
Le début de ma vie à partir de mon dixième anniversaire fut désespérant, solitaire et triste. Mais, au moins, maintenant, et à jamais, je suis avec mon Sirith adoré et avec mon cher fils adoptif, Lins.
==========================
Un dernier mot pour conclure cette histoire ? D'accord.
Je ne sais pas vraiment quoi dire.
Ah si, déjà, mon cher Sirith, si tu écoutes cette histoire un jour, sache, que tu es l'amour de ma vie, même si tu le sais déjà, et que je serai sûrement mort il y a de nombreuses années si je ne t'avais pas rencontré. Tu es la seule raison qui explique pourquoi je suis encore en vie aujourd'hui.
Et pour les autres auditeurs, je n'ai pas grand-chose à vous dire, j'espère que vous ne vivrez jamais quelque chose de semblable à ma vie. Et si c'est le cas, alors je n'ai qu'une chose à vous dire, courage, vous aurez des moments de doute, vous penserez sûrement que vous n'êtes qu'un monstre, que vous êtes seul, que vous ne méritez pas de vivre, vous entendrez sûrement une sombre voix suave, celle de la Mort, vous poussez à la rejoindre, vous hésiterez, comme tout le monde, mais vous ne devez absolument pas la laisser vous emporter. Après tout, si vous pensez que rien de bon ne peut vous arriver, alors vous ne rencontrerez jamais votre dénouement heureux, même s'il se trouve juste à côté de vous...
Fin
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top