mais c'est au fond de la nuit la plus sombre
Au début, j'ai commencé par errer à travers le pays, ne sachant pas quoi faire d'autres. La petite voix dans ma tête continuant à affirmer que j'étais inutile, que je n'étais rien d'autre qu'une ombre pensant être humaine, que je ne suis qu'un monstre marchant parmi les humains.
Plusieurs mois sont passés ainsi. Je n'avais aucun but, aucun espoir, aucune envie, aucun rêve. Enfin si, un rêve, un seul rêve, un rêve impossible. Que tout redevienne comme avant, que cette maudite journée de mon dixième anniversaire n'ait jamais existé. Mais, ce n'est qu'un rêve, un de ceux qui ne se réaliseront jamais...
------------------------------------------
3 septembre 1881 :
Aujourd'hui, j'ai acheté un carnet de notes que j'utilise désormais comme journal intime. Ceci est la première chose que j'écris dedans. Je sais que personne ne va jamais le lire et qu'il va disparaître en même temps que moi, mais j'espère que ça va me permettre de me calmer, même ne serait-ce qu'un peu...
15 septembre 1881 :
Aujourd'hui, en me baladant au hasard des rues, je suis tombé, par hasard, sur mon ancienne maison. J'ai vu ma famille. Elle semblait heureuse. Elle n'a jamais parlé de moi, de ma "disparition". Tous les dessins et les photos faits par moi ou me représentant ont été modifiés ou supprimés. Ils m'ont oublié. Mais, ils sont encore en vie, c'est déjà ça, j'imagine...
1 octobre 1881 :
Depuis que j'ai revu mon ancienne maison, je ne cesse de faire le même rêve, le même cauchemar. Je me revois avec ma famille et mes amis, vivant une vie heureuse, normale, calme. Puis, une ombre surgit de nulle part et m'attaque, elle ne me tue pas, elle ne me blesse pas. Elle semble se fondre en moi, puis disparaître. À partir de ce moment, ma famille ne parais plus me voir, ni m'entendre. Et, tandis que je reste avec eux, essayant de trouver un moyen de me faire entendre, de me faire comprendre, tous mes proches meurent un à un. J'entends leurs voix, ils ne cessent de répéter : "C'est de ta faute ! C'est de ta faute si nous sommes morts. C'est de ta faute !". Puis, ils se jettent sur moi, et c'est à ce moment-là que je me réveille, couvert de sueurs froides...
Je doute de pouvoir supporter ça longtemps.
17 octobre 1881 :
C'est le jour de mon onzième anniversaire. Le premier anniversaire que je fais seul. Pas d'amis. Pas de famille. Pas de cadeaux. Pas de gâteau. Juste moi. Et, la voix dans ma tête, évidemment... Je ne suis pas sûr qu'elle compte vraiment comme une personne, comme une vraie personne. D'ailleurs, le cadeau qu'elle m'a fait a été de ne pas parler pendant toute la journée !!!
Je pensais que c'était un très bon cadeau, mais au final, ça n'a fait qu'accentuer ma solitude... Même si ce n'est qu'une voix qui essaye de me nuire, ça fait quand même quelqu'un à qui parler. C'est déjà ça. C'est d'ailleurs pour cela que j'écris tous les jours dans ce carnet. La solitude est sûrement la pire chose dans tout ce qui m'arrive, sûrement...
15 janvier 1890 :
Cela fait un moment que je n'ai pas écrit ici. Ma dernière entrée était de novembre 1889.
J'ai oublié. Oublié ce carnet. En même temps, ce n'est pas comme si j'avais grand-chose à écrire dedans, comme le montre les nombreuses entrées où seule la date est écrite...
J'ai l'impression d'oublier de plus en plus de choses, à moins que je n'aie vraiment toujours eu qu'aussi peu de moment joyeux. Je me rappelle de tout à partir de mon dixième anniversaire, presque tout, enfin, je crois ? Mais avant, tout semble flou. Ça me rend triste, mais je ne suis même pas sûr de pourquoi je pleure... c'est peut-être justement ça qui me rend triste ?
6 rénova 1890 :
C'est de pire en pire, je crois, je crois que je perds vraiment la tête. J'ai relu ce que j'avais écrit jusqu'ici, mais je ne me souviens de rien, absolument de rien. Je me rappelle mon dixième anniversaire, de ma "transformation", je me rappelle du jour même et c'est déjà presque tout... écrire tout cela dans ce carnet a été une bonne idée au final, je crois. Mais, est-ce que ces écrits sont vraiment bien de moi ? Je... je ne sais pas, je ne sais plus... je...
20 octobre 1910 :
Aujourd'hui, j'ai remarqué une épaisse fumée au loin. N'ayant rien de mieux à faire, j'y suis allé. Au fur et à mesure que j'avançais dans sa direction, j'ai remarqué que l'endroit m'était familier, mais sans savoir pourquoi. Arrivé au bâtiment en flamme, j'ai enfin compris pourquoi. C'était mon ancienne maison, celle où ma famille était censée vivre. Par réflexe, j'ai crié au secours, ma voix était enrouée de ne pas avoir parlé pendant autant d'années, et évidemment, personne n'est venu... J'ai essayé d'appeler les pompiers, ils ont décroché, mais ne m'entendant pas parler, ils ont cru à une plaisanterie et ont raccroché... Je suis donc resté, impuissant, regardant mon ancienne maison, et sûrement ma famille, brûler... Plusieurs heures plus tard, alors que les pompiers arrivaient enfin, prévenus, bien trop tard, par des voisins, ils ne purent qu'empêcher que le feu se propage aux maisons voisines. Il ne restait rien d'autre que des cendres...
Les journaux du soir annoncèrent l'incendie et la mort de tous ceux qui étaient à l'intérieur. Les photos des défunts ne m'ont laissé aucun doute, c'étaient bien ceux qui étaient autrefois ma famille... L'enterrement des cendres était prévu pour le 30 novembre.
25 octobre 1910 :
L'enquête que la police à mener, a montré que l'incendie était accidentel. La valve du gaz mal fermée, une cigarette perdue encore légèrement allumée. Le genre de trucs qui passent souvent à la télévision et qui n'arrivent qu'aux autres, jamais à nous. Enfin, c'est ce que tout le monde pense, jusqu'à ce que ça arrive...
30 octobre 1910 :
J'ai assisté à la cérémonie d'enterrement. J'ai participé aux chants et aux prières à l'église du coin, même si je ne suis pas vraiment croyant. J'ai récité un dernier hommage pour ma famille défunte. J'ai jeté une poignée de terre sur leurs cercueils. J'étais là tout le long, même si personne ne l'a jamais su...
Je ne suis pas vraiment triste, je ne suis pas déprimé, je ne suis pas désespéré, j'ai passé ce cap depuis déjà trop longtemps, j'ai juste l'impression d'être vide. Comme si on m'avait enlevé mon cœur, ou qu'il était mort à force de trop souffrir...
Depuis que ma famille est morte, ma voix intérieure est de plus en plus insistante, de plus en plus méchante, et pourtant, de plus en plus suave, de plus en plus douce, presque apaisante. Elle me dit que je n'ai plus de raisons de vivre maintenant, que mourir me permettrais de rejoindre ma famille dans l'au-delà, qu'après cela, je ne souffrirais plus de la solitude, plus jamais... Je m'efforce de ne pas l'écouter, je me dis que ce n'est pas ce que mes proches auraient voulu, s'ils se souvenaient encore de moi, que je ne dois pas écouter cette voix, qu'elle ne fait que mentir, qu'elle...
10 novembre 1910 :
Aujourd'hui, je me suis rendu compte, que je me mentais à moi-même, je ne survivais pas pour moi, je ne survivais pas pour ma famille. Je survivais seulement par peur, peur de la mort, peur de ce qui a après, après tout, personne n'a fait le chemin inverse, peur de souffrir et pourtant, peur de la solitude, peur de l'errance sans fin, peur de la vie sans fin, après tout, je ne vieillis plus, plus depuis mes 18 ans...
J'ai lu, il y a un moment de cela, que certains pensent que vivre malgré les nombreuses épreuves qui nous pèsent dessus est un symbole de courage. Moi, je pense, que cela dépend de notre définition de courage. Si l'on pense que le courage, c'est le fait de surpasser ses peurs et d'agir malgré elles, alors vivre comme mourir est une forme de courage. Alors, que si vous pensez que la lâcheté est le fait de se faire dominer par ses peurs, alors vivre comme mourir est une forme de lâcheté. Au final, tout n'est donc qu'une question de point de vue...
14 novembre 1910 :
Ceci est ma dernière entrée. Demain, je serais mort. Je ne sais même pas pourquoi j'écris cela. Après tout, ce carnet disparaîtra avec moi, au plus profond des eaux froides de la rivière.
------------------------------------------
C'est le jour fatidique, mon dernier jour, on est le 15 novembre 1910. Dans quelques minutes, je serais mort.
Je regarde une dernière fois les alentours debout sur la barrière empêchant de tomber du pont. De nombreuses personnes sont présentes, elles vaquent toutes à leur activité quotidienne. Elles ne sauront jamais que j'étais là, encore moins que j'existais.
Un dernier regard vide vers les eaux qui me serviront bientôt de tombeau éternel. Un dernier pas dans leur direction.
Je tombe. Une chute qui me semble durer un temps infini alors que la gravité me propulse violemment vers le bas. Les mêmes sensations que ce jour maudit, il y a de cela si longtemps, me semble-t-il.
Je touche enfin les flots. Je pensais que le choc m'assommerait, mais cela ne semble pas me faire de mal.
Je coule lentement vers les profondeurs. Je n'essaye pas de me débattre.
On dit que l'Homme possède, comme tout être vivant, un instinct de survie extraordinaire... ce n'est pas mon cas. Est-ce que je suis toujours un Homme ? Est-ce que je suis toujours un être vivant ?
D'ailleurs, comment on peut savoir qu'on est vivant ? Enfin, vraiment savoir ? Est-ce qu'on le sait seulement en mourant ?
On dit que lorsqu'on est en train de mourir, on voit sa vie défiler devant ses yeux. Moi, je ne vois rien, rien que le vide, l'obscurité et une myriade de questions toutes plus insensées les unes que les autres... Est-ce que je suis vraiment en train de mourir ? Ou est-ce que ma vie est juste trop insignifiante pour que je la voie défiler ?
Plus je m'enfonce dans l'obscurité des profondeurs, plus l'eau est froide, plus l'oxygène manque. Pourtant, le froid et l'obscurité me calment, le manque d'oxygène semble juste m'endormir, lentement, très lentement, c'est comme si j'entrais, juste, en hibernation, pour toujours...
J'ai juste le temps de voir une faible lumière au-dessus de moi, avant que mes yeux ne se ferment, définitivement...
Fin du chapitre 2
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top