Chapitre 8 - L'heure du thé a sonné


Tourner, aller à droite puis à gauche, en avant et en arrière, je ne fais que ça depuis tout à l'heure. La danse est agréable, je ne suis pas déçue de m'être inscrite au cours, en revanche ce fameux Apollon est toujours aussi désagréable. Je n'ai pas réussi à obtenir ce que je voulais. Dommage pour lui, je ne le laisserai pas tranquille aussi facilement.

- Dans la mythologie grecque, Apollon est un peu plus bavard que ça.

- Maintenant va à droite.

- Tu peux arrêter de me dire quoi faire, je maitrise.

- Tu viens encore de me marcher sur le pied et tu penses maitriser ?

- Simple petite erreur. Je connais les pas, c'est déjà bien.

- Si tu la mettais en veilleuse deux minutes tu ne ferais pas de faute.

- Le problème vient peut-être de mon professeur ? Est-ce que je t'écrase le pied délibérément ou est-ce réellement par mégarde ?

Pour terminer en beauté, je lui lance un petit « oups » lorsqu'il plante son regard légèrement surpris, mais toujours sévère, dans le mien. Ça n'a pas l'air de beaucoup lui plaire. Pour toute réponse, ou plutôt vengeance, il marche sur ma paire de Vans. Qu'est-ce que j'avais dit, un vrai adolescent sans matière grise.

- C'est puéril ce que tu viens de faire.

- Tout comme ta quête. Qui demande pardon et attend quelque chose en retour ?

- Je ne quémande rien ! Je n'aime juste pas savoir une personne en colère contre moi.

- Je ne suis pas en colère. Ça te va ?

- Alors dis-moi que tu acceptes mon pardon !

A l'aide de sa main se trouvant dans la mienne, il me fait tourner sur moi-même. Il a le chic pour mettre fin aux conversations. Je pensais avoir fait une avancée dans notre relation mais mes espoirs se brisent lorsqu'il se retranche une nouvelle fois dans le silence. Mais merde il se moque de moi ou quoi ?! Ce n'est pas parce qu'il me dépasse d'une tête qu'il m'intimide. Alix ne baisse jamais les bras. Jamais !

- Pourquoi est-ce que tu es aussi froid avec moi ? On a commencé sur de mauvaises bases tous les deux c'est tout.

Son regard azur me scrute sans un mot. J'ai l'impression qu'il tente de lire en moi. J'essaie donc de faire de même, mais ce garçon est impossible à déchiffrer. Il est un vrai mystère.

- Pourquoi tu ne me réponds presque jamais ?

Parler à un mur serait beaucoup plus intéressant je crois. Tout serait plus passionnant que lui de toute façon. C'est une tête de mule comme je n'en avais encore jamais vu.

- Tu ne m'apprécies pas juste parce que je t'ai frappé sans faire exprès ?

J'aurais beau pleurer devant lui, me mettre à chanter extrêmement faux, me faire pipi dessus même, je suis persuadée qu'il resterait là à me contempler. Il est pire qu'un robot. Au moins ces boites de conserve sont drôles, pas comme lui.

- Ça t'arrive de t'amuser de temps en temps ? Ou tu es né psychorigide ?

- Arrête avec tes questions !

- J'essaie juste de faire connaissance.

- Et moi je ne veux pas te connaitre.

Au moins c'est une réponse claire qui ne laisse pas de place à l'ambiguïté. Ses mots me font du mal, j'arrive péniblement à les chasser de ma conscience pour me concentrer sur notre danse. Ce châtain a une carapace plus rigide que celle d'une tortue. Je sais qu'il dit tout ça, ou plutôt rien, pour se protéger. Mais de quoi ou de qui ? Si seulement je pouvais arriver à créer un lien avec lui, ça le libèrerait du poids incommensurable qu'il semble porter, à ses dépens, sur ses épaules.

Le cours se termine enfin. Tous les participants remercient chaleureusement les trois gentlemen dance hosts avant de les applaudir. Sachant désormais où Apollon travaille, je connais les lieux dans lesquels le retrouver. Tout ceci fait très folle écervelée en y pensant, mais je tiens à l'entendre dire qu'il accepte mes excuses. Après ça je le laisserai tranquille.

En sortant de la salle de bal, je lui lance un dernier regard. Mes iris bleus rencontrent les siens dans un duel écourté par une voix familière. Aussitôt je tourne la tête dans l'autre direction.

- Oublie pas le Tea Time Jones.

Charlee, poussant un chariot dans le couloir, me lance un clin d'œil pour accompagner sa phrase. Avec toute cette histoire j'en avais presque oublié son superbe cadeau de ce matin.

Je n'ai pas le temps de lui répondre qu'il a déjà tourné dans une autre allée. Dans un sens c'est mieux, ça lui évitera de s'attirer des ennuis inutiles en me parlant. Le rythme de travail doit être effréné pour satisfaire tous les clients. Je suis admirative de sa ténacité. Travailler si dur pour un boulot mal payé et garder le smile, j'en connais un qui devrait prendre exemple sur Charlee.

La carte m'autorisant l'accès au très sélect Grills Lounge au chaud dans mon petit sac à main, je me dirige vers celui-ci. Je suis pressée de découvrir la tradition anglaise la plus célèbre au monde : l'heure du thé. Habituellement plus café que thé, je n'en bois que très rarement. C'est une boisson que je trouve sans goût, d'où le fait qu'elle soit dans les dernières places de mon classement de mes consommations liquides préférées. Malgré cela, j'aime percer les secrets des différentes particularités d'une nation. La découverte l'emporte toujours sur mes goûts habituels.

Devant l'entrée du salon, une jeune femme travaillant pour la compagnie me demande évidemment ma carte. Toute fière d'être en possession de ce sésame, je la lui tends. Elle note quelques petites choses dans son classeur avant de me laisser entrer. Ça y est, j'ai passé les portes menant au paradis.

Impressionnée par les lieux, je passe mes mains sur ma chemise aux motifs fleuris. C'est un peu tard pour vérifier les faux plis, mais je ne peux m'empêcher de le faire. Mes muscles semblent bouger seuls comme si c'était un automatisme. Cela vient certainement du fait que mon père a toujours pris soin de laisser sortir ses deux filles uniquement lorsqu'elles étaient impeccablement vêtues. Nous avions le droit de porter tout ce que nous voulions mais il fallait que nos vêtements soient impeccables. C'est-à-dire sans plis, ni tâches ou trous.

La rigueur parfois excessive de mon père m'a laissé plus de traces que je ne le croyais. Les vieilles habitudes ont la vie dure. On ne tire pas un trait sur vingt-deux ans de vie en famille comme si cette période n'était qu'un simple paragraphe de trop au début d'une copie de baccalauréat.

Je prends place dans un des sofas aux tissus gris et coussins violets. Une serveuse ne tarde pas à m'apporter la carte des thés et pâtisseries servis dans ce salon. Je me laisse tenter par le fameux, mais pas très original, « English Breakfast » qui n'est autre qu'un incontournable en Angleterre. C'est un mélange de thé noir africain et indien assez fort. C'est pourquoi lorsque la sympathique serveuse m'apporte ma commande, elle pose sur la table basse face à moi un petit pichet de lait et un pot remplit de sucre en plus de ma tasse. Je la gratifie d'un sourire en complément d'un « merci beaucoup ».

- Je vous apporte vos scones dans quelques minutes madame. Veuillez m'excuser pour ce léger retard, nous avons reçu une opulente commande non prévue.

Toutes ces formalités très anglaises sont parfois incommodantes. Je n'ai pas l'habitude que l'on me parle avec autant de politesse. A l'école d'ingénieur où j'étais, j'aurais eu le droit à un simple « bouge ton cul si tu veux avoir une miette de gâteau ». C'est clairement deux mondes différents.

Ne sachant pas trop quoi mettre dans ma tasse de thé, j'opte pour faire un petit mixte. Lorsque le blanc du lait rencontre la noirceur de ma boisson chaude, il se mélange délicatement dans l'objet en porcelaine. Cela ressemble à un petit nuage qui se dissiperait dans une sombre nuit. Je suis impatiente de gouter à ce thé.

J'y dépose un petit sucre que je ne tarde pas à touiller à l'aide de ma cuillère puis apporte enfin le liquide chaud à mes lèvres. C'est le moment de vérité. Je sens la chaleur passer doucement sur ma langue pour arriver ensuite jusqu'à ma gorge.

Ce que j'ai actuellement dans la bouche est tout simplement infect. Ce thé est amer, très fort malgré le lait et sucre ajoutés, je ne peux réprimer une grimace en l'avalant. Le « Tea Time » n'est manifestement pas fait pour moi. Il faudrait que j'invente un « Coffee Time ».

- Voici vos scones madame.

La serveuse en tenue noire et gants blancs pose délicatement la très belle assiette sur laquelle sont posés deux scones à l'odeur enivrante. S'attardant sur mon visage et ma mine déconfite, elle se retrouve embarrassée.

- Oh je suis navrée, votre thé n'est pas à votre goût ? Souhaitez-vous-en un autre ?

- Ça ira merci. Cette boisson n'est juste pas faite pour moi.

- Vous prendrez peut-être un de nos chocolats chaud dans ce cas ?

- Un café ce serait possible ?

- Bien entendu. Nous vous ramenons tout ce que vous désirez.

- Un café sans sucre ni lait fera l'affaire.

- Très bien. Vous me voyez désolée de ne pas vous avoir apporté une consommation à votre goût.

- Vous ne pouviez pas savoir, étant donné que moi-même je n'étais pas sûre d'aimer ou pas le thé.

Confuse, elle rapporte toute la vaisselle sur son plateau argenté. Je m'en veux qu'elle le prenne de cette façon. A aucun moment elle n'a mal fait son travail, bien au contraire dans le fast-food où je travaillais, elle aurait obtenu le titre d'employé du mois sans problème.

Résultat de cette expérience hors du commun des mortels : lieux sympathiques mais ambiance dérangeante. Je suis donc un peu déçue de cette expérience, mais je reste très reconnaissante envers Charlee pour ce cadeau. Son geste m'a vraiment touché. Je suis pressée de retrouver son beau sourire ce soir.

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Notre petit Apollon est toujours peu bavard haha. Heureusement Alix est là pour le décoincer un peu.

Merci pour les 500 vues, ça me motive vraiment pour vous sortir des meilleurs chapitres chaque semaine ! 

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