Chapitre 40 - New York


Que ressentons-nous lorsque l'un de nos plus grands rêves s'apprête à se réaliser ? Est-il possible d'éprouver de la joie et de l'impatience en même temps que de l'angoisse et de la tristesse ? Ces sentiments sont pourtant aussi contradictoires que l'obscurité de la nuit laissant peu à peu place aux couleurs variées du jour. La baie de New York se réveille au son des mouettes et goélands alors que je nage déjà dans la nostalgie de mon voyage.

Mon rêve de traverser l'Atlantique sur ce navire que j'ai tant convoité est sur le point de prendre fin. J'ai attendu des années pour enfin avoir la chance de le réaliser. Le voir se terminer dans quelques dizaines de minutes seulement est donc troublant. J'ignore comment je dois me sentir à l'approche du port. Ai-je le droit d'être triste face à l'achèvement de ce projet si important pour moi ? Le point final d'une histoire ne doit-il pas toujours être positif ? Parmi les nombreux livres que j'ai pu lire durant ma vie, tous se terminaient sur une bonne note. Qu'ils possèdent une fin heureuse ou non, chacun avait sa petite moralité qui donnait au récit une perspective enrichissante. Comment une histoire pourrait-elle donc mal se terminer quand, à la fin, nous en avons tiré certaines leçons ? Nous ne cessons jamais d'apprendre et là est toute la beauté des livres.

- Bienvenu à New York Alix, me murmure Apollon dans le creux de mon oreille.

Comme si la ville n'attendait que nous pour ouvrir les yeux, nous arrivons à la pointe de Manhattan lorsque le soleil sort de sa cachette, derrière l'horizon. Les buildings se teintent de nuances de doré, telles des paillettes d'or qui aurait été projetées ici et là par l'astre de feu. A gauche de notre position, la célèbre Statue de la liberté nous accueille les bras grands ouverts. Mon regard ne parvient plus à se détacher d'elle, je suis captivée par son immuable beauté.

Je repense soudainement à toutes ces personnes fuyant la misère de leur pays et plaçant leurs espoirs dans cette terre promise qu'est l'Amérique. Des rêves plein la tête tel que moi, des femmes, des hommes et des enfants ont découvert le nouveau continent par l'intermédiaire de la Statue de la liberté. Elle a été leur premier souvenir, leur premier soulagement. Cette grande dame de cuivre n'est pas seulement la gardienne de la baie, elle est également celle sur qui tous les espoirs reposent. Ses épaules supportent les attentes des réfugiés, des voyageurs et des américains. Le symbole qu'elle représente est bien plus important que tout ce que l'on pourrait croire.

- Tu ne voulais pas prendre des photos ? m'interpelle Apollon alors que nous passons devant la maitresse des lieux.

- Oh si c'est vrai, tu as raison !

Je m'empresse de la photographier avant qu'il ne soit trop tard. Mon téléphone portable immortalise son visage figé et pourtant si expressif. La sculpture est un art que je connais peu, mais qui me fascine. L'habilité de mettre à jamais en pause des êtres normalement humains est un véritable don. Ces œuvres ne bougent peut-être pas, mais elles n'en restent pas moins plus vivantes que jamais.

- On prend une photo tous les deux ? demandé-je au châtain.

- Je n'aime pas vraiment les photos.

- Juste une seule, supplié-je avec une petite moue.

- Est-ce que c'est vraiment nécessaire ? souffle-t-il.

- Oui, il faut bien que je montre à ma sœur à quoi ressemble mon copain. Elle ne me croira jamais sinon.

- Je viendrai lui dire bonjour en personne si ce n'est que ça, dit-il en embrassant ma tempe.

Je le repousse juste assez pour pouvoir me tourner et être face à lui. Ses yeux s'écarquillent lorsque mon visage se retrouve juste devant le sien.

- Qu'est-ce que tu fais ? Tu es en train de manquer le spectacle.

- Je mémorise ton visage dans ses moindres détails pour pouvoir parfaitement le retranscrire à ma sœur. Je n'aurais pas besoin de faire ça si j'avais une photo, mais tu ne veux pas.

Ses sourcils se froncent et sa mâchoire carrée se crispe sous mes mots. Mes doigts viennent effleurer les courbes de son visage pour en imprimer l'aspect. Nous allons nous quitter pour le week-end, lui rentrant directement à Montréal et moi passant quelques jours dans la grosse pomme. J'essaie donc de me souvenirs de chaque détail qui chacun, a la plus grande importance à mes yeux. Dire que je le fais pour ma sœur est faut, de même que la photo. Si je veux garder un cliché de nous deux, c'est avant tout pour moi.

- Toujours aussi épuisante quand tu veux quelque chose, bougonne le canadien.

Je baisse les yeux et entoure mes bras dans son dos. Ma tête se cale sur sa poitrine sous laquelle je peux entendre son cœur tambouriner. Malgré son attitude un peu agacée, l'organe qui bat à tout rompre dans sa cage thoracique le trahi. Il aura beau me rabâcher que ma persévérance est bien souvent fatigante, au fond cela lui plait que je ne baisse pas les bras. Après tout, si je n'avais pas été ainsi nous ne serions pas là à nous câliner. Notre relation repose sur mon entêtement et ça, il le sait.

- On va passer sous le pont de Brooklyn, tu devrais regarder.

Il presse mes épaules pour me retourner, collant par la suite mon dos à son torse. Le pont le plus célèbre de New York se rapproche petit à petit, il est si beau vu depuis l'East River. De mille huit cent quatre-vingt-trois à aujourd'hui, ses vieilles pierres sont toujours aussi majestueuses. Quand la Statue de la liberté est la gardienne de la baie, le pont de Brooklyn en est la porte. Nous faufiler sous son imposante architecture c'est entrée dans la ville qui ne dort jamais, nous croquons à pleine dents dans la grosse pomme.

Telle une petite fille dans un grand magasin de jouets, mes yeux pétillent d'admiration et d'envie. Mon cœur s'emballe face à la beauté des lieux, décrire ce que je ressens actuellement est impossible. Il n'existe pas encore de mot pour définir mes sentiments, l'instant est bien trop magique pour être rationnel. J'ignore même si je suis en plein rêve ou si New York est véritablement si belle.

Je me délecte de ce spectacle encore plus époustouflant qu'une grande comédie musicale sur Broadway, quand Apollon me prend mon téléphone des mains. Il ouvre l'appareil photo et enclenche la caméra située à l'avant. Nos deux visages apparaissent soudain sur l'écran, me décochant un sourire satisfait. Nous sommes mignons tous les deux.

- Comment s'appelle ta sœur déjà ? me demande-t-il en plaçant le téléphone assez loin pour nous avoir tous les deux ainsi que le paysage époustouflant derrière nous.

- Annabeth pourquoi ?

- Ok, alors dis Annabeth.

En cœur, nous répétons le prénom de ma grande sœur pour prendre la photo. L'habituel et désuet « cheese » a trouvé sa nouvelle version.

- Tiens, j'espère qu'elle te convient parce qu'il n'y en aura pas d'autre.

Je récupère mon téléphone qu'il me tend, et analyse la photo que nous venons de prendre. Mes cheveux sont malmenés par la brise, certaines mèches virevoltent devant mes yeux ou ma bouche tandis qu'Apollon a un œil fermé. Ce cliché est loin d'être bon, pourtant je le trouve parfait. Nous deux sur le Queen Mary II, avec pour fond de décor la très célèbre Manhattan. Que demander de plus ?

- Elle est parfaite.

Le canadien se penche par-dessus mon épaule afin de mieux voir l'écran de mon téléphone portable, sa tempe collée à la mienne.

- En plus tu souris alors ça n'aurait pas pu être mieux.

- Si un simple sourire peut te faire plaisir à ce point, je vais essayer de faire des efforts.

- Non, surtout pas ! m'empressé-je de le couper. C'est parce qu'ils sont rares, spontanés et sincères qu'ils me font autant plaisir, renchéris-je.

- Alors ça ne te dérange pas que je sois peu expressif ?

- Si c'était le cas, on ne serait pas là tous les deux, lui souris-je.

Ses lèvres rencontrent les miennes dans une caresse aussi douce et légère qu'une plume. C'est certainement le plus agréable de tous nos baiser car tout est idyllique. L'instant, les mots, le cadre, les gestes, l'enchainement d'un parfait timing.

- Je t'aime Alix, chuchote-t-il contre mes lèvres qui ne demandent qu'à retrouver encore et encore les siennes.

Avant de laisser parler mon cœur et lui dire tous les adorables mots qui s'y trouvent à son égard, je saisis ses joues pour l'embrasser avec passion. Mes doigts s'accrochent au dos de sa veste de costume blanche, nous sommes toujours dans nos tenues de soirées qui font tâches parmi les autres passagers à peine sortis du lit.

- Je t'aime aussi Apollon, finis-je par avouer mon front collé au sien.

Un sourire, le même qu'il arbore sur notre première photo à deux, se peint sur son visage angélique. Deux petites fossettes se creusent sur ses joues et je n'ai qu'une envie, y laissé une pluie de baisers. Tel des puits menant jusqu'à son cœur, j'aimerais y déverser les vagues de sentiments que j'éprouve pour lui.

Quelques mèches de ses cheveux châtain viennent chatouiller mon front. J'y passe mes doigts et les replace dans le reste de sa chevelure malmenée par le vent. Sa peau blanche est peu à peu réchauffée par les rayons du soleil, elle retrouve son éclat comme une fleur s'ouvrant au lever du jour. Des petites étincelles crépitent dans ses yeux bleus qui eux aussi retrouvent tous leurs éclats grâce à l'astre solaire. La nature part de ses plus beaux atouts le garçon qui fait chavirer mon cœur. Il est si beau que mon souffle se coupe et que mes mains se mettent à trembler. Il les sent s'agiter dans son dos alors il décide de les saisir aux creux de ses paumes tout en continuant de m'embrasser.

A l'aide de ses pouces, il caresse le dos de mes mains jusqu'à m'en procurer des frissons galopant le long de ma colonne vertébrale. Je le sens sourire sous mes lèvres, me faisant tomber un peu plus amoureuse à chaque seconde que je passe en sa compagnie. J'ai terriblement hâte de commencer cette nouvelle vie qui m'attend loin de mon pays d'origine. Malgré le vide que laisse ma famille dans mon cœur, du fait qu'ils soient loin de moi, je suis débordante d'énergie. Comme si tout était possible.

- Est-ce que tu trouves ça bizarre de ne pas vouloir retrouver la terre ferme, mais aussi être pressée de découvrir New York ?

- Alix, tu es bizarre alors cette envie contradictoire te va à merveille, me sourit-il.

- Niveau compliment tu as encore des progrès à faire, le taquiné-je en lui donnant un léger coup de coude dans le flanc.

J'admire une dernière fois l'incroyable vue que nous avons sur Manhattan depuis l'Est River. Le navire a ralenti sa course afin de pouvoir s'amarrer au port. J'en profite donc pour mémoriser le paysage urbain qui s'étend sous mes yeux. La nuit a laissé place à un ciel bleu sans aucun nuage, le soleil commence doucement à dépasser les gratte-ciels donnant à la ville sont caractère inégalable.

Je me vois déjà dans une des échoppes de Time Square, en compagnie de ma sœur qui doit déjà certainement m'attendre au port. Au beau milieu du tumulte de la grosse pomme, des écrans géants illuminant mon visage, des taxis jaunes klaxonnant à tout va, je choisirais une carte postale que je m'empresserai d'écrire. Je ne m'attarderai cependant pas sur le contenu du texte et me contenterai d'un « bisous, Alix ». Pour la première fois, ce sera une carte postale signée de mon nom que mes parents pourront accrocher sur le réfrigérateur de la cuisine. Cette simple idée me décoche un énorme sourire qu'Apollon ne tarde pas à me notifier.

- Pourquoi tu souris comme ça ?

- Parce que l'un de mes rêves c'est enfin réalisé.

Il n'y a rien d'autre à ajouter, tout est dit et il l'approuve en hochant la tête. Sa main se glisse dans la mienne, nos doigts s'entrelacent, et nous regagnons l'intérieur du navire. Il est temps de lui dire au revoir.

(Fin)

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Voici donc le dernier chapitre d'Une traversée pour aimer. J'espère qu'il vous a plus et que vous avez apprécié l'histoire dans sa globalité . Merci pour les 4k vues, ça clos à la perfection ce livre je trouve. C'était mon tout premier roman alors pour une première fois je trouve ça super !

Je vous retrouve dans la partie suivante pour les remerciements et la petite annonce que j'ai à vous faire. 

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