Chapitre 36 - La chanson
L'important est de participer non ? Pas de gagner. Alors pourquoi Apollon semble m'en vouloir ? J'ai pourtant essayé d'être à la hauteur, j'ai donné le meilleur de moi-même, mais cela n'a malheureusement pas suffi pour nous faire gagner le tournois. Il devrait au moins me féliciter d'avoir réussi à placer un palet en plein cœur de la cible. Il ne faut pas oublier qu'il s'agissait de ma toute première fois à ce jeu, je ne peux donc pas être une championne en un claquement de doigts.
Le châtain ne cesse de râler alors que je le traine de force jusqu'au Lion Pub. Un pari est un pari, il faut honorer les closes de notre contrat et ce, peu importe que cela lui plaise ou non. Je tire sur la manche de son pull beige, qu'il a enfilé lorsque le vent frais s'est levé, et l'oblige à me regarder.
- C'est juste une chanson, rien qu'une et en duo avec moi en plus.
Il se méfie de mes petits yeux de faon censés le faire céder. Ses lèvres se courbes dans une grimace, il soupire fortement.
- Je n'aime pas chanter.
- Comme tu n'aimes pas parler aux gens et regarde, tu discutes bien avec moi ! Souriais-je.
- Peut-être, mais je ne chanterai pas avec toi Alix.
- Une toute petit, dis-je en mimant avec mes doigts la taille microscopique de la chanson.
- Non.
- Et après on ira manger des scones.
- Je ne marche pas au chantage.
D'un air impassible, il me regarde de haut. Seuls ses beaux yeux bleus sont baissés vers moi. Je ne les lâche pas et tente de l'amadouer uniquement à travers une danse muette de pupilles. C'est à celui qui cèdera le premier et je le jure, ce ne sera pas moi. Avec ma sœur, nous jouions beaucoup à ce genre de jeux enfantins et sans intérêt. Le « tu me tiens, je te tiens, par la barbichette. Le premier qui rira aura une tapette » est celui auquel nous avons le plus joué étant petites. Neuf fois sur dix, j'en étais la gagnante.
Le problème, c'est qu'Apollon n'est pas Annabeth. Il est bien plus tenace qu'elle, j'ai l'impression qu'il pourrait camper ainsi durant des jours. Cependant, je ne me démonte pas pour autant.
- Je resterai ici indéfiniment s'il le faut, annonçais-je fièrement.
- Tu ne lâches jamais le morceau, souffle-t-il.
J'en profite qu'il ferme les paupières pour lui crier un « tu as perdu ! » qui les lui fait rouvrir aussitôt. D'un geste de la main, il écarte mon doigt accusateur placé juste devant son visage.
- Arrête ça, tu vas finir par me mettre ton doigt dans l'œil, grogne le châtain.
D'humeur joueuse, je fais tournoyer mon index comme s'il était une petite abeille prête à se poser sur son nez. Il suit du regard mes gestes avant de repousser ma main. En revanche, cette fois il la saisit pour tirer mon corps contre le sien. Mon cœur loupe un battement alors que je sens le sien se déchainer dans sa poitrine.
A cet instant, je n'en mène pas large. Mes joues s'empourprent doucement mais surement, j'ai dû mal à résister à l'envie de regarder mes chaussures. C'est comme si le sol m'appelait, qu'il me hurlait de m'échapper avant que des iris bleus envoutant me piègent à jamais.
- Tu trouverais ça étrange si je te disais que ce que j'aime le plus chez toi, c'est quand tu me taquines comme tu le faisais à l'instant ?
- N-non, bégayais-je. C'est, euh, gentil.
Je suis une fille affligeante. Apollon, le cœur palpitant, vient de me faire une adorable déclaration et tout ce que je trouve à lui répondre c'est qu'il est gentil. Mon dieu, heureusement qu'il apprécie aussi mes répliques de mauvais goût et qu'il me sourit comme si je venais de lui avouer que je l'aimais.
- Cette réponse me va, rigole-t-il avant de déposer ses lèvres sur les miennes.
Automatiquement, je ferme les yeux et savoure cet instant. Je laisse sa langue s'habituer doucement à la mienne tandis que l'une de ses mains glisse le long de ma nuque. Ce geste accentue le baiser qui devient plus désireux, plus passionnel. Je m'accroche désespérément à son pull pour ne pas perdre pied en goutant au paradis.
Tout mon corps se réchauffe d'une puissante flamme, je suis prête à parier que mes joues sont devenues rouges tellement j'ai chaud. Mon ventre se noue dans un bonheur indescriptible, je ne sais plus où poser mes mains sur lui, j'ai envie de toucher chaque parcelle de sa peau qui m'attire indéniablement. Ses doigts, qui longent mes courbes pour terminer leur course sur mes hanches, m'ordonnent de me cambrer contre lui. Dans un élan de désespoir, j'agrippe le col de son pull ce qui lui provoque un grognement d'envie.
Peut-être que lui aussi s'est rendu compte que la journée était déjà bien avancée, qu'il ne nous restait que peu de temps à passer tous les deux. Dehors, le soleil commence doucement à descendre, cela sonne le compte à rebours de nos derniers instants ensembles. Une fois sur la terre ferme, les choses seront différentes et il faudra s'adapter. Mais pour l'heure, nous devons profiter de la moindre seconde passée en la compagnie de l'autre.
- Je te préviens, je ne chante pas du Madonna ou du Rihanna. C'est un non catégorique sur lequel je ne cèderai pas, me murmure-t-il en effleurant mes lèvres des siennes.
- Ça me parait être un caprice raisonnable.
- Et aucune vidéo. Je ne veux pas que mon père voie ça, renchérit-il apparemment gêné.
- Je suis persuadée que tu vas être super et qu'il serait fier de toi, souriais-je dans l'espoir qu'il accepte une petite vidéo.
- Il a parcouru le monde grâce à sa voix et à sa musique, je ne vais pas tacher son nom par mon timbre de goéland.
Sa comparaison avec l'oiseau me provoque un fou rire qu'il stoppe par un nouveau baiser. Il n'y a plus aucun doute, lui aussi sent la fin de ce fabuleux voyage arriver. Il veut se souvenir à jamais de la sensation de mes lèvres sur les siennes, j'en fais tout autant.
Il me caresse délicatement la joue à l'aide de son pouce. Il effleure ma peau jusqu'à atteindre la naissance de mes cheveux dont il enroule une mèche autour de son index. J'en profiter pour imprimer chacun de ses traits au plus profond de mon être. Je le détaille comme un félin jaugeant sa proie, des flammes d'envie crépitant dans mes iris.
- On va la chanter cette chanson ? Me sourit-il.
J'hoche vivement la tête, le visage radieux. Je suis fière d'être parvenue à trainer Apollon dans une petite séance de karaoké. Cela me prouve qu'il fait des efforts à pratiquer des choses qu'il n'apprécie pas forcément, simplement pour me faire plaisir. Il tente de s'accommoder, d'être un peu plus ouvert, pour moi. Il n'imagine pas à quel point ce geste de sa part me procure un plaisir incommensurable. De voir que je suis importante à ses yeux me met dans une joie que je ne connaissais pas.
J'ai toujours aimé la vie, un rien m'émerveillait au grand damne de ma famille parfois. Moi-même je réalisais être parfois excessive. Mais ce que je ressens actuellement lorsque je suis en compagnie d'Apollon est complètement nouveau. Je ne saurais comment décrire mes sentiments, ni même savoir ce qui est différent, je me sens juste mieux, comme si être plus heureuse était impossible.
Sa main posée dans le creux de mes reins, nous entrons dans le Lion Pub. Sur la petite scène au fond de la salle, deux septuagénaires habillées à l'identique chantent une chanson que je ne connais pas. Cependant, la mélodie est très belle et leurs voix sont plutôt harmonieuses. Passer derrière elles s'annonce difficile. Le châtain et moi n'avons pas le même niveau que ces deux dames très élégantes, mais ce n'est pas important. Ce qui compte c'est d'y prendre du plaisir comme elles le font si bien.
- Je vais inscrire nos noms, déclarais-je.
Il ne répond pas, son attention étant accaparée par les deux chanteuses. Je le laisse et pars donc noter nos noms sur la feuille de passage. Il y a encore deux personnes avant nous, j'espère qu'elles feront redescendre le niveau de talent avant notre performance.
- C'est fait ! Dis-je fièrement en revenant à ses côtés.
- Il va falloir qu'on se mette d'accord sur une chanson du coup.
- Je chanterai celle qui te fera plaisir.
- Vraiment ? Demande-t-il, un sourire en coin.
- Pourquoi tu me regardes comme ça ? Qu'est-ce que tu as derrière la tête ?
- Une chanson que tu vas adorer.
- Tu sais que je m'en fiche d'être ridicule, haussais-je les épaules, indifférente à tout ce qu'il pourrait me proposer.
- Je sais.
Il se contente de rire et part s'assoir autour d'une table pour écouter la fin de la prestation des deux chanteuses. Je l'imite sans jamais le lâcher du regard. J'essaie de déchiffrer son expression afin de savoir à quoi il pense, mais il remarque mon petit manège. Aussitôt, son visage se ferme et laisse place à un mur impossible à comprendre. Apollon a le don de cacher ses émotions quand bon lui semble.
Les « chanteurs du dimanche » s'enchainent, notre tour arrive plus vite que prévu. Je ne réalise même pas qu'il est temps de monter sur scène, c'est le châtain qui me le rappelle en pressant mon bras posé sur la table en bois.
Je le laisse choisir la chanson tandis que je prends les deux micros que me tendent le couple passé juste avant nous. Ils me souhaitent bonne chance avant de regagner leurs places, prêts à entendre nos voix s'élever dans la salle. Jusqu'ici, je n'avais pas remarqué qu'il y avait autant de monde. Même les deux barmans s'arrêtent quelques instants pour nous regarder. C'est assez intimidant tout compte fait. Je suis d'ailleurs prête à demander à Apollon si c'est toujours une bonne idée mais celui-ci a déjà lancé la chanson. La mélodie commence, revenir en arrière n'est plus possible.
- Y.M.C.A, sérieux ?! M'étonnais-je en entendant les premières notes de la chanson.
- Oui, pourquoi ?
- Je ne pensais pas que c'était ton style.
- Eh bien maintenant tu sais.
Je m'apprête à lui demander une nouvelle fois si c'est une blague ou non, trop hébétée par cette révélation pour y croire, mais il commence à chanter. Je suis soudain spectatrice d'un bien étrange film où, mon petit ami si peu expressif, bouge au rythme de la musique. Un immense sourire peint sur son visage, il assure une représentation digne d'un véritable concert. Si sa voix n'était pas aussi mauvaise, j'aurais presque pu croire à un chanteur professionnel. L'énergie qu'il dégage est enivrante, j'oublie ma petite appréhension de chanter devant ce public d'une quarantaine de personnes.
Grâce à Apollon, je me prends au jeu et dance tout en donnant de la voix. Aux vues des rires, nous sommes sans aucun doute ridicules. Mais en quoi cela a-t-il une importance ? Depuis quand pour lâcher prise, s'amuser, doit-on demander l'avis des autres ? Durant les quelques minutes de cette chanson mythique, une bulle nous enveloppe, nous sommes dans notre monde et rien ni personne ne pourra nous en extraire. Cette barrière est si forte que je finis par ne même plus entendre le bruit qui nous entoure. Il n'y a plus que sa voix qui fait écho en moi.
Dans un dernier fou rire, nous terminons notre chanson. Il m'embrasse chastement, nos paumes ayant déjà retrouvé la chaleur de l'autre.
- Je crois que j'aime bien chanter, avoue-t-il tout bas pour que je sois la seule à l'entendre.
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Petit retard de publication désolée mais week-end chargé et hier j'étais scotchée derrière ma télévision.
Pour apporter un petit peu de joie dans cette semaine qui commence mal, un beau moment entre Alix et Apollon qui poussent la chansonnette.
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