Chapitre 35 - Dans tes yeux



Cette dernière journée à bord défile bien plus rapidement que je ne le voudrais. Sans que je ne m'en rende compte, l'après-midi est déjà entamée et j'ai encore envie de faire un milliard de chose. Les activités sont trop nombreuses pour que je les essaie toutes avant la fin de la journée.

- Tu veux allez participer au tournois de palet sur le pont ? Me propose Apollon.

Depuis le petit déjeuner, lui et moi ne nous sommes pas quittés. J'ai eu le droit à une petite visite du navire avec des anecdotes historiques. Bien que je connaissais la plupart de ces informations, je n'ai pas eu le courage de lui avouer. L'écouter parler me faisait oublier que dès demain, toute la magie du voyage prendra fin. Lorsque la côte américaine fera son apparition au loin comme un divin mirage, il sera temps de plonger tête baissée dans ma vie que j'ai laissé en suspens durant la croisière.

Certes, c'est une toute autre vie qui m'attend sur le nouveau continent, mais c'est encore complètement différent du voyage. Je ne devrais pas me poser ce genre de questions et pourtant je me demande déjà comment sera notre relation sur la terre ferme. Nos sentiments sont nés en mer alors qu'adviendront-ils sur terre ?

- Pourquoi pas, je n'ai pas encore testé l'activité.

- Super parce que je paris deux scones que je te bats !

- Je n'ai jamais joué à ce jeu alors tu vas gagner, c'est de la triche ! L'amadouais-je d'une adorable moue.

- Pas besoin d'être Einstein pour jouer.

Le simple fait qu'il nourrit une véritable excitation à faire quelques parties avec moi me suffit amplement pour le suivre. Ce qui compte c'est de partager d'agréablement moments tous les deux. S'il veut, je peux lui offrir autant de scones qu'il le souhaite si nous pouvons en échange nous créer de beaux souvenirs. J'ai un urgent besoin d'être avec lui, la fin du voyage y étant certainement pour beaucoup.

Pour nous rendre au pont supérieur où se dispute le tournois, nous passons devant le Lion pub bien plus bruyant que d'ordinaire. Je m'y attarde donc quelques instants et lis la pancarte affichée à l'entrée. Elle indique qu'après le quizz de culture générale, aura lieu un karaoké en début de soirée. Je saute sur l'occasion pour revoir les closes de notre pari.

- Si tu perds au palet, je veux que tu ailles chanter une chanson !

- C'est hors de question, tranche-t-il calmement.

- Ton père est ancien chanteur non ? Tu dois avoir une belle voix du coup.

- Ce n'est pas héréditaire le talent.

- Non mais je suis sûre qu'il a essayé de te donner des cours, lui souriais-je pour le faire capituler.

- Pas vraiment non.

Je plisse des yeux et fronce les sourcils comme si cela allait m'aider à déceler son mensonge. Mes mains sur mes hanches, j'attends qu'il me sorte un « je rigole » qui finalement ne sort pas. Son visage est des plus sérieux.

- Ton père n'a jamais voulu te transmettre sa passion ?

- Non, tout comme ma mère ne m'a pas poussé à être médecin, hausse-t-il les épaules. J'ai été libre de choisir mes propres centres d'intérêts.

Je souris niaisement en essayant d'imaginer ses adorables parents. Tout comme moi, il a été élevé dans une famille aimante et ouverte sur le monde. Cependant, avec un tel environnement familial, je me demande pourquoi il n'apprécie pas de parler aux gens. La question me triture l'esprit et je finis par la lui poser. Il presse les paupières et appuie son épaule droite contre le mur. Ses bras croisés sur son torse, il se lance dans son explication minimaliste.

- Les gens sont fatigants.

- Quoi, c'est tout ? Dis-je choquée.

- Je ne savais pas qu'il fallait une bonne raison pour ne parler à personne. 

- L'être humain est comme tout animal, il a besoin d'interagir alors je me demande pourquoi toi ça ne t'intéresse pas d'échanger avec les autres.

- Tu me fais un cours de psychologie ? Se méfie Apollon.

- Pas du tout, j'aime juste comprendre les choses et toi tu es un parfait mystère.

C'est à son tour de froncer les sourcils. Il se redresse, me dominant de son bon mètre quatre-vingt-dix, mais garde toujours les bras croisés.

- Et c'est mal ?

Sa question, un brin innocente, ne va pas du tout avec son attitude froide. Je m'empresse alors de le rassurer avant qu'il interprète mal mes paroles.

- Bien sûr que non !

Ses traits se décrispent, un léger rictus courbe même la commissure de ses lèvres. Il passe l'une de ses paumes sur son visage qu'il frotte doucement, puis la laisse glisser jusqu'à ses cheveux châtains. Il ne se rend pas compte combien il est sexy en faisant cela.

- Bon, on va se faire ce tournois ?

- On ne peut pas tant que tu n'as pas validé les conditions, rigolais-je.

- Je ne chanterais pas !

- Oh allez, juste une seule ! Le suppliais-je comme une enfant voulant des bonbons au supermarché.

- Même pas en rêve !

- S'il te plait, pour moi !

Il grimace, comprenant que s'il refuse cela lui causera du tort. Le voir capituler en silence, à petit feu, me rend extrêmement heureuse. Un sourire satisfait ne me quitte plus.

- De toute façon c'est moi qui vais gagner, bougonne-t-il en se rendant sur le pont sans m'attendre.

Je cours vers lui et attrape son bras tout en riant face à sa moue boudeuse. Il tente de s'extirper de mon emprise mais je ne cesse de venir enrouler de nouveau mon bras autour du sien. Je suis tout aussi déterminée à ne pas le lâcher qu'à gagner au palet. Le prix à l'arrivée est si beau qu'il me donne des ailes, mon petit esprit de compétition vient de s'allumer en moi. Grâce à lui, je vais tout donner pour remporter cette incroyable victoire !

Le vent sur le pont est léger, frais, c'est agréable d'avoir la brise caressant notre visage. Mes cheveux virevoltent, des mèches me tombent sur le yeux et Apollon vient les replacer derrière mon oreille. A travers les verres de mes lunettes, j'observe son geste rempli d'attention.

- Merci, murmurais-je.

Je doute qu'il est entendu puisqu'il se retourne sans m'adresser le moindre sourire. Il attrape une canne en bois de chaque moi et m'en tend une. Je la saisis avant d'inspecter l'objet. Un des côtés du bâton se termine en une forme de Y, j'imagine que c'est avec cette partie qu'il va falloir que je pousse le palet sur le sol pour qu'il atteigne la cible. Ce jeu ne me semble pas très compliqué.

- Bon je nous ai inscrit en duo, m'informe Apollon.

- En duo ?! Mais si on est ensemble on ne pourra pas faire notre défi !

- Si je dois chanter, je ne le ferai pas seul donc soit on perd tous les deux et on chante ensemble, soit on gagne et on va vider le buffet dessert.

- Ça me va !

Je lui serre la main, signe d'approbation de ces nouvelles closes. Chanter faux devant un public ne me dérange pas, je trouve même ça amusant. Comme dirait le dicton : « le ridicule ne tue pas ».

- Le but du jeu me parait plutôt évident mais je te l'explique quand même, il faut que le palet atteigne le centre de la cible si on veut avoir le maximum de points.

- Sérieux ? Je ne savais pas qu'on jouait comme ça ! Dis-je en jouant les filles un peu godiches sur les bords.

Apollon ne relève pas la blague, il me regarde avec de grands yeux. Ainsi, je peux voir tout le contour de ses iris bleus et constate qu'ils sont plus foncés sur les bords pour s'éclaircir au centre. Des stries de gris viennent donner de la profondeur à son regard, on dirait des éclairs lancés par Zeus lui-même pour électriser quiconque aurait l'audace de les contempler.

- C'est une blague ? Demande-t-il d'un ton neutre mais rempli de jugements.

- Évidemment Einstein, finis-je par dire après être revenue à moi.

- Tant mieux parce que tu n'as pas intérêt à nous faire perdre !

- Moi j'ai envie de t'entendre chanter, haussais-je les épaules, un sourire amusé peignant mes lèvres.

- Tu n'as pas le droit de faire ça ! Ce serait de la trahison !

Le menton levé et le torse bombé, je passe devant lui pour jouer mon premier coup. Derrière moi, je l'entends grommeler dans sa barbe alors que je lance le premier palet à l'aide de ma canne. Il glisse sur le pont fait de bois ciré à la perfection. Peut-être même trop vu l'allure à laquelle il traverse les cibles. Je vais devoir apprendre à contrôler ma force.

Vient ensuite le tour d'un membre du duo concurrent. L'homme, au polo d'une grande marque bien trop chère pour moi, parvient à lancer son palet pile au centre, il remporte quatre-vingt-dix points en un seul coup. Heureusement, Apollon fait lui aussi un parfait et l'autre homme du duo tire le sien aussi mal que moi. Résultat, nous avons le même nombre de points.

A la manche suivante, je me concentre davantage et parvient à atteindre dix points, le minimum gagnable. Je cris un grand « génial » en levant mon point en l'air sous les yeux surpris de nos adversaires.

- Première fois n'est-ce pas ? M'interroge l'homme au polo tout en se positionnant pour jouer.

- Bonne observation, rigolais-je.

- Ça m'a fait la même chose à mes débuts et maintenant j'ai cinquante ans de pratique derrière moi.

- Wow vous êtes un pro !

- Presque, rigole-t-il en faisait un nouveau tir parfait.

Nous laissons la place à nos partenaires tandis qu'il m'informe s'appeler Henry et qu'il trouve très sympathique mon t-shirt fleuri. Je le remercie en lui répondant qu'il vient d'H&M, ce à quoi il me rétorque en riant : « je sais, c'est moi qui l'ai choisi pour être commercialisé chez nous ». Je réalise donc que je partage une partie de palet avec un haut placé d'H&M.

Nous terminons la partie en perdant contre le duo d'hommes d'affaires. Apollon n'est pas ravi, il pense que j'ai fait exprès de nous entrainer dans une chute certaine et il n'a pas tort. Je n'allais pas laisser perdre Henry et son ami John alors qu'ils sont ceux qui décident ce que je vais porter cet automne.

- La prochaine partie on la gagne sinon on est disqualifié, me met en garde mon binôme.

J'hoche la tête, déterminée à battre mon record de point. Le charmant couple venu fêter leurs noces de diamant, soit donc soixante ans de mariage, ne font pas long feu. Malgré leur âge avancé, ils gardent une excellente d'dextérité mais non suffisante pour battre notre duo de choc. Apollon et moi remportons la partie en prenant soins de féliciter nos concurrents qui n'avaient que dix petits points de différence avec nous. A croire que tous les passagers de ce navire sont des champions du monde de palet !

- Bravo Alix !

Mon binôme, qui s'avère également être mon copain désormais, me félicite en m'embrassant chastement. Ce rapide contact a mis sur pause mon cœur démuni par ce baiser si agréable malgré sa courte durée. La nouvelle et timide spontanéité d'Apollon me plait, ce garçon me charme un peu plus d'heure en heure.

Je ne me lasse pas de le regarder, surtout lorsque les muscles de ses bras se contractent pour tirer le palet sur la piste. Son t-shirt me permet d'assouvir mon léger penchant de voyeurisme bien que je préfèrerais avoir accès à son torse. Il est incroyablement sexy avec son visage peint de concentration. Son imperturbabilité est terriblement attirante. Mon cœur ne cesse de battre un peu plus rapidement à chacun de ses petits coups d'œil en coin. Il croit certainement que je ne les vois pas et pourtant je remarque que cela. Il n'y a que lui qui brille dans mes yeux.

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J'ai hâte de vous montrer les prochains chapitres qui seront rythmés par des petits moments choux entre Alix et Apollon.

Je ne le dis pas assez souvent mais merci à toutes les personnes qui suivent cette histoire, c'est mon tout premier roman alors j'ai encore beaucoup de choses à améliorer !

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