Chapitre 33 - Savoir blesser


Le soleil de cette dernière journée à bord pointe le bout de son nez. Je le regarde habiller le ciel de lumière alors qu'il s'impose petit à petit au-dessus de cet océan qui me manquera. Durant une semaine, ce panorama a été le seul horizon en vue, je m'y suis donc habituée. Les gratte-ciels de Manhattan vont me paraitre si impromptus après cela. La skyline, avec ses immeubles plus ou moins hauts, promet d'être dépaysant comparé à ce plat infini. Et le bruit, le vacarme incessant de la grosse pomme qui ne dort jamais. Une semaine de calme pour un week-end mouvementé.

Malgré le pincement que j'ai au cœur en pensant déjà à mon arrivée demain matin, je suis heureuse que le voyage se termine. J'aurais évidemment pu passer encore quelques longues semaines à bord en compagnie des charmantes rencontres que j'ai faites ici, mais fouler le pied sur le sol américain signera l'accomplissement de mon rêve. Moi, Alix, petite française en manque d'aventure au bout du monde, aura enfin réussi la traversée de l'Atlantique sur le Queen Mary 2. Cela ne sonne pas comme une fin en soi car en réalité, ce n'est que le prologue de la nouvelle partie de ma vie. Une fois sur le nouveau continent, j'entamerai le second tome de mon existence. Comment ne pas être excité à l'idée d'écrire les prochaines lignes de son histoire ? Moi, je ne peux pas rester calme en tout cas.

- Je ne me lasserai jamais de cette vue, s'émerveille Lou.

Après la petite scène intime de la piscine entre Apollon et moi, il m'a gentiment raccompagné à ma chambre où là encore, dans le couloir juste devant ma porte, nous avons continué à nous embrasser. Le goût de ses lèvres est toujours présent sur les miennes même des heures après notre dernier contact.

Pleinement heureuse, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit et ai repensé à nos baisers, nos confessions, jusqu'à ce que le soleil pointe bientôt le bout de son nez. J'ai alors soudain eu envie d'aller le voir émerger de l'océan comme un phénix déployant ses ailes. J'avais besoin de sentir ma peau chauffer sous ses rayons, avoir mes cheveux balayer par le vent marin et surtout, partager ma joie avec quelqu'un. Lou est celle qui m'est venue en premier à l'esprit et malgré ses grommellements à l'autre bout du fil, elle a fini par me rejoindre sur le pont au moment où l'astre solaire a fait sa divine apparition.

- Ces levers de soleil au beau milieu de nul part vont me manquer, avouais-je en posant mon menton sur mes avant-bras croisés sur la balustrade.

- Le spectacle est encore plus beau quand il y a une fine couche de brume. On jurerait que l'on traverse un autre monde. C'est magique.

- Il va falloir que je revienne pour voir ça alors, plaisantais-je.

- De toute façon tu ne vas pas laisser ton Apollon sans surveillance, me taquine-t-elle, fière de sa petite blague.

Je lui jette un rapide regard en coin, un sourire sur le visage. « Mon Apollon », cela sonne plutôt bien.

- Tu m'as extirpé de mon lit pour me raconter une belle histoire d'amour alors je t'écoute.

- Je t'ai proposé de venir regarder le lever du soleil, rectifiais-je.

- Tout en me racontant quelque chose de croustillant sur lui et toi, repris-t-elle l'index levé vers le ciel. Allez, je veux savoir ce que monsieur « j'ignore tout le monde » a bien pu te dire !

- Alors déjà il n'ignore pas tout le monde puisqu'il me parle avec envie, et il m'a avoué ses sentiments hier soir.

Lou semble si choquée par cette révélation que je vérifie, en me penchant un peu au-dessus de la balustrade, si elle n'a pas vu une sirène suivre le navire. Mais rien, aucune trace d'une créature mystique.

- Apollon a un cœur ? Mon dieu mais où est-ce que tu l'as trouvé ?!

- C'est le mien qui m'a guidé jusqu'au sien, un peu comme une boussole.

Mon amie explose de rire sous mes yeux. Elle ne parvient plus à se contrôler et pose sa main sur la rambarde pour reprendre son souffle, les larmes aux yeux.

- Je n'ai jamais entendu quelque chose d'aussi nais, pouffe-t-elle. Mais c'est chou.

- J'ai lu ça une fois dans un livre et j'avais trouvé cette comparaison plutôt pertinente.

- Pertinente ? Je dirais plutôt romantique à en mourir mais bon, elle te correspond bien je trouve.

- Mais je ne suis pas fleur bleue !

Son sourire béat fait sous-entendre que si. D'une moue boudeuse, je m'accoude à la balustrade et dépose ma joue sur mon poing. Le bruit des vagues me berce alors que je repense aux derniers évènements qui me sont arrivés. Je suis comme sur un petit nuage tout rose qui flotterait au gré des vents dans le ciel. Un petit cocon d'amour me cachant du monde extérieur. Je me sens bien, libre, pleine de vie et surtout d'envies.

- Aujourd'hui c'est le dernier jour de croisière, tu comptes faire quoi ? M'interroge Lou.

- Je ne sais pas trop, il y a encore tellement de chose que j'aimerais faire. Tu as quelque chose à me conseiller ?

- Si ça ne tenait qu'à moi, je resterais ici à contempler toute la journée cette incroyable vue.

Incroyable est un faible adjectif pour qualifier le paysage hors norme que nous avons la chance de contempler. Être au milieu de l'océan, sans aucun autre navire autour, titille mon âme d'exploratrice. Je fonce droit dans la découverte et j'adore ça. Certes, l'inconnu me fait un peu peur, mais il s'agit d'une bonne angoisse. Celle qui fait palpiter mon cœur pour me rappeler que je suis bel et bien en vie.

Lou me salue, son travail commençant dans peu de temps. Je décide d'écouter son conseil et reste sur le pont à admirer les vagues se fracasser contre la coque du navire. Ce mastodonte fend les flots avec une aisance presque poétique. Tel un magnifique ballet digne des plus grands opéras du monde, ses flancs noirs dansent en harmonie avec le bleu de l'eau dans une douce mélodie. Ils valsent, ne se préoccupant pas du regard intrusif des quelques courageux voyageurs venus, comme moi, s'émerveiller du dernier lever de soleil en mer.

Je reste ici plusieurs heures sans voir le temps passer. Le soleil est haut quand l'envie d'aller prendre mon petit-déjeuner me gagne. Je réajuste mes lunettes posées sur mon nez et m'engouffre à l'intérieur du navire. Le froid extérieur est rapidement remplacé par la chaleur de dedans, réchauffant mes mains glacées. Ces dernières sont soudain prises entre deux grandes paumes qui les englobent complètement. En levant les yeux sur l'individu face à moi, je déglutis.

- Charlee ? Murmurais-je de surprise.

- Tu as les lèvres presque bleues Alix ! Pourquoi tu es restée dehors aussi longtemps ?!

Sans que je n'aie le temps de le repousser, ses bras m'entourent fermement. Je suis plaquée contre son torse à mon insu mais tente de me dégager dès que possible. A l'aide de mes mains, j'essaie d'instaurer de la distance entre nos deux corps. Sous mes doigts, je sens ses muscles se crisper dans le but de m'empêcher de parvenir à mes fins.

- Charlee, s'il te plait, lâche-moi, dis-je calmement.

- Non.

- Ce n'était pas une question.

- Désolé mais il est hors de question que je te laisse avec Apollon sans rien faire.

Je me fige sur place. Comment peut-il être au courant de ce qui se passe entre le châtain et moi ? C'est impossible à moins qu'il ait joué les espions lors de notre petite séance à la piscine d'hier soir. A cette simple image de Charlee nous regardant à notre insu nous embrasser, une chair de poule hérisse tous les poils de mon corps. Ce serait vraiment glauque.

Incertaine mais voulant connaitre la réponse, j'avale bruyamment ma salive avant de lui poser ma question. Je prie au plus profond de moi que Charlee n'est pas ce genre de garçon pervers.

- Comment tu sais ? Demandais-je tout bas.

- On est dans la même chambre je te rappelle et même si on ne se parle pas, je remarque lorsqu'il s'éclipse tard dans la nuit.

- Tu l'as suivi ? Renchéris-je avec angoisse.

- Bien sûr que non !

La boule nouant mon estomac disparait. Une vague de soulagement me gagne et je peux de nouveau respirer normalement sans être en apnée.

- Mais pas besoin d'être devin pour savoir qu'il allait venir te voir. L'information, comme quoi un gentleman dance host enlaçait une jolie jeune fille à lunette dans le couloir, a déjà fait le tour du bateau.

Je me remémore ce fameux moment où Apollon m'avait rattrapé pour m'avouer à demi-mot ses sentiments. Je croyais que mon cœur allait exploser à chacune de ses douces paroles dites avec sa voix si belle et envoutante. C'était son supérieur, Charles, qui avait mis fin à ce moment de complicité qui m'aurait laissé paraitre faible. Sans lui pour couper court à la situation, j'aurais embrassé Apollon sans aucune retenue là, en plein couloir.

- Ce gars n'aime pas les gens et un jour ou l'autre il ne t'appréciera plus non plus, me met-il en garde.

- Ne parle pas comme si tu étais lui. Tu ne le connais pas, tranchais-je froidement.

Charlee finit enfin par me lâcher, sans pour autant véritablement s'éloigner. Il garde ses mains sur mes épaules comme s'il avait peur qu'en n'exerçant plus aucun contact sur moi, je m'enfuirais en courant.

- Tu es spontanée, drôle, et terriblement adorable. Apollon est tout le contraire de toi alors pourquoi est-ce que tu l'apprécies ?

- Les opposés s'attirent, haussais-je les épaules.

Le brun se met à rire faussement. A sa place, j'aurais eu la même réaction je l'avoue. Ma réplique était des plus nulles, très clichés et tout droit sortie de l'âge de pierre.

- Alix, franchement, même la romantique que tu es n'y crois pas.

Je fronce les sourcils et pince les lèvres. Pourquoi tout le monde me prend pour une de ces filles romantiques sous prétexte que je lis des romans d'amour ? Je trouve le rapprochement précipité de mauvais goût et il le remarque.

- Ce que je veux dire c'est que les différences ont leurs limites. Peut-être qu'elles rapprochent au début mais sur le long terme, elles éloignent.

- Tu es un expert en la matière maintenant ?

- Disons que j'ai connu une relation du genre par le passé.

- Tes histoires ne sont pas les miennes alors pourquoi elles auraient forcément la même fin ?

- Je n'en sais foutrement rien mais je me devais de te le dire, souffle-t-il en pressant ses paupières. Tu es exceptionnelle, tu ne mérites pas d'être blessée par un pauvre type sans cœur.

- Parce que tu t'estimes mieux que lui ?

Il ne répond pas tout de suite et prend le temps de réfléchir. Ses doigts se pressent un peu plus fort sur mes épaules, j'ai l'impression d'avoir tout son poids qui pèse sur moi. Comme si ses paroles, que je fais mine d'ignorer, m'écrasait par leur vérité.

- On a le même sens de l'humour, les mêmes centres d'intérêts, une joie communicative. Ces éléments devraient te suffire.

Son regard triste me heurte. Je suis en train de le blesser, je le sais, mais j'en suis contrainte. C'est Apollon qui fait vibrer mon cœur malgré nos différences flagrantes. Charlee a peut-être raison, notre relation n'est que temporaire, passagère, ou bien beaucoup plus solide qu'il ne le pense. Néanmoins, la tentation de faire un bout de chemin avec Apollon est bien trop forte. J'ai envie de m'y risquer, quitte à me brûler les ailes.

Délicatement, je saisis les poignets du brun et replace ses mains le long de son corps. Il ne résiste pas, me laissant faire dans une lassitude flagrante. Ses yeux noisette ne me lâchent pas une seconde alors que je m'écarte de lui. Il devine déjà les mots que j'ai à lui dire et presse les paupières dans l'espoir que tout ceci n'est qu'un mauvais rêve. Je l'imite, tentant de trouver les paroles qui lui feront le moins de mal possible. Je hais rendre triste les gens, d'autant plus quand j'apprécie ceux-ci. Entre lui et moi il y a bien quelque chose de fort mais en ce qui me concerne, ce n'est qu'une très belle amitié.

Il a été la première rencontre du second tome de ma vie et pour cette raison, il gardera à jamais une place spéciale dans mon cœur. Un morceau lui sera toujours dédié quoi qu'il puisse advenir entre nous. 

________________________________________________________________________________

Et oui, nous entamons la dernière journée sur le Queen Mary 2. Il est donc temps de mettre les différentes relations d'Alix au clair et nous commençons donc avec ce charmant Charlee. 

Il a été sa première rencontre comme elle le rappelle, c'est donc le premier à qui elle dit au revoir. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top