Chapitre 30 - Laisse parler ton coeur
Mes pensées sont assiégées de toutes parts. Malgré les fortifications qui les entourent, elles ne sont pas à l'abris des dernières paroles de Charles, ainsi que de mon mensonge, qui attaquent sans ménagement leurs murs de défense. Résultat, impossible de fermer l'œil alors que mon réveil affiche déjà une heure et demie du matin.
J'ai essayé d'extérioriser tout ce que j'ai emmagasiné aujourd'hui en prenant ma douche, mais j'avais tellement de vilains mots à dire que je n'aie pas eu le temps de tous les laisser sortir. Ensuite, j'ai tenté de frapper mon visage avec un oreiller, pensant que cela allait m'épuiser au bout d'un certain temps mais rien. Pas l'ombre de la fatigue en vue. J'ai donc entrepris comme dernier recours de regarder la télévision. Là encore, c'est un échec cuisant.
Je me redresse sur mon lit, passant la paume de mes mains sur mon visage dont les traits sont tirés par la fatigue. Je ne sais pas quoi faire, le temps semble s'écouler à une vitesse extrêmement lente. Nous nous rendons compte à quel point une nuit peut être longue seulement lorsque nous ne parvenons pas à fermer l'œil. Je ne me plaindrai plus jamais qu'elles sont trop courtes, je le promets. Mais pitié, laissez-moi dormir !
Cherchant désespérément quelque chose à faire, je suis soudainement arrêtée dans ma quête lorsque l'on frappe à ma porte. Mon corps ne bouge plus, je reste aussi immobile qu'une statue durant quelques secondes. A cette heure-ci, il ne peut y avoir que deux personnes pour s'aventurer dans les couloirs endormis du navire : Apollon ou Charlee. J'ignore lequel j'ai envie de voir, peut-être aucun tout compte fait ? Je suis suffisamment fatiguée comme cela pour me prendre encore la tête avec mes fichus sentiments. Mais la personne à l'extérieur ne semble pas décidée à abandonner, elle continue à frapper dans l'espoir que je lui ouvre enfin.
Fébrilement, je sors de mon lit et me dirige à petits pas vers la commode où sont rangés mes vêtements. J'enfile un soutien-gorge par-dessus lequel je remets mon débardeur gris moulant, et couvre mes cuisses d'un short. Ce n'est certainement pas le moment d'ouvrir la porte à moitié habillée. Je fais même demi-tour pour enfiler un pull en laine jaune, trouvant mon corps encore trop peu vêtu.
Je me faufile ensuite jusqu'à l'entrée où j'hésite à regarder rapidement dans l'œillet avant d'ouvrir, puis me ravise. Ma main reste posée sur la poignée sans pour autant l'ouvrir. Mon corps me protège, il me fait comprendre que derrière cette porte se trouve l'un de mes plus gros problèmes. Et à bientôt deux heures du matin, suis-je apte à en affronter un ? En ai-je la force ? La réponse me semble plutôt clair dans mon esprit embrumé.
Je colle mon dos contre l'encadrement de la porte et me laisse glisser au sol, renonçant à faire entrer l'inconnu dans ma chambre. J'ai besoin de calme, d'une pause dans le tourbillon de sentiments qui me tire peu à peu vers le fond de l'océan.
- Alix !
Malgré la porte qui nous sépare, je parviens à entendre mon prénom. Je sais qu'il sort de la bouche d'Apollon, je reconnais clairement sa voix. Mon envie de rester seule se confirme, mon corps avait raison de vouloir me protéger. Sans même savoir ce qu'il me veut, je sais qu'il viendrait une nouvelle fois tout chambouler dans mon cœur. Et ça, il n'en est pas question.
- Sors, s'il te plait.
Je lui réponds non de la tête même si je sais qu'il ne peut pas me voir. Je crois que j'avais juste besoin de me le dire à moi-même, comme pour m'aider à lutter afin de garder cette porte close.
- Je sais que tu m'écoutes alors entends bien ceci, je me fiche des mises en garde débiles de Charles parce que tu me plais vraiment Alix.
Je dirais même que je bois ses paroles, chacune me laissant un goût doux et sucré en bouche. Je l'écoute avec une attention studieuse, mon oreille collée au niveau du petit interligne entre la porte et son encadrement. Le son y est plus clair, plus limpide, je peux presque entendre sa respiration saccadée alors qu'il est de l'autre côté.
Le silence qu'il installe est coupé par le bruit de son dos se laissant glisser le long de la porte. Désormais, nos corps sont tournés dans le sens opposés à l'autre et pourtant je ne l'ai jamais senti aussi proche. Pas même lorsqu'il m'a entouré de ses bras avant que Charles nous aperçoive. Cette fois, c'est différent. J'ai l'impression que c'est son cœur qui me parle, qu'il a enfin trouvé le moyen de s'échapper de sa cage thoracique pour venir enlacer le mien. Ce n'est plus l'armure extérieur d'Apollon qui s'adresse à moi mais l'homme fragile qu'il y a l'intérieur.
Je n'ai qu'à ouvrir cette toute petite porte pour enfin le voir, mais je ne cède pas à la tentation. Je campe sur ma position, essayant de chasser son cœur du mien. Mais il est bien trop fort, il s'accroche d'une main de fer sans que je ne parvienne à trouver le moyen de le décrocher.
N'ayant plus de solution, telle une enfant capricieuse, je me mets à pleurer. C'est sans doute la fatigue qui est à l'origine de ma sensibilité extrême ce soir. Elle a fini par achever mon corps déjà tiraillé par ce choix cornélien qui se présente devant moi. Je maudits mes larmes qui me rendent si pitoyable, je rentre alors dans un cercle vicieux où mes pleures me donnent davantage envie de pleurer.
- Pourquoi est-ce que tu pleures ?
J'essaie d'essuyer à la va-vite mes larmes et tente de calmer mes sanglots. Mais il est trop tard, Apollon les a entendus et il doit certainement me trouver pathétique.
- Je suis désolé, te rendre triste n'était pas le but de ma visite.
Je murmure un léger « ce n'est rien » qui ne lui parviendra jamais avec la petite voix frêle que j'ai ce soir, et joue avec les manches de mon pull en laine jaune. C'est ma grand-mère, celle vivant en Angleterre, qui me l'a offert. Le jour où j'ai vu pour la première fois le Queen Mary deux et que j'en suis tombée amoureuse, je portais ce pull. Aujourd'hui, je suis à bord de mon coup de foudre et pourtant je pleure à chaudes larmes. C'est complètement contradictoire.
- Je connais un bon moyen pour faire disparaitre la tristesse. Mais pour ça, il faut que tu m'ouvres.
Ma main se dirige d'elle-même vers la poignée de la porte mais je la rattrape en vitesse pour la replacer sur ma poitrine. J'ai failli me laisser avoir par cette promesse de faire taire ma tristesse. J'aimerais tellement que ce sentiment néfaste soit chassé mais je ne suis pas certaine qu'Apollon en soit capable. Il est tout de même l'une des causes de ce mal.
De l'autre côté de la porte, je l'entends se relever. A cet instant précis, alors qu'une plus grande distance sépare de nouveau nos corps, je sens nos cœurs se délier. Le sien n'étouffe plus le mien, il peut enfin battre à son rythme habituel. Cependant, je me sens vide sans lui. A croire qu'il est parvenu à prendre un morceau de mon cœur en s'échappant de ma cage thoracique.
- Ton refus de m'ouvrir me fait bien comprendre que tu ne ressens pas la même chose que moi, mais laisse-moi quand même t'aider. Ton sourire est-ce qu'il y a de plus important.
J'éclate soudain de rire, mélangeant cette étrange expression de joie avec mes larmes de peine. Ma sœur m'a souvent dit que je souriais trop et pour pas grand-chose. Une belle fleur dans un pré, un tableau dans un musée ou un chiot dans la rue, mes lèvres ne pouvaient jamais résister à s'étirer dans un large sourire. Il en fallait peu pour me rendre heureuse et ma sœur trouvait ça agaçant parfois.
Elle qui était habituée aux visages fermés des défilés de mode, me voir ainsi à longueur de journée ne lui paraissait pas naturel. Elle me disait souvent « Du gjør det med vilje ? » qui voulait dire « tu le fais exprès ? » en norvégien. Je lui répondais alors que non, que c'était automatique et que je ne pouvais pas m'en empêcher.
Avec un tel passé, je ne peux que rire à la remarque touchante d'Apollon. Il aime mon sourire et ça, ça me chamboule au point de laisser ma main ouvrir cette satané porte. Je décale légèrement mes fesses sur le côté afin de pouvoir lui laisser suffisamment de place pour entrer, et attends qu'il le fasse.
Lorsqu'il passe la tête à l'intérieur de ma chambre, il reste dans l'embrasure de la porte et se met accroupi. Désormais à ma hauteur, il me regarde comme si j'étais un petit être fragile. Je n'ose même pas croiser son regard qui doit être rempli de pitié.
- Je suis sincèrement désolé Alix. Je m'en veux de t'avoir fait pleurer.
- Ce n'est pas ta faute, finis-je par dire dans un élan de courage.
- Alors c'est à cause de qui ?
- Personne en particulier, c'est un tout.
Je ne veux pas l'affubler de ces larmes, il n'a pas à culpabiliser car au fond il n'y est pour rien. C'est moi le problème dans cette histoire, je suis la solution à ce casse-tête chinois mais il semblerait que je ne suis pas décidée à en dévoiler la réponse. Mon cœur n'est pas encore prêt pour ça.
- J'ai quelque chose qui te fera du bien.
Il me tend sa main mais je ne la saisis pas immédiatement. Au lieu de cela, je lève la tête vers lui, un brin d'incompréhension dans les yeux.
- Il faut que tu me suives, rigole-t-il.
Incertaine, je glisse lentement ma paume dans la sienne avant de l'agripper fermement. La chaleur de sa peau rempli mon cœur dont je croyais qu'il manquait un morceau. Je me sens de nouveau entière, pleine de vie et surtout d'envies. Car oui, je veux le serrer aussi fort que possible dans mes bras pour ne plus qu'il s'éloigne de moi. Car oui, je veux qu'il continue à me parler indéfiniment. Car oui, je veux qu'il m'embrasse passionnément.
A cette dernière pensée, je serre un peu plus ma main dans la sienne. Ce contact charnel chamboule mon corps, me provoquant une vague de plaisir jusque dans mon ventre. J'aimerais que mes doigts restent noués aux siens à jamais. Qu'ils fusionnent pour que nous ne puissions plus nous quitter. Ce soir, je réalise à quel point j'ai besoin d'Apollon dans ma vie, que sans lui j'ai la douloureuse impression d'être vide à l'intérieur.
Cette prise de conscience m'émue davantage, je laisse les larmes retrouver la douceur de mes joues alors qu'il me guide à travers les interminables couloirs du navire. Mais le goût de ces perles d'eau salée est différent, il est rempli d'une joie débordante. Je ne suis plus triste. Si je pleure, c'est parce que je suis tellement heureuse d'être en sa compagnie que j'ai besoin d'extérioriser ma joie. Et chez moi, cela se traduit par de chaudes larmichettes.
Dos à moi, il ne peut ainsi pas voir mon état. Je contemple alors ses beaux cheveux châtains qui virevoltent à chacun de ses pas. Mes yeux descendent ensuite plus bas jusqu'à atteindre ses hanches. C'est à ce moment que je remarque qu'il porte un short en toile noire. Mes yeux s'écarquillent, je reste sans voix face à cette image. Voir Apollon vêtu d'un short décontracté et d'un t-shirt tout aussi « tenue pour trainer chez soi », me surprend pour ne pas dire choque. Ce n'est pas vraiment sa tenue habituelle. Il est beaucoup moins élégant mais il n'en reste pas moins charmant.
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Bon elle a fini par craquer et lui ouvrir la porte mais elle a tenu bien plus longtemps que si ça avait été moi ahah.
Vous verrez comment Apollon réconforte Alix au prochain chapitre !
Je participe à un concours de la Saint Valentin organisé par AmbassadorsFR. J'ai écrit une courte histoire du nom de "Quand j'ai vu tes yeux" alors ça me ferait plaisir que vous passiez la voir. Elle est terminée et se lit très rapidement.
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