Chapitre 27 - La réponse
Un robot, voilà comment je me sens à l'heure actuelle. Je marche, repère Isabella dans le bar et m'assoie à sa table machinalement. Je ne pense à rien, je me sens vide et seule. Pourtant, je n'ai pas envie de pleurer. En fait je ne sais pas ce dont j'ai réellement envie actuellement.
- Est-ce que tu veux qu'on en parle ?
- Il vaut mieux que non.
D'un sourire désolé, elle rapproche le verre qu'elle a soigneusement commandé pour moi. Elle m'informe qu'il s'agit d'un cocktail sans une goutte d'alcool mais avec énormément de vitamines qui ne feront pas de mal à mon corps vidé de toute énergie. Cependant, je ne suis pas d'humeur aujourd'hui. Les deux garçons ont réussi leur coup, ils sont parvenus à me rendre triste. Pas même l'ambiance décontractée du bar, ma boisson fraiche ou la compagnie de l'italienne n'arrivent à me redonner le sourire. Je ne trouve aucun positif dans ce qu'il vient de se passer alors un sentiment de morosité me gagne. Je me remets en question, me demande si j'ai fait les bons choix, et me rends bizarrement compte que ma sœur me manque.
A chacun de ses voyages loin de moi, j'étais nostalgique de nos moments passés avant son départ. Je ne désirais qu'une chose : qu'elle revienne. Pendant qu'elle s'amusait à parcourir la planète en ne pensant pas forcément à moi, j'étais chez nous à subir une routine ennuyeuse. Je croyais naïvement qu'en la quittant elle et mes parents, aucun manque ne se ferait sentir car je serais bien trop occupée à découvrir le monde. A présent, je sais que je me suis trompée sur ce point. Leur absence me dérange et je ne sais pas comment combler ce besoin d'eux à mes côtés.
Un pincement au cœur, je sirote quelques gorgées de mon cocktail aux fruits exotiques. Je joue avec la paille rose de mon verre, faisant tourner les glaçons flottant dans le liquide jaune. Je me sens seule, terriblement et indéniablement seule. C'est étrange de ressentir un tel sentiment alors qu'une petite ville entière s'affaire autour de nous. Comme si une bulle s'était créée autour de moi et m'empêchait d'interagir avec les autres. Comme si mon âme ne voulait plus se connecter à celle de quelqu'un d'autre.
Au loin, comme un écho, j'entends mon prénom. Cependant, je ne relève pas la tête et laisse mon regard plongé dans ma boisson, jouant encore avec les glaçons telle une enfant. Je sais qu'Isabella tente de m'appeler mais je n'ai pas envie de lui répondre. Aucun de mes mots n'a envie de gagner ses oreilles. Pourtant je n'ai rien contre elle, bien au contraire. Ce n'est pas de sa faute si j'ai rencontré deux abrutis et que l'idiote que je suis s'est attachée à eux.
- Alix !
Son ton sec et autoritaire, peu habituel, me fait sursauter. Cette fois, je tourne la tête dans sa direction et rencontre son air sévère. Elle me regarde durement, les sourcils froncés et les lèvres pincées, je ne l'avais encore jamais vu comme ça. Je me sens soudain mal à l'aise et n'ose pas faire un geste, de peur qu'elle hausse une nouvelle fois le ton.
- Se morfondre pour des garçons n'est certainement pas une chose à faire ! Tu vaux bien mieux que ça ma chère Alix, reprend-elle d'une voix plus calme.
Les pupilles vidées de toute étincelle, je la regarde tristement. Moi-même je me fais pitié à être aussi nulle. Si j'étais elle, je me serais déjà mise une bonne grosse claque sur la joue. C'est peut-être ça qu'il me faut finalement ? Une petite baffe pour que mon cerveau retrouve son esprit vif.
- Frappe-moi s'il te plait, demandais-je poliment.
- Pardon ? Il n'en est pas question !
- Juste une petite tape sur la joue.
- Je ne te ferai pas de mal !
Comprenant qu'elle n'osera jamais me toucher, je me résigne à le faire moi-même. Ma main droite vient alors s'écraser durement sur ma joue du même côté, provoquant un bruit plus fort que je ne le pensais. Le barman, surpris par mon geste, me regarde avec de grands yeux. Discrètement il tente de m'enlever mon verre mais je le retiens.
- Je ne suis pas bourrée, il n'y a même pas d'alcool là-dedans.
L'italienne confirme mes propos mais je n'échappe pas à l'air méfiant qu'il me lance. Je sais que désormais il va me surveiller du coin de l'œil. Je retombe alors dans mon adolescence où mes parents surveillaient nos moindres faits et gestes avec ma sœur. Nous avions tout de même énormément de liberté mais si nous commettions ne serait-ce qu'un petit écart, la sanction ne se faisait pas prier. Celle que préféraient nos parents était l'interdiction de sortie pour Annabeth et la confiscation de tous mes livres pour moi.
N'étant pas une personne avec énormément d'amis, je ne sortais que très peu. En revanche, lire était une véritable addiction alors ils ont trouvé cette punition bien plus efficace dans mon cas. C'est sans doute étrange vu de l'extérieur, des parents qui interdisent à sa fille de lire, et pourtant c'était bel et bien ma sanction. Heureusement, je n'ai franchi la limite que deux petites fois dans ma vie. Comparé à ma grande sœur qui explosait ses records d'année en année, j'étais relativement plus obéissante envers les règles.
Je repense alors à ce qu'a dit Charles à Apollon par rapport aux « règles à respecter ». Desquelles parlait-il au juste ? Je fais tourner mon cerveau dans le but de trouver une réponse ou tout du moins une piste, lorsque je tombe sur le regard toujours méfiant du barman. J'ai soudain l'idée de lui poser directement la question. Lui qui travaille sur le navire doit bien savoir quelque chose.
D'un geste de la main, alors qu'il est occupé avec une cliente très prenante, je l'interpelle. Il lance son torchon sur son épaule avant de s'excuser auprès de la jeune femme. Lorsqu'il arrive face à moi derrière le comptoir en bois du bar, il pose ses mains sur ses hanches, l'air sévère.
- Il est hors de question que je vous vende de l'alcool, me met-il en garde.
- Ce n'est pas ce que je veux vous demander.
Il finit par relâcher ses bras le long de son corps mais les traits de son visage restent sur la défensive. Il a compris qu'avec moi et mon imprévisibilité, il faut toujours se méfier.
- Est-ce que vous connaissez la première règle qui s'impose aux gentlemen dance hosts ?
Il fronce les sourcils et me regarde perplexe. Ma question semble lui paraitre très étrange. J'imagine que malgré tout ce qu'il doit entendre à longueur de journée, il arrive encore à être surpris par certains passagers.
- C'est une vraie question ?
- Oui. Alors ? M'impatientais-je.
- Et bien ils n'ont pas le droit de sortir avec les passagères, hausse-t-il les épaules. Mais ça me parait plutôt évident.
Est-il possible de sentir ses neurones communiquer entre eux pour amener à un message clair comme de l'eau de roche ? Parce que c'est ce que je ressens actuellement. Tout fait tilt, sonnant presque comme une alarme. Les nuages laissent place à un ciel bleu, la brume se dissipe et tout devient plus clair. J'y comprends enfin quelque chose.
- Ton sourire semble revenir, me fait remarquer Isabella.
Je passe la pulpe de mes doigts sur mes lèvres et en suis les contours. En effet, je souris. Je suis heureuse d'avoir pu lever le voile sur des nombreux mystères de la journée. Cependant, cette vague de bonheur laisse rapidement place à une tempête déchirante. A cause de moi, Apollon s'est attiré des ennuis.
- Il arrive quoi si jamais cette règle n'est pas respectée ? Demandais-je au barman, le regard posé sur mon verre.
- Un renvoi de l'employé.
J'échappe un petit cri de surprise me faisant moi-même sursauter. Je plaque ma main sur ma bouche en vitesse pour éviter qu'un autre son ne sorte. Je me sens coupable, terriblement coupable. Par ma faute Apollon risque de perdre son travail et ça, je ne peux pas le supporter. Il aime danser, cela se voit dans son regard, dans ses gestes, dans sa façon de son comporter. Il est certes toujours aussi froid et impassible, mais il est moins tendu. Cela l'apaise alors je n'ai pas le droit de lui retirer ce bonheur. Il faut que je parle à Charles, lui dire qu'Apollon n'y est pour rien et que tout est de ma faute.
D'un rapide « merci » adressé au barman, je saute de ma chaise et embrasse la joue d'Isabella. Surprise et ne comprenant pas ce qu'il m'arrive, elle me lance un « à ce soir » auquel je réponds par un signe de la main alors que je suis déjà devant la porte de sortie du Golden Lion Pub. J'ignore où il se trouve à l'heure actuelle, je fais simplement confiance à mon instinct qui me guide jusqu'à la grande salle de balle. Mais en arrivant devant cette dernière, les portes sont fermées à clé. J'ai beau m'acharner sur la poignée, elles ne s'ouvrent pas.
Dans un stress que je connais peu, j'essaie de trouver un autre lieu où il serait susceptible d'être. Le problème c'est que le navire est immense et que de ce fait, il pourrait être n'importe où. Mais un détail me revient lorsque je repense à ma dernière discussion avec lui et Apollon. Ils m'ont quitté en passant derrière une porte sur laquelle était inscrit « personnel only ». Avec toutes les recherches que j'ai pu faire sur le Queen Mary deux, je sais qu'elle donne accès aux « sous-sols » du navire, là où toutes les petites mains s'affairent pour rendre le voyage merveilleux. Je me faufile donc dans les profondeurs du bateau comme une espionne. Je me cache au coin des murs, guette que la voie est libre, repère des indices pouvant m'aider à trouver les quartiers de ce Charles.
J'ai l'impression d'être dans un Mission Impossible et que je m'apprête à sauver le monde. En réalité, je ne vais aider qu'une seule personne sur cette planète et pourtant j'ai la vive sensation de réaliser quelque chose d'énorme. Comme si le simple fait de venir en aide à Apollon allait avoir un impact sur le monde entier.
- Que faites-vous là mademoiselle ?
Une employée, me rappelant étrangement ma mère, me toise de bas en haut. Son tablier blanc est recouvert de taches, ses cheveux sont retenus dans une charlotte ne tenant plus très bien et une perle de sueur glisse le long de sa tempe. C'est vrai qu'il fait très chaud ici, les machines faisant avancer le navire ne sont pas très loin et réchauffe donc beaucoup trop l'atmosphère.
- Je cherche Charles, dis-je de but en blanc.
- Vous n'avez pas le droit d'être ici.
- Je sais, mais je dois vraiment lui parler.
- Je vais devoir vous demander de partir.
Ignorant complètement ma question et comprenant qu'elle ne m'aiderait pas, je ne trouve pas d'autre idée que de m'enfuir en courant. Pour le coup, j'ai plus l'impression d'être la méchante de l'histoire que l'héroïne sauvant la planète. Mon comportement suspect m'attire des ennuis, j'entends d'ici les pas lourds d'un agent de sécurité que l'employée vient d'interpeler. Je ne tiendrais pas longtemps la distance qui me sépare de lui, je le sens déjà me rattraper. Si seulement j'avais été un peu plus sportive, j'aurais pu le semer.
Avoir un vigile à mes trousses me fait complètement oublier ce que je cherchais en venant ici. Au diable la chambre de Charles, ma priorité est de m'en sortir sans y laisser des plumes. A chaque couloir que je prends, je pris pour qu'il ne s'agisse pas d'un cul-de-sac. Je ne sais pas où je vais, ni comment je vais me dépatouiller pour m'échapper d'ici, je me sens comme un pauvre gibier un jour de chasse.
Je jette un énième regard derrière moi, espérant avoir semé le molosse qui me pourchasse, mais il n'en est rien. De ses yeux qui me tuent sur place, mon cœur ne cesse de s'emballer de minute en minute. Je déteste cette adrénaline qui me ronge de l'intérieur. Cette angoisse permanente de se faire soudain attraper. Alors quand mon bras se retrouve pris au piège dans une paume de main puissante, un cri de terreur s'échappe de mes lèvres. Je me sens désarmée, je sais que cette petite course poursuite vient de prendre fin et que les problèmes vont commencer. Mais lorsque je croise les iris chocolat de Charlee, mon cœur est soulagé. Cette paume si intimidante devient alors réconfortante et comme une petite fille honteuse, je me cache derrière son dos quand l'agent de sécurité s'arrête à notre niveau.
- Je gère, lance froidement Charlee face à l'homme me pourchassant.
- Fais ça vite alors, les conquêtes d'un soir ne sont pas admises ici je te l'ai déjà dit.
Mon sang se glace à ses paroles alors que les doigts de Charlee se resserrent davantage autour de mon bras. Je ne bouge plus et cette sensation de vide en moi revient. Je me suis faite avoir en beauté par un coureur de jupons, je fais partie de son stupide tableau de chasse. Je me sens minable.
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Charlee est-il bien un bourreau des coeurs comme elle le pense ? Des zones d'ombres sur lui seront levées dès le prochain chapitre. Je vous le dis maintenant, choisir entre lui et Apollon s'annoncera compliqué après ça !
Moi-même je crois que je vais avoir du mal à choisir ahah
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