Chapitre 23 - Je s'appelle Groot
Comme je l'imaginais, ma petite trouvaille est passionnante. J'ai dévoré chaque page avec autant de plaisir que si j'avais dégusté un fondant au chocolat, mon gâteau préféré. Les mots coulaient en bouche, la texture des paragraphes étaient parfaite et la durée de lecture aussi rapide qu'un temps de cuisson. Je me suis laissée embarquer dans le voyage périlleux d'une jeune femme jusqu'à New York, dans les années mille neuf cent. Quittant son Italie natale afin de rejoindre les États-Unis, avec l'espoir d'une vie meilleure, elle succombera finalement à la tuberculose pendant la traversée. Elle n'aura donc jamais la chance de voir ne serait-ce que l'ombre de la Statue de la liberté, donnant une pointe d'amertume à ce gâteau en premier abord délicieux.
Malgré le fait que je n'ai rien à voir avec cette femme, que nos histoires sont aux antipodes l'une de l'autre, je me reconnais dans les sentiments qu'elle couche sur papier. J'ignore si ce livre se base sur des faits réels ou s'il n'est qu'une simple fiction inventée de toute pièce, mais quoi qu'il en soit il est très bien écrit. A en juger par la détérioration de la couverture ainsi que du papier et des mots relativement anciens, j'en conclu qu'il n'est pas tout jeune.
- Tu as déjà lu ce livre ? Interrogeais-je mon voisin.
Sans même regarder de quel œuvre il s'agit, il me fait non de la tête. Comment peut-il me répondre s'il ne prête pas attention à ce que je lui montre ? Bien décidée à avoir une réponse, je lui place sous le nez le livre, juste entre lui est les phrases si passionnantes de son bouquin.
- Tu es sûr de ne pas savoir ?
- Regarde qui est l'auteur et laisse-moi lire en paix !
Le ton grincheux habituel d'Apollon ne semble pas aussi froid que d'habitude. Certes il reste désagréable mais dans un sens, je l'apprécie. Maintenant que je sais qu'il est capable de sympathie et de compassion, je le vois différemment. Il ne représente plus le garçon impassible que j'ai connu jusqu'ici. Il ne m'irrite plus autant. Je crois que je commence à apprécier ce châtain surprenant.
- Il n'y a pas de nom, c'est pour ça que je te demande, repris-je.
- Et je suis censé faire quoi ? T'inventer un pseudo fictif pour que tu sois contente ?
- Non, je voulais juste savoir si ce livre te disait quelque chose.
Après un long soupire, il prend enfin l'ouvrage entre ses mains et le regarde avec attention. Il feuillette également quelques pages avant de me le rendre.
- Je ne peux pas t'aider.
Sans une explication de plus, il rouvre l'histoire qu'il avait commencé et continue sa lecture comme si de rien n'était. Son intervention m'a été d'une incroyable utilité, je suis nettement plus avancée désormais.
- Je fais comment moi alors ? Murmurais-je à moi-même.
Brusquement, Apollon referme bruyamment le bouquin qu'il lisait. Mon corps ne s'attendant pas à cela, sursaute de surprise. Mon cher voisin se lève de son fauteuil et me fixe d'un air blasé. Je tente alors de lui faire une petite moue adorable mais en vain, cela ne semble même pas effleurer son cœur de pierre. Il me déverse de ses yeux bleus, toute la froideur de la mer du Nord. Une vague de frisson me parcourt l'échine comme si je pouvais réellement ressentir la sensation d'eau glaciale sur ma peau. Je me prends cette déferlante de plein fouet, elle me submerge, m'entoure, jusqu'à en devenir réconfortante. Oui, je me sens comme protégée par cette barrière d'eau salée. C'est stupide non ? Au lieu d'être glacée par le froid de son regard, tout mon corps se réchauffe jusqu'à s'embraser.
- Prend ton truc, on va aller demander.
- Mais à qui ?
Faisant volte-face, il esquive ma question. Déjà presque arrivé à la sortie de la bibliothèque, je ramasse à la hâte mes affaires et le rejoins à la hâte. Sans prêter attention au fait que je le suis ou non, il marche d'un pas rapide vers une destination qui m'est inconnue. Je dois presque courir pour ne pas le perdre de vue et de ce fait, ne pas me retrouver seule comme une potiche dans un couloir.
Après avoir tourné pour la énième fois à droite, nous nous retrouvons face à l'entrée du chenil. Depuis le début de cette croisière, c'est certainement le lieu du navire dans lequel j'ai le plus mis les pieds après ma cabine. Malgré le fait que je suis une grande amoureuse des animaux, c'est loin d'être mon endroit préféré. Je ne comprends d'ailleurs pas la raison de notre venue ici. Qui va bien pouvoir m'éclairer sur ce fantastique livre ? Un chien ?
- David ? Demande Apollon en cherchant l'intéressé du regard.
- Oui ? Lui répond ce dernier en sortant de sa cachette.
- Il y a quelqu'un qui a une question pour toi.
Me prenant par les épaules pour me placer entre lui et David, je me retrouve finalement comme une potiche mais dans un chenil. Fébrilement, je tends mon livre au soigneur pour animaux.
- Euh, je voulais juste savoir si ce livre vous disait quelque chose.
De ses doigts écorchés, certainement dû aux griffures de quelques félins mécontents, il attrape l'ouvrage afin de l'observer de plus près. Sur son bureau recouvert de paperasse et colliers pour animaux, il attrape une paire de lunette qu'il vient placer sur son nez. Cela lui donne un petit air de savant fou avec ses cheveux gris un peu trop longs et en bataille.
- En effet, je l'ai déjà lu un nombre incalculable de fois. C'est mon préféré de toute la bibliothèque du navire.
- Moi aussi je l'ai adoré ! Mais il n'y a pas le nom de l'auteur.
- Je sais ma chère.
- Comment ça vous savez ?
- Et bien mon arrière-grand-mère n'a jamais aimé signer ses œuvres.
A son sourire, je crois d'abord à une plaisanterie de sa part. Parmi les centaines d'ouvrages présent à bord, je serais tombée sur celui écrit par un parent éloigné du soigneur d'animaux ? Même ce magnifique livre ne raconte pas une histoire aussi rocambolesque que celle-ci. Je peine à croire qu'il ne se joue pas de moi.
- Voilà, t'as ta réponse, lâche soudain Apollon en quittant les lieux.
Je le regarde s'éloigner tandis que pour ma part je ne bouge pas d'un centimètre. Je veux en savoir plus, j'ai besoin d'en savoir plus. Ma curiosité débordante n'a pas encore été rassasiée. Je me retourne donc vers David afin de poursuivre cette discussion.
- Dite m'en plus sur votre arrière-grand-mère s'il vous plait.
- Oh il n'y a pas grand-chose à dire vous savez. En dehors du fait qu'elle affectionnait les histoires tristes et tragiques, il n'y a rien de notable.
- Comment une si belle histoire pourrait avoir été écrite par quelqu'un qui n'a rien de notable ?
- Les plus discrets sont souvent ceux qui ont le plus de choses à raconter.
A son regard, je comprends son petit sous-entendu caché. Ses mots ne concernent pas uniquement l'auteure de ce fabuleux livre, ils sont aussi destinés à la personne complexe qu'est Apollon.
- J'aimerais tout de même avoir une petite précision. Est-ce une histoire vraie qui est racontée dans ce livre ?
- Je crois qu'elle-même n'aurait pas pu répondre à cette question. Dans son esprit, la réalité et la fiction se sont toujours mélangées.
Comprenant qu'il ne souhaite pas m'en dire davantage, je le remercie avec un chaleureux sourire. Le fait qu'il prenne quelques minutes de son temps pour répondre aux questions d'une jeune fille inconnue, cela me suffit amplement. Ma curiosité a eu sa dose de réponse en ce qui concerne ce sujet.
Je rejoins donc Apollon qui en a profité pour récupérer son chien. Lui et Groot sont en pleine promenade sur le pont réservé aux animaux. Bien que le châtain soit de dos, j'arrive à entendre sa voix. Il parle à son ami canin d'une manière bien plus douce que d'ordinaire, presque comme un père demandant gentiment à son enfant si la journée s'est bien passée. Son timbre est protecteur, affectueux, il ne ressemble en rien à celui que j'ai l'habitude d'entendre raisonner dans mes oreilles.
A petits pas, je me rapproche d'eux. Apollon s'est accroupi afin d'arriver à la taille de Groot et ainsi, lui parler sans le dominer. Remarquant ma présence, le chiot me saute littéralement dessus, me faisant rire de bon cœur.
- Salut toi, comment tu vas ? Demandais-je tout en le caressant.
- Apparemment il te supporte, remarque Apollon.
J'ignore son petit pic et continue à jouer avec Groot qui me mordille la main de ses petits crocs. Je ne peux m'empêcher de repenser à son prénom et de ce fait, me demander comment a-t-il pu être affublé d'un nom de super héros. La question me brûle la langue mais je tente de me retenir. La dernière fois que je la lui ai posée, il m'a envoyé balader.
- Oui, je suis fan des Gardiens de la galaxie, m'avoue-t-il tout à coup.
Ne m'attendant pas à une révélation de sa part, je me retourne vers lui, les yeux aussi ronds que des billes. Je ne sais pas ce qui m'estomaque le plus, le fait qu'il apprécie ce film ou bien qu'il se livre sans que je ne lui aie rien demandé. Est-ce un mirage par lequel je suis aveuglée ? Mon imagination me jouerait-elle des tours ? J'ai tellement de mal à déchiffrer la personne qu'est Apollon. Il est l'un des plus grands mystères qui m'a été donné de voir. Si je devais lui trouver une définition, je choisirais celle des pyramides d'Égypte. Somptueux de l'extérieur, sombre mais éclairé par la chaleur des lanternes à l'intérieur, baigné de légendes pour lesquelles nous serions prêt à passer notre existence dans l'unique but d'en déchiffrer les codes.
- Arrête de faire cette tête stupide à chaque fois que je te dis quelque chose !
- Je n'y peux rien si tes goûts ne sont pas ceux qu'on pourrait croire au premier abord.
- Depuis quand tu juges dès le premier regard ? Je te pensais plus curieuse que ça avant de pouvoir te faire une opinion sur quelqu'un.
- C'est juste que tu sembles si renfermé sur toi-même que...
- Que quoi ? Me coupe-t-il. Que du coup je ne vais pas au cinéma, qu'en dehors de la lecture je n'ai pas de vie, que je suis un gros coincé ?
- Non, ce n'est pas du tout ce à quoi je pensais.
- Alix, toutes ces questions je les lis sur ton visage.
Pour la première fois depuis notre rencontre, il m'appelle par mon prénom. Ces quatre petites lettres que m'ont donné mes parents à ma naissance. Séparément, elles ont la possibilité de devenir n'importe quel mot mais ensemble, elles n'en forment qu'un seul et unique : Alix. Ce n'est qu'un prénom parmi tant d'autres, perdu dans l'immensité des livres qu'un bon nombre de parents ouvrent avant l'heureuse arrivée de leur enfant. Il n'est pas plus, ni moins original qu'un autre. Je l'ai d'ailleurs souvent considéré comme lambda. Mais aujourd'hui, sa voix donne un tout nouveau sens à ces quatre petites lettres. Elles ont soudain plus de poids, plus de prestance, comme si mon prénom avait de l'importance. Mais pour qui ?
- J'ai compris que tu étais une petite bavarde curieuse alors si tu veux savoir quelque chose, arrête de te retenir, reprend-il.
Son terme de « petite bavarde curieuse » me plait moyennement. Il le remarque sans difficulté du fait de ma grimace trahissant encore une fois mes pensées. Lui est peut-être trop peu démonstratif mais moi je suis beaucoup trop émotive. Je laisse toujours les sentiments que je ressens se répercuter sur mes mimiques. Savoir à quoi je pense n'est pas très compliqué. C'est pourquoi mentir est une tâche bien grande en ce qui me concerne.
- Ce n'est pas comme ça que je voulais le dire, dit-il d'un ton plus calme comme presque désolé.
- Ce n'est rien, je sais que je suis quelqu'un de curieux et que c'est mon principal défaut, lui répondais-je en haussant les épaules.
Malgré sa petite phrase m'ayant légèrement blessé, je préfère arrêter d'y penser et me concentrer sur ce qui compte vraiment. Se focaliser sur les bons côtés est quelque chose que mes parents ont toujours tenu à nous inculquer. Dans la vie, chaque jour, il y a des bons et des mauvais évènements. Reste à notre charge de faire la part des choses et de garder ce à quoi on attache de l'importance. Dans ma famille, on a décidé de garder uniquement les bons moments. C'est pourquoi, mon sourire ne me quitte que très rarement grâce à toutes ces pensées positives se baladant dans ma tête.
Aujourd'hui je garde donc en mémoire le fait qu'Apollon m'accorde de plus en plus sa confiance. Sachant qu'il n'est pas du genre à partager des éléments de sa vie, cela me fait d'autant plus plaisir qu'il ose se confier à moi. J'aimerais avoir la chance de lire le livre de sa propre histoire, celui qui raconte la personne qu'il est au fond de soi.
- Si tu veux passer voir Groot même quand je ne suis pas là, tu peux, change-t-il de sujet.
- Vraiment ? Merci, je pense que je viendrai lui dire bonjour tous les jours dans ce cas. Mais pourquoi avoir ramené ton chien à bord ? Surtout qu'un husky a besoin d'espace pour se dépenser.
Les bras croisés sur le torse, il me regarde de haut alors que je suis accroupie pour jouer avec Groot. C'est à son attitude nonchalante que je réalise ma « bêtise ». Je n'ai encore une fois pas pu me retenir à lui poser une question personnelle. Réalisant enfin mes paroles, je rigole et lui aussi. Oui, pour la deuxième fois de ce voyage monsieur sans émotion a ri. A mes oreilles, c'est toujours une mélodie douce et agréable. J'aimerais entendre ce son à chacune de nos conversations.
- T'es drôle en fait, finit-il par avouer entre deux rires.
Un compliment, un sourire si rare et pourtant si contagieux, voilà tout ce qu'il m'a fallu pour faire chavirer la barque dans laquelle mon cœur est balloté depuis hier par un océan déchainé. Sa couleur azur, si belle, si attirante, me donnent l'envie d'y plonger malgré la tempête qui s'annonce au loin.
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Parfois je me dis qu'Alix est plus candide que je ne le voulais mais d'un côté ça me plait. C'est un personnage rafraichissant je trouve.
Sinon je suis très heureuse de voir que Miss Tahiti est notre Miss France, elle est juste sublime comme femme !
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