Chapitre 22 - En une traversée


Habillée et prête à quitter ma cabine pour entamer une nouvelle journée, je ne retrouve plus mes lunettes. Je me souviens les avoir posée sur un meuble en rentrant hier soir mais je n'arrive pas à me souvenir du quel. Il n'y en a pourtant pas tant que ça dans cette chambre, je ne comprends pas pourquoi j'ai autant de mal à mettre la main dessus. Même si elles ne me sont pas vitales pour voir, j'ai pris l'habitude de les porter. Sortir sans reviendrait à oublier de mettre un t-shirt ou un pantalon, je me sentirais à moitié nue.

Avant de m'énerver de si bon matin, je capitule et pars mettre mes lentilles. Ce n'est pas la même sensation, j'apprécie moins avoir quelque chose directement mis dans mes yeux, mais c'est mieux que rien.

Alors que je suis dans la salle de bain, quelqu'un vient frapper à ma porte. N'attendant personne, je regarde d'abord dans l'œillet afin de savoir de qui il s'agit. Je ne vois cependant pas le visage de la personne mais seulement une touffe de cheveux noir corbeau. Je reconnais alors la perruque que j'ai acheté hier. Charlee vient me rapporter mes achats.

Timidement, je lui ouvre la porte. Il est déjà dans ses élégants habits de travail. Il doit être en service car il traine avec lui un chariot sur lequel est posé plusieurs plateaux de petit déjeuner. Le regard baissé vers le sol, il me tend la perruque.

- Tiens, je te la rends. Par contre la moustache s'est déchirée quand je l'ai enlevé donc je l'ai jeté.

- Merci mais tu pouvais la garder tu sais, je te l'offrais.

- Je n'en aurais pas l'utilité alors autant que tu essaies de la rendre pour te faire rembourser.

Son ton froid me donne la chair de poule. Il est si glacial avec moi alors que ce n'est pas à lui d'être fâché. Il a décidé de ne pas me faire confiance, de ne rien me révéler sur lui, cela devrait donc être à moi de me montrer désobligeante avec lui.

- Pour hier...

- Laisse tomber, me coupe-t-il sèchement, n'en parlons plus.

- C'est bien ça le problème, avec toi on ne peut pas parler sérieusement.

- Je suis désolée mais tu te mêles de choses qui ne te regardent pas.

- Si tu ne m'avais pas menti, je ne t'aurais jamais posé des questions indiscrètes.

- Si j'ai fait ça c'est parce que j'ai de bonnes raisons. Crois-moi, tu ne veux pas entendre ce que j'ai à dire sur ma famille. Si tu ne peux pas comprendre ça, c'est que tu n'es pas si incroyable que je le pensais.

Il me fourre sa perruque dans les mains et continue sa tournée de distribution des petits déjeuners en chambre. Il me laisse seule avec ses mots blessants. Sa dernière phrase raisonne en moi comme un écho au bord d'un gouffre, il n'y a pas été de main morte. Je sais que la curiosité est un vilain défaut mais je voulais simplement comprendre pourquoi il m'avait menti. Jamais je n'ai cherché à être intrusive, c'est donc dommage qu'il le prenne ainsi. Lui qui voit toujours le bon côté des choses, s'est complètement planté sur ce sujet-là.

Me retrouvant avec ces faux cheveux en main, je décide de me rendre dans la boutique où je l'ai acheté. Peut-être a-t-il raison, un remboursement est possible et je si c'est le cas, je ne dis pas non. Dans les couloirs, quelques personnes se retournent pour mieux voir ce que je tiens en main. C'est vrai que je suis partie comme ça, sans mettre la perruque dans un sac ou autre. On pourrait croire à un animal mort ou quelque chose d'encore plus répugnant. Je m'empresse alors de la cacher dans mon dos et file à la boutique.

A peine les portes passées que Lou m'accueille avec enthousiasme. Aujourd'hui elle a opté pour un justaucorps vert flashy et un collant rose tout aussi chatoyant. C'est une boule de lumière qui me saute littéralement dessus.

- Alix ! Comment ça va ?! Alors cette soirée, raconte ! Débite-t-elle à une vitesse folle.

- Salut Lou. Pour être franche ça ne va pas fort.

- Sérieux ?! Ce mec a joué les connards avec toi c'est ça ? Je peux aller lui mettre mon poing en pleine figure si c'est nécessaire !

- Non, non, il n'y a pas besoin d'en arriver là !

- Alors qu'est-ce qu'il s'est passé ? Raconte-moi tout.

Elle me tire dans un des rayons les plus reculés de la boutique afin que nous ne soyons pas dérangées. Malgré la présence de son patron, elle semble ne pas trop s'en soucier. Je ne veux cependant pas lui causer du tort alors je me presse de tout lui raconter dans les grandes lignes. Le mensonge de Charlee, ma prise de conscience face à lui, la gentillesse d'Apollon faisant surface, absolument tout ce qui me vient à l'esprit.

Mon récit terminé, la seule chose qu'elle semble avoir retenue est le prénom du châtain. Dès l'instant où je lui ai dit à quel point il s'était montré sympathique hier soir, j'ai vu dans son regard qu'elle ne m'écoutait plus.

- Attends, tu parles d'Apollon genre Apollon ?!

- Il y en a plusieurs ?

- Non ! Et heureusement pour notre pauvre planète !

- Tu ne l'aimes pas ?

- Je ne peux même pas le voir en peinture ce mec ! Son regard de gars qui se la pète et se croit au-dessus de tout le monde parce que son père est célèbre, ça me donne la gerbe !

- Son père est connu ? L'interrogeais-je avec de grands yeux.

- Ouais, c'est un ancien grand chanteur. Je ne sais plus son nom mais ma mère en était dingue quand elle était jeune.

Il serait donc le fils d'une célébrité ? Pourquoi ne l'ai-je alors jamais vu dans la presse à scandale ? Tout enfant de star y a le droit au moins une fois dans sa vie et ma sœur, qui suit absolument toutes les dernières news de ce monde rempli de paillettes, ne m'a jamais parlé d'un certain Apollon.

- Le commandant lui lèche limite dans la main et son patron, Charles, le laisse faire ce qu'il veut. C'est un gosse de riche ce mec.

La vision qu'elle a de lui est si arrêtée, si négative. Je sais qu'il connait le commandant, qu'il s'en contre fiche des mises en garde de Charles, mais il n'est pas aussi désinvolte qu'elle le pense. Encore hier matin j'aurais sans doute pu être d'accord avec elle, mais celui que j'ai côtoyé lors de la soirée était aux antipodes des préjugés que j'avais à son égard. Lou fait fausse route tout comme moi auparavant.

Etre un enfant de riche ne fait pas forcément de nous quelqu'un de mal. En quoi être bien né est-il mauvais ? Certains ont simplement plus de chances que d'autres mais nous ne devrions pas les envier pour autant. S'il a fini par se forger une carapace aussi dure, c'est qu'il doit y avoir une bonne raison.

- Tu sais, il n'est pas aussi méchant que tu le penses.

- Peut-être, peut-être pas, sincèrement je m'en fou. Les personnes comme lui ne sont pas celles qui m'intéressent.

- Ça se trouve, lui aussi aime écouter Y.M.C.A, plaisantais-je.

- S'il aime cette chanson, je deviens none !

- Oh tu pourrais être surprise. Jamais je n'aurais cru qu'il allait accepter mon défi et au final il l'a gagné.

- Entre un défi impliquant des fruits trempés dans du chocolat et les Village People, il y a un grand pas.

Lou est un personnage à part. Sa personnalité piquante, acidulée, la rend complètement folle. Malgré cela, j'apprécie beaucoup sa compagnie rafraichissante. Au beau milieu de tous ces protocoles anglais, elle est le vilain petit canard cassant les codes.

- Bon allez viens, je vais te rembourser ta perruque.

Je la suis donc jusqu'à la caisse afin qu'elle me rende mon argent. L'avantage d'avoir une amie vendeuse est que nous pouvons bénéficier de certains passe-droits. Si elle ne m'appréciait pas, j'aurais pu repartir avec ma perruque dans les mains. Consciente qu'elle a fait un geste pour moi, je l'enlace dans une étreinte chaleureuse. Ce n'est certes pas grand-chose, mais chaque petit geste de sympathie devrait être soigneusement noté car ils sont devenus bien trop rare. D'autant plus quand de l'argent se trouve dans l'histoire.

- Ce soir on se fait une soirée télévision dans ta chambre ! Tu as besoin de parler et plus que dix pauvres petites minutes au fond du magasin.

Ne voulant pas l'importuner avec mes problèmes futiles, je n'osais pas la déranger davantage. Je comptais évacuer ma frustration ce soir dans la douche, comme à mon habitude. Mais sa proposition me tente, j'ai envie de discuter plus en profondeur sur cette histoire avec Charlee. C'est donc avec plaisir que j'accepte sa proposition. Une petite soirée entre filles comme à l'époque où je n'étais encore qu'une adolescente.

N'ayant pas très faim ce matin, je me rends directement à la bibliothèque du navire. J'ai besoin de m'évader un peu aujourd'hui alors quoi de mieux qu'un bon livre pour cela. Cependant, je ne sais pas quoi lire. La romance ne m'intéresse guère ce matin, je souhaite ouvrir mes horizons en ce qui concerne les livres. C'est donc sans vraiment savoir ce que je cherche que je franchis les portes de la grande bibliothèque.

J'arpente les allées, dont les étagères sont remplies de livres que je scrute jusqu'à trouver le bon. C'est alors que je l'aperçois. Il est posé là, entre deux grands ouvrages aussi épais que des articles de lois. Ce tout petit manuscrit à la reliure en cuir usé. Il semble sorti d'un autre temps, comme s'il avait traversé les époques pour terminer sa vie ici. Il m'attire indéniablement alors que je ne connais même pas son contenu. Pourtant, je sais que c'est lui ma prochaine lecture. Je le sens.

Doucement, j'ouvre la vitre de la bibliothèque qui l'abrite et l'attrape. Je fais attention à ne pas trop le serrer entre mes doigts, de peur qu'il s'effrite. Il semble si fragile, j'ai peur de l'abimer.

J'observe sa couverture avec beaucoup d'attention. Des lettres dorées sont gravées dessus, on peut y lire « En une traversée ». Il s'agit sans doute du titre de l'œuvre. Je le retourne ensuite afin de pouvoir m'imprégner du résumé mais il se trouve qu'il n'y en a pas. Aucun mot, aucune inscription, pas même un dessin. Ce livre est mystérieux.

Ma nouvelle lecture à la main, je referme soigneusement la vitre et tourne les talons afin de trouver un fauteuil face à la mer pour le lire. Cependant, en levant le nez de cette couverture si déroutante, je tombe nez à nez avec un garçon tout aussi déstabilisant que ce livre.

- Oh, bonjour Apollon, dis-je avec le sourire.

Son visage sans émotion devient légèrement plus accueillant après l'avoir salué. Il se décrispe, décroisant ses bras de son torse, recouvert d'une chemise en jean, alors que son épaule est posée sur le coin d'une étagère. Je me rend compte que c'est la première fois que je le vois sans son beau costume blanc. Il est peut-être vêtu d'une manière plus sobre, mais cela lui va tout aussi bien. Les bretelles de son pantalon noir lui donne même un style assez atypique très charmant. Il fait plus doux, plus accessible que dans son trois pièces de travail. 

- Tu as choisi de lire quoi aujourd'hui ? Le questionnais-je en regardant le livre qu'il tient à la main.

Sans un mot, il me le tend afin que je puisse lire le titre. C'est une vieille pièce de Molière : « Les fourberies de Scapin ». S'il y a bien une chose que je déteste lire, ce sont les pièces de théâtre. Même si elles parlent d'amour, mon sujet de prédilection en littérature, la manière de présenter les histoires ne me plait pas. J'ai toujours eu du mal avec cela.

- Il a l'air sympa, mentais-je.

Les goûts et les couleurs étant propre à chacun, je ne critiquerai pas son choix même si l'envie est là. Ce n'est d'ailleurs pas le bon moment pour me montrer fourbe avec lui alors que nous sommes sur la voie de l'amitié. Je ne voudrais pas que la brèche créée se referme.

Juste derrière lui, je remarque deux fauteuils tournés vers les baies vitrées donnant sur l'océan. Aujourd'hui il pleut, la houle est agitée alors que nous ne sentons presque rien sur le navire. D'un signe de tête, je lui propose de venir s'installer là-bas avec moi. Nous prenons chacun place dans un siège sans dire un mot. Nos livres dans la main, nous entamons notre lecture.

Le calme des lieux et la compagnie discrète, mais agréable d'Apollon, confère à ce moment un goût doux et délicat. Je me sens presque aussi bien qu'une journée d'automne posée au coin du feu. Un chocolat chaud à la main et ma sœur blottie contre moi. J'ai cette même sensation de « famille » et ce sentiment, je crois qu'il est dû à ce garçon aux cheveux châtain et aux yeux azur assis à mes côtés.

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Charlee au début du chapitre, Apollon à la fin... qui des deux va rester à la fin de cette histoire? Va-t-il d'ailleurs en rester un ? La réponse à la fin de la traversée ahah

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