Chapitre 14 - Choc électrique


Une grosse langue pleine de bave, voilà par quoi je viens d'être réveillée ce matin. En ouvrant les yeux, le visage de Charlee est la première chose que j'aperçois. Cela est plutôt normal puisque je suis littéralement collée à lui.

L'espace d'un instant, je panique en croyant que la langue lui appartient. C'est en voyant par la suite Groot, tirant sur la manche de mon pull, que mon cœur se calme. Cela aurait été répugnant, et surtout très angoissant, de se faire lécher le visage par un humain. Cependant, l'incompréhension nichée dans le regard de Charlee me ramène à une autre réalité : je suis dans ses bras.

Avons-nous passé la nuit comme ça ? Pourquoi sommes-nous encore sur ce pont ? Que fait Groot en dehors de sa cage ? Les questions fusent alors que les réponses ne suivent pas. Précipitamment, je m'extirpe des bras du brun et réajuste mes vêtements froissés.

- Nous avons dormi ici toute la nuit ?!

- Euh je ne sais pas. Je me souviens qu'on regardait les étoiles sans un mot et puis plus rien.

Ses souvenirs sont identiques aux miens. Nous nous sommes donc lamentablement endormis comme deux grosses larves. Ceci répond déjà à deux de mes questions principales. Il n'en reste désormais plus qu'une.

Le petit monstre blanc aux yeux vairons aboie bruyamment jusqu'à ce que David lui présente une gamelle de croquettes. Aussitôt, il s'assoit sagement et attend qu'on lui donne sa nourriture. Si cette technique pouvait marcher chez les enfants, bien des parents verraient leur vie changer du tout au tout. Les cris, les pleurs, tout ceci ne serait plus qu'un lointain souvenir. Mais l'être humain est coriace, il ne se laisse pas manipuler si facilement.

- Pourquoi Groot ne mange pas dans sa cage comme les autres ?

- Parce qu'il n'avale rien s'il n'est pas dehors pour prendre son repas, me répond gentiment David.

- Un vrai petit prince comme son maître.

Ma dernière phrase n'est qu'un murmure à moi-même. Personne ne l'a entendu. En revanche, je sens la présence de Charlee dans mon dos et cela me rappelle instantanément que nous avons dormi dans les bras l'un de l'autre. Le rouge me monte aux joues rien que d'y penser. Ce n'est pas dans mes habitudes de dormir avec un garçon qui, quelque temps plus tôt, a avoué m'avoir menti.

- C'est ton chien ?

Charlee aussi a succombé, le brun n'a pu s'empêcher d'aller caresser la boule de poils. Intérieurement je remercie Groot car ainsi, nous n'avons pas à reparler des évènements survenus durant la soirée d'hier. Je n'ai pour le moment pas envie de revenir sur son mensonge, ou encore sur le fait qu'on ait passé la nuit si proches. Certainement pas d'aussi bon matin.

- Non, c'est celui d'Apollon. Il travaille aussi sur le navire.

- Attends ce petit ange appartient à ce démon ?!

Le fait qu'il se redresse aussi précipitamment pour me poser cette question en dit long sur ce qu'il pense de « l'adolescent puéril ». Je ne savais cependant pas qu'ils se connaissaient. Je suis donc surprise par ses propos.

- Apollon et toi êtes amis ?

- Amis ? Tu rigoles ?

Son rire, que j'ai tant attendu hier soir, daigne enfin à sortir. Ce matin, j'ai retrouvé le Charlee que j'ai rencontré la première fois et cela me fait énormément plaisir. L'envie compulsive de le prendre dans mes bras revient. Mais encore une fois, cela serait inapproprié. Je ne dois pas oublier qu'il m'a menti. Peut-être que le jour où il me dira la vérité sur ses parents, je pourrai enfin m'abandonner à ce désir étrange.

- Je partage ma chambre avec lui. Tu sais, je t'avais parlé du gars bizarre qui ne m'a même pas répondu lorsque je lui ai dit bonjour.

- C'était lui ?

- Oh oui. Et depuis le début de la croisière il ne m'a pas adressé un seul mot. Il est flippant. Mais toi, comment tu le connais ?

- C'est un peu long à expliquer.

Voyant que je n'ai pas le courage de rentrer dans une longue histoire, il ne cherche pas à en savoir plus, et reporte son attention sur le petit husky à nos pieds. Ce dernier a d'ailleurs terminé son repas et est prêt à jouer.

Je n'avais pas fait attention jusque-là, mais la tâche grise qu'il a au niveau de ses yeux lui donne un air de super-héros. Sa forme de masque, qui cacherait une partie de son visage, rappelle celle des êtres humains aux capacités phénoménales. C'est alors que je comprends le sens de son prénom. Reste encore une dernière question : pourquoi avoir choisi Groot comme super-héros et non un autre ?

Apollon ne semble pas vraiment avoir le profil pour aimer le film des Gardiens de la Galaxie. Je le verrai davantage devant une vieille pellicule en noir et blanc. Autrement dit, dans les mêmes tons que sa personnalité sans fantasie. Peut-être qu'au fond il n'est pas aussi froid qu'il le laisse paraître. Je ne saurai sans doute jamais la vérité sur cette étrange personne mais cela m'importe peu, je ne veux plus rien avoir à faire avec lui.

- Merde je suis en retard !

Les yeux de Charlee sortent presque de leurs orbites lorsqu'il lit « huit heures » sur sa montre en cuir noir. Sachant qu'il est censé prendre son poste à six heures, je n'appelle plus cela un retard. Si mon père avait été son patron, il l'aurait mis sans scrupule à la porte même au milieu de l'océan Atlantique. La ponctualité est une chose sur laquelle il est intransigeant. Je ne compte même plus le nombre de fois où ma sœur a été privée de sortie parce qu'elle n'était pas rentrée à l'heure qu'elle avait promis.

Voyant ce qu'il m'en couterait, j'ai toujours été ponctuelle. Me voir enfermer chez moi pour deux petites minutes de retard, cela m'aurait grandement énervée. Je m'en serais terriblement voulu à moi-même.

Charlee attrape à la hâte sa veste encore posée au sol et se stoppe devant moi. Il se rapproche, sans doute pour me faire une petite étreinte, mais se ravise. Ses yeux baissés vers le sol, il joue nerveusement avec la manche de sa chemise blanche.

- O-on se voit ce soir ?

Sa question a eu beaucoup de mal à sortir d'entre ses lèvres. Sans doute a-t-il peur que je lui donne une réponse négative suite aux évènements d'hier. C'est en tout cas ce que je ressentirais si j'étais à sa place. Mais n'étant pas dans sa tête, ce n'est qu'une supposition.

- Oui, mais cette fois c'est moi qui t'invite.

Mon idée le surprend. Moi-même j'ai dû mal à réaliser mes paroles. Je n'arrive pas à intégrer les éléments me poussant à vouloir mieux le connaitre. Je sais pertinemment que ma curiosité est grande, mais elle ne l'a jamais autant été pour quelqu'un. J'ai véritablement envie de le découvrir. Savoir qui se cache derrière son rôle de pitre de la classe.

- On se retrouve où dans ce cas ?

J'avais par ailleurs oublié un petit détail : il ne peut pas aller où bon lui semble. Je n'ai donc pas beaucoup d'options. Entre le bar où nous avons bu notre cocktail et le chenil, il n'existe pas d'autres possibilités. Mais cela est mieux que rien après tout, il faut savoir prendre ce que l'on nous offre.

- Ici.

- Ça marche Jones. Rendez-vous à vingt et une heure ici.

En serrant la main qu'il me tend, une étrange sensation me perturbe. Je ne saurais définir à la perfection ce ressenti, on dirait une sorte de mini décharge électrique qui parcourrait l'ensemble de notre corps. Quelques picotements parviennent même à gagner mon cœur.

Expliqué ainsi, on pourrait penser que c'est désagréable alors qu'en réalité ce serait plutôt tout le contraire. Je ne dis pas que sentir n'importe quel courant électrique est quelque chose d'apaisant, absolument pas. Ce n'est que celui qui se réalise lorsque Charlee me touche qui est sympathique.

Après de longues secondes, sa main tient toujours fermement la mienne. Son regard perçant ne me lâche pas, j'ai du mal à ne pas détourner les yeux et me concentrer sur la bouée de sauvetage accrochée au mur à ma droite.

- Tu n'étais pas pressé ?

- Je pense qu'après deux heures de retard, je ne suis plus à quelques minutes près.

- Tu vas avoir des ennuis.

- Qu'est-ce qu'ils vont bien pouvoir me faire ? Me virer et me mettre dans un radeau de sauvetage pour me laisser dériver à jamais ?

- Ils ne te reprendront pas pour le retour.

- Tant mieux, je ne comptais pas rentrer en Angleterre.

Le dégoût, visible sur son visage, lorsqu'il parle de son pays me laisse perplexe. Ne pas apprécier là d'où nous venons est une chose, mais renier ses origines en est une autre. Oublier que cette patrie nous a accueillis, nous a fait grandir et nous a donné des opportunités, est un peu facile. Je ne trouve pas cela correct.

- Je croyais que tu aimais le Royaume-Uni.

- J'adore mon pays, mais là-bas vivent mes parents, et le simple fait de savoir que je vis dans la même région qu'eux me rend malade.

- Je suis sûr qu'avec une bonne discussion entre vous ça pourrait déjà s'arranger.

- Ce n'est pas aussi simple Jones.

Comme un grand frère protecteur, il vient déposer un léger baiser sur mon front avant de me laisser. J'ignore ses antécédents avec ses parents mais ils doivent être importants. Vouloir fuir sa famille, alors qu'il s'agit certainement de l'élément le plus stable de notre vie, est quelque chose qui révèle de profondes discordes. Jamais je ne pourrais tirer un trait sur mes proches. Partir loin d'eux ne me pose aucun problème, cependant ne plus leur parler n'est pas envisageable.

Au tout début de sa carrière de mannequin, ma sœur avait tourné le dos à nos parents. Elle pensait pouvoir s'en sortir seule, son but étant de devenir complètement indépendante. Même avec moi elle avait instauré une barrière qu'elle a fini par vite rompre. Notre complicité a su être plus forte que tout. Malheureusement, ça n'a pas été aussi simple avec nos géniteurs. Il lui a fallu du temps avant de revenir à la maison et de s'excuser. La jeune fille de seize ans qu'elle était à l'époque avait un caractère affirmé. C'était un peu le vilain petit canard, tandis que j'étais l'enfant sage et modèle.

Intérieurement, sa vie me faisait rêver. Elle pouvait voyager où elle en avait envie tandis que pour ma part, je devais me contenter des week-ends en Normandie. Je ne trouvais pas ça juste mais je préférais ne rien dire. Je savais que mes parents étaient déjà assez accaparés par son cas, alors je ne souhaitais pas leur rajouter une pression en plus.

Aujourd'hui, je peux enfin m'abandonner à la découverte de nouvelles contrées sans me soucier d'eux. Ils savaient de toute façon que ce jour arriverait tôt ou tard. Leurs deux bébés oiseaux allaient bien quitter le nid.

Je ne sais peut-être pas ce qui m'attend à mon arrivée sur le continent américain, mais je suis persuadée que l'avenir me réserve encore de belles surprises. Aussi incroyables que mes rencontres sur ce navire.

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Rapprochement entre Alix et Charlee malgré son mensonge. Que nous dira la suite... mystère...

Je tenais à vous dire merci pour les 1k vues sur cette histoire. Cela me motive vraiment pour vous écrire de meilleurs chapitres chaque semaine ! Vous êtes au top !

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