Chapitre 13 - Couché de soleil
Bras dessus, bras dessous, je suis sagement Charlee dans le dédale de couloirs. Plusieurs fois, nous devons nous cacher dans un coin ou derrière un vase lorsqu'il aperçoit l'un de ses supérieurs. N'étant pas habilité à traverser les lieux où se trouvent les passagers, quand il n'est plus en service, Charlee use de différents stratagèmes pour ne pas se faire repérer. Je me demande donc où il souhaite m'emmener. Je n'ai pas envie de jouer à cache-cache toute la soirée bien que cela soit assez amusant. En revanche pour manger, ce n'est pas très pratique.
- On arrive Jones.
Alors qu'il me pointe du doigt une porte, il attrape soudain ma main et me tire de plus belle afin que nous rentrions dans la pièce juste derrière. Cet endroit ne m'est pas inconnu, il s'agit du chenil. Lui aussi possède un chien ?
- Salut David, tout est prêt ?
- Oui, vous n'avez plus qu'à vous installer tous les deux.
Je salue rapidement l'employé s'occupant des chiens, sans pouvoir m'attarder davantage car Charlee ne m'en laisse pas le temps. L'homme que j'ai rencontré pour la première fois hier semble amusé de nous voir. Il n'est pas aussi stressé que lorsqu'Apollon l'a réprimandé. A ce moment-là, il n'en menait pas large le pauvre.
Sur le pont, réservé à la balade quotidienne des animaux du chenil, est joliment disposée une petite nappe aux motifs étoilés sur laquelle se trouve un panier de pique-nique en osier. L'air frais marin fait virevolter ma jupe, je m'empresse donc de la retenir avec mes mains. Le but de cette soirée n'est pas que Charlee découvre ma magnifique petite culotte verte pomme.
- Ce n'est pas l'endroit le plus luxueux du bateau mais au moins j'ai le droit d'y être.
Je sens, au timbre de sa voix, qu'il est gêné de devoir m'emmener manger ici. Il doit certainement penser que je préfèrerais être au grand restaurant avec mon couple d'italiens favoris que d'être ici avec lui, dans l'espace réservé aux animaux. Mais il se trompe.
- Attends, on a une vue directe sur l'océan sans vitre qui nous en sépare, et tu ne trouves pas ça luxueux ?
- Alors le panorama te suffit ?
- Ne dis pas de bêtise, il faut évidemment un excellent repas.
Ma plaisanterie ne semble pas le faire beaucoup rire. Lui qui est si joueur d'habitude ne l'est clairement pas ce soir. Quelque chose semble accaparer son esprit d'ordinaire léger. C'est donc sans un mot qu'il m'invite à prendre place sur le drap.
Minutieusement, il sort chaque élément se trouvant dans le panier. Lorsqu'il termine sa tâche, nous nous retrouvons cerné par une multitude de petites assiettes logeant chacune un contenu différent. Même la plus difficile des personnes en termes de goûts culinaires y trouverait son bonheur.
- Tu n'étais pas obligé d'en faire autant, un simple sandwich m'aurait suffi.
- Inviter une fille à dîner et lui proposer qu'un pauvre club sandwich ne se fait pas.
La tension qu'il y a dans chacun de ses mots me met vraiment mal à l'aise. Je ne comprends pas ce qui a pu le faire changer à ce point d'humeur. Lorsqu'il m'a gentiment proposé de dîner en sa compagnie, il était comme d'habitude, avec son grand sourire et ses phrases clichées mais drôles. Qu'est-il arrivé à son cerveau d'ordinaire taquin ?
Contrairement à notre première soirée, où je m'étais retenue de lui demander pourquoi il semblait si triste à la simple évocation du mot « rêve », aujourd'hui je ne peux pas tenir ma langue. J'ai envie de passer une agréable fin de journée et à l'heure actuelle, cela ne s'annonce pas comme je le souhaiterais. Je n'ai donc rien à perdre de lui poser la question qui me triture les lèvres.
- Que t'arrive-t-il ce soir ?
A l'instant même où je lâche ses mots, le bruit du bouchon de champagne, quittant la bouteille, raisonne à travers mes oreilles. L'a-t-il fait exprès ? Ou est-ce une simple coïncidence ? Quoi qu'il en soit je reste sans réponse en tout point puisqu'il est désormais pleinement concentré sur le service du breuvage.
Sa façon de soigner le dressage de la table et de préparer les boissons, sans se laisser déconcentrer, doit faire de lui un employé modèle. Il n'arrive pas à la cheville de la serveuse rencontrée au Tea Time mais il est déjà très doué. Le Charlee joueur s'est comme envolé loin d'ici afin de laisser place au Charlee professionnel.
- Tu peux commencer à manger Jones.
J'ignore ce qu'il me dit et continue de le regarder remplir nos flûtes de champagne. Sentant que mon regard est insistant, il lève enfin ses yeux pour les plonger dans les miens. Ses iris chocolat laissent apparaitre de la tristesse mélangée à de l'appréhension. La dernière fois que je les ai vu ainsi c'était justement ce fameux premier soir lors du sujet des rêves.
A cet instant, si on me demandait ce que je souhaiterais faire, je répondrais sans hésiter : le prendre dans mes bras. Mais cela serait inapproprié. Sachant d'autant plus que j'ignore la raison de son mal être. Je réprime donc cette envie, ou plutôt étrange pulsion, et attrape la coupe de champagne qu'il me tend.
- Tout va bien Jones ?
- C'est plutôt à moi de te poser cette question.
- Où veux-tu en venir ?
- Tu ne t'en rends vraiment pas compte ?
- De quoi ?
Je sais qu'il ment. Ses sourcils froncés ne me trompent pas, il aura beau faire l'ignorant autant qu'il le souhaite, je sais qu'il joue la comédie. Lorsqu'il s'agit de plaisanter, j'adore sa façon de jouer un rôle pour imiter des personnes célèbres. Mais là, il est question d'une conversation sérieuse alors j'aimerais qu'il soit sincère.
- Charlee, si c'est pour jouer à ce petit jeu il serait préférable qu'on rentre maintenant chacun de notre côté.
Alors que je m'apprête à poser mon verre afin de mettre en pratique mes paroles, sa main vient se poser délicatement sur mon poignet.
- Non reste.
- J'ignore ce qu'il t'arrive ce soir mais ce serait sympathique de ta part de m'éclairer. J'ai déjà passé une journée pourrie alors s'il te plaît fait en sorte qu'elle ne se termine pas sur une mauvaise note.
Durant de longues secondes il reste aussi muet qu'Apollon. J'aurais pu déjà perdre patience si je ne voyais pas qu'il cherche assidument ses mots.
- Je t'ai menti.
Son ton las, et le fait qu'il m'évite du regard, me font perdre mes moyens. Est-ce une mauvaise plaisanterie ? Au fond de moi, je l'espère sincèrement.
- Quoi ? De quoi tu parles ?
- De ma mère. Elle n'est pas une grande artiste dont les œuvres sont exposées à New York. Elle n'a jamais vécu en Chine non plus. Ce que je t'ai raconté sur elle, au bar de Southampton, n'étaient que des mensonges.
Je ne sais plus quoi penser. Dois-je être en colère ? Peut-être même furieuse ? Ou alors a-t-il une bonne raison qui pourrait m'empêcher de partir là tout de suite ? Ce n'est pas la première fois qu'une personne n'est pas sincère envers moi. Celle qui fût la numéro un était une fille de mon collège. J'étais ami avec le garçon qu'elle convoitait alors le seul plan qu'elle a su imaginer était de m'avoir dans sa poche, afin que je la rapproche de son but ultime. A cette époque-là je m'étais dit qu'il s'agissait simplement de la stupidité allant avec la jeunesse. Je me rends désormais compte que non.
- Tu n'as rien à dire ?
La seule chose que j'arrive à lui répondre est un rire. Oui, je suis dans un fou rire incontrôlable alors que la situation est tout sauf amusante. Mais je ne sais pas pourquoi je suis ainsi. Certainement la fatigue de cette longue journée morose.
Quand les astres décident que ce jour-ci ne sera pas le nôtre, ils nous le font savoir. Pourquoi n'avoir qu'un seul point noir en vingt-quatre heures quand on peut en supporter plusieurs ? Cette journée est définitivement à barrer de ma mémoire. L'amertume me gagne petit à petit, faisant stopper mes éclats de rire.
- Merci. Merci d'avoir rendu ce jour définitivement merdique.
Son champagne, qu'il a mis si longtemps à verser dans cette fichue coupe, termine sur sa chemise blanche. Elle est désormais transparente, laissant apparaitre ses pectoraux pour lesquels j'aurais certainement pu succomber. Cependant, là tout de suite, je souhaite juste les frapper. Le frapper lui.
- Tout ce cirque pour me dire ça, tu aurais pu t'abstenir !
Bizarrement ma voix n'est pas aussi méchante que je l'aurais souhaitée. Un sentiment de déception a réussi à s'y glisser, faisant légèrement trembler mes cordes vocales. Je ne dois pas me laisser submerger par la désillusion. Charlee ne vaut pas la peine que je sois triste pour lui.
- Si je t'ai menti c'est parce que la réalité est beaucoup plus sombre et tu avais l'air si joyeuse, je ne voulais pas effacer ton beau sourire.
- Tu continues avec tes belles paroles mais sont-elles vraies cette fois ?
Je le repousse alors qu'il tente de se rapprocher de moi. S'il croit pouvoir m'amadouer aussi facilement, il se trompe. Je suis tombée dans ses mensonges une fois, cela ne se reproduira pas.
- La seule chose sur laquelle je n'ai pas dit la vérité c'est sur ma mère, tout le reste était vrai. Alix s'il te plaît ne m'en veut pas.
- Alors je dois faire comme si j'étais indifférente ? Comme si tu avais toujours été sincère ? Excuse-moi mais je ne peux pas. C'est de la trahison. Je croyais qu'on était ami.
- Et on l'est ! C'est bien pour ça que je veux te dire la vérité !
C'est moi qui désirais savoir pourquoi il était ailleurs ce soir, et maintenant qu'il est prêt à me le dire, je n'en ai plus envie. Est-ce vraiment le cas ? Ma curiosité m'ordonne de me rassoir pour l'écouter mais ma raison me dit que ce n'est pas le bon moment. Malheureusement, mon père m'appelait toujours « nysgjerrig liten » qui signifie « petite curieuse » en norvégien. C'est donc dans le calme, mais toujours énervée, que je me rassois à ses côtés.
- Je suis sincèrement désolé de t'avoir caché la vérité, ça n'arrivera plus je te le promets.
- Si je reste t'écouter ce n'est pas pour que tu t'excuses un million de fois. Je veux juste savoir pourquoi.
Charlee tente de poser sa main sur la mienne mais je la retire d'un geste brusque. Ce n'est pas parce que je n'ai pas quitté les lieux que je lui ai pardonné ce qu'il a fait. Bien au contraire, je lui en veux toujours énormément. Cela doit d'ailleurs se voir sur mon visage puisqu'il recule de quelques centimètres.
- La véritable raison est que j'ai honte de ma vraie mère. J'aurais pu te parler de mon père à la place mais lui je le déteste, alors je préfère faire comme s'il n'existait pas.
Il rapproche ses jambes le long de son torse et se recroqueville comme un enfant. Il laisse son regard se perdre dans l'immense océan alors que le vent ébouriffe ses cheveux. Le Charlee sûr de lui n'est plus qu'un lointain souvenir.
- Je ne vais pas t'accommoder de mes problèmes familiaux mais sache que je regrette terriblement.
J'attrape une petite assiette dans laquelle se trouve des tomates cerises et me laisse ensuite tomber en arrière. Allongée sur le sol, j'admire les étoiles en dégustant ces délicieux légumes.
- Un jour, ma mère s'est mise à danser au supermarché parce qu'ils passaient sa chanson préférée. Comme le hasard fait bien les choses, au même moment, le garçon qui me plaisait est arrivé dans le rayon où nous étions. Sa grand-mère, sa mère, son père et surtout lui, ont découvert le déhancher ridicule de ma mère. J'étais rouge de honte. Je ne voulais même plus lui adresser la parole car elle avait anéanti toutes mes chances avec ce garçon.
Malgré la déception que je ressens, je n'arrive pas à être totalement fâchée. Charlee a commis une terrible erreur mais c'est humain après tout. On m'a toujours dit d'être tolérante avec ceux qui le méritaient, et je crois que lui en fait partie.
Un petit rire sincère s'échappe d'entre ses lèvres à la suite de mon histoire. En jetant un rapide coup d'œil vers lui, je le vois s'allonger tout comme moi. Je lui passe alors une tomate qu'il prend avec plaisir et nous restons dans un silence qui n'est plus gênant à présent. Nous préférons simplement profiter de cette belle nuit dégagée.
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J'ai la NDA la plus importante de ma life à vous dire aujourd'hui ! Je vous annonce que sur 20 000 histoires inscrites aux Wattys 2018, "Une traversée pour aimer" fait partie des 700 retenues !!!!!!!!!!
J'ai même pas les mots pour définir la joie que j'ai ressenti en voyant mon histoire dans leur liste de lecture ainsi que leur mp me félicitant. C'est ma deuxième participation et c'est la première fois que ça m'arrive, j'y crois toujours pas vraiment !
Je voulais, dans cet élan de bonheur, remercier mes lectrices fidèles qui n'hésitent pas à me laisser un petit commentaire à chaque chapitre ❤️ savoir que vous êtes là à attendre la suite chaque semaine me fait énormément plaisir ! Et évidemment merci aussi à tous ceux qui lisent juste cette histoire.
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