9 - Le Canard Boiteux 1/2
Il est presque dix heures lorsqu'ils pénètrent enfin dans la première rue de la ville. Elle est quasiment déserte. Quelques enfants jouent au ballon, Rébecca leur fait un petit signe de la main avec un sourire, mais elle n'obtient pas de réponse. Plus loin, un groupe d'adolescents avec casquettes et capuches, regardent par en dessous les nouveaux venus, ils ricanent, un sifflement se fait entendre.
Rébecca se rapproche instinctivement de son guide. Son envie de crier sa joie s'éteint devant ses regards moqueurs.
― Est-ce que... est-ce que j'ai quelque chose sur moi ? chuchote-t-elle en se tâtant le visage, pour trouver la raison des moqueries.
― Oh, non, t'inquiète pas, princesse. Ils sont juste un peu intimidés, ils ne voient pas souvent de nouvelle tête. Tout va bien !
Il la mène plus loin dans la rue, mais le pas de la jeune fille se fait de plus en plus incertain. Des maisons aux devantures défraichies, des vitres cassées et des lampadaires tordus, des poubelles renversées et des chiens errants, du béton à perte de vue... Elle ne s'attendait pas à ça...
― Allez, viens, il y a un endroit qu'il faut absolument que tu voies.
Le jeune homme s'arrête devant un bâtiment en aussi mauvais état que les autres, avec une pancarte aux couleurs passées indiquant « Le Canard Boiteux ».
― C'est mignon, un canard, murmure Rébecca, pour se rassurer, caressant nerveusement Calou qui s'est réfugié sans ses bras.
― Mais oui ! On va pouvoir boire un petit coup avant de continuer la visite. Ça va nous rafraichir, après la marche qu'on vient de faire.
Content de son idée, Flavio pousse la porte qui grince fortement et laisse entrer la jeune fille devant lui. Une odeur d'alcool, de tabac et de sueur vient agresser leurs narines, Rébecca se fige au spectacle qui s'offre à ses yeux, un frisson lui parcourt l'échine.
Flavio prend une grande inspiration exagérée :
― Sens-moi cette odeur de joie de vivre, c'est la fête tous les jours ici, on boit, on joue, on s'éclate ! Qu'est-ce que t'en dis ?
Les yeux de Rébecca font lentement le tour de la pièce sombre, en grande partie cachée dans un brouillard dû à la fumée de cigarette. Elle peut voir de nombreuses tables rondes autour desquelles sont installés des personnages tous plus inquiétants les uns que les autres. Des visages à moitié cachés, abimés, des vêtements usés et même déchirés, pour la plupart de couleur sombre, et des regards qui la fixent et lui glacent le sang.
Flavio a réussi à lui faire faire trois pas, mais elle refuse d'aller plus loin. Le félin dans ses bras a les poils tout hérissés, un grondement sourd sort de sa gorge. L'atmosphère est vraiment trop pesante, le silence qui s'est installé depuis leur entrée s'ajoute à son malaise. Flavio se plante alors devant elle, jouant encore la comédie, satisfait de l'effet que son petit numéro a provoqué, persuadé qu'il va revoir sa clé USB plus tôt que prévu :
― Non ? Ça te dit rien ? On peut partir si tu préfères. Et vite rentrer chez toi pour se remettre à l'abri.
Tout en lui parlant, il la prend par les épaules pour l'aider à faire demi-tour, la sentant trembler sous ses doigts. Mais, alors que son sourire satisfait reste figé sur son visage, son cœur se serre à cause d'un sentiment imprévu qu'il n'avait pas ressenti depuis bien longtemps. Un sentiment qu'il s'était promis de ne plus jamais éprouver.
La culpabilité.
Il doit prendre sur lui pour ne pas broyer les épaules de cette fille à cause de sa rage intérieure. Le regard affolé de Rébecca s'est ancré dans son esprit et lui retourne l'estomac. Elle est bouleversée, et c'est totalement par sa faute. Il pensait son cœur devenu dur comme de la pierre, depuis que...
Non ! N'y pense pas ! Tu es fort ! Elle n'avait qu'à pas faire ce marché stupide ! Elle ne te doit rien !
Ils vont atteindre de nouveau la porte, quand celle-ci disparait soudain de leur vue. Le passage vient de s'obstruer à cause d'une masse noire, ils doivent reculer et lever la tête pour comprendre de quoi il s'agit.
Un homme énorme, immense, les empêche de sortir. De sa tête ronde et adipeuse qui touche presque le plafond, deux petits yeux rentrés dans leurs orbites les fixent, brillant dans l'obscurité. De sa bouche qui se perd dans un triple menton, une voix qui parait sortir d'outre-tombe retentit dans le silence pesant de la pièce :
― Dis donc, l'avorton, tu s'rais pas le pote de Laurent et Harry, des fois ?
Flavio cligne plusieurs fois des yeux et avale difficilement sa salive avant de trouver une réponse. Ne l'ayant jamais rencontré personnellement, il est quasiment certain de se retrouver en face de la brute sanguinaire et sans pitié connue de tous sous le nom de « l'Ogre ». Soupçonné par la police pour de nombreux meurtres, toujours relâché faute de preuves, il a la réputation, dans les bas quartiers, de couper les oreilles et les pouces de ses victimes.
― Qui-qui ça ? bredouille le jeune homme, avant de se reprendre et de bomber le torse pour se donner une contenance.
― Joue pas avec moi, moustique, gronde le monstre. Les frères te cherchent et ont promis une belle récompense à qui mettrait la main sur toi !
Le jeune homme grimace. Ses anciens acolytes n'ont pas été pris par la police, dommage.
― Ah ah ! N'importe quoi ! J'les connais même pas ! On peut y aller maintenant ?
La tête haute, Flavio fait un pas en avant dans le but de le contourner, passant à côté de Rébecca qui est resté figée sur place. Celle-ci touche sa manche au passage, lui chuchotant d'une voix tendue :
― Il a une arme à feu dans sa veste, poche droite, et un couteau monstrueux à la ceinture, dans son dos...
Bien que tremblante de peur, la jeune fille a réussi à « sonder » rapidement les vêtements de l'ennemi grâce à sa vision unique. Flavio lui jette un regard étonné, mais il n'a pas le temps de lui poser de question, car elle s'écrit soudain :
― Attention !
L'énorme main de l'Ogre, aussi large qu'une raquette de tennis, s'abat sur le jeune voleur mais le manque de peu. Flavio n'est pas aussi grand que son adversaire qui fait bien deux fois sa taille, mais il est souple et rapide.
― Reste en place, avorton !
― Attrape-moi donc, gros tas !
Les yeux du monstre brillent d'une lueur mauvaise. L'insulter, c'est signer son arrêt de mort ! L'argent le tentait bien, mais si ce moustique continue comme ça, c'est à la lame de son couteau qu'il va goûter !
Puissant, il l'est. Cruel, également. Et pas si lent que ça, finalement. Mais Flavio a quand même le temps d'en faire le tour sans que l'autre n'arrive à le toucher. Une des mains expérimentées du voleur s'est faufilée dans la veste ouverte du monstre, une autre sur la ceinture. Rien de plus facile pour un pickpocket de longue expérience.
Lorsque l'Ogre met sa main dans son dos pour y prendre son arme favorite, bien décidé à utiliser la manière forte, Flavio s'est éloigné de quelques mètres et tend devant lui le fruit de son butin :
― C'est ça que tu cherches, gros lard ?
Le monstre manque de s'étouffer, rouge de colère, en voyant son revolver et son couteau dans les mains de son adversaire. La tension est palpable dans la pièce, personne n'ose bouger, les souffles sont retenus. On n'entend plus que le tic-tac d'une horloge invisible.
Flavio tourne encore autour de l'Ogre en le charriant, plus confiant. Il tend le couteau à Rébecca qui le prend par reflexe, les yeux écarquillés de stupéfaction :
― M-mais mais... qu'est-ce que je dois faire de ça ? bredouille-elle en fixant l'arme dont le poids la fait chanceler.
― On sait jamais. On n'est pas dans un endroit très sûr. Ne te blesse pas avec !
Le regard du voleur reste accroché un instant à celui de la jeune fille. Il regrette bien de l'avoir emmenée ici, maintenant. Il ouvre la bouche pour ajouter quelque chose, mais il est soudain happé par derrière et soulevé comme une vulgaire poupée de chiffon à un mètre du sol.
De sa deuxième main, l'Ogre le fait tourner sur lui-même et le maintient toujours en l'air, mettant son visage à hauteur de sa future victime et lui postillonnant dessus :
― Alors, le nain, on rigole moins ? Qu'est-ce que tu préfères : la nuque brisée, ou la tête explosée ?
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Ouuups ! Désolée si ça devient un peu violent, promis, je n'en ferai pas trop, car ce n'est vraiment pas ce que je préfère écrire. 🥲
Par contre, une scène d'action qui prend aux tripes et qui fait que tu oublies de respirer pendant ta lecture, ça, oui ! Enfin... est-ce que c'est un peu (un tout petit peu ?) ce qui s'est passé pour toi avec ce chapitre ? Parce que peut-être que l'effet que je cherche à faire passer ne rend pas du tout... ? 😱
Dis-moi viiiite ! Et n'hésite pas si tu as des critiques, je suis preneuse tant qu'elles sont bienveillantes et constructives ! Merci ! ❤️❤️
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