3 - Dehors, c'est dangereux

La petite maison dans la forêt est silencieuse. On pourrait croire qu'elle est vide. La pièce principale, faisant office à la fois de chambre, de bureau, de salon et de cuisine, le tout faisant une bonne vingtaine de mètres carrés, est plongée dans une semi-obscurité due à la fin de journée ; les lumières n'ont pas été allumées.

Rébecca y est pourtant bien présente, comme toujours. Elle travaille dans le coin bureau. C'est son petit nid douillet, elle s'y sent bien, en sécurité. C'est régulièrement un peu le désordre, mais elle est plutôt organisée dans son bazar, elle n'a jamais longtemps à chercher quand elle a besoin de quelque chose.

La jeune fille est encore penchée devant l'écran de son ordinateur, les yeux plissés, concentrée, quand elle entend la clé dans la serrure. Sa mère arrive. Elle soupire et se redresse en s'étirant sur sa chaise. Elle a l'impression d'avoir travaillé pendant plusieurs jours et ses yeux en sont larmoyants. Un mal de tête s'est également installé. Il est temps qu'elle arrête.

― Bonjour, ma chérie, la salue sa mère en entrant dans la pièce et allumant la lumière.

― Salut M'man, répond-elle en faisant la grimace, éblouie.

― Comment vas-tu aujourd'hui ?

Rébecca fait pivoter sa chaise à roulette pour répondre à sa mère tout en se massant les tempes. La nouvelle venue, comme d'habitude, vide des sacs de courses dans la petite cuisine qui se trouve à quelques mètres du bureau, séparée du reste de la pièce par un plan de travail à hauteur de bar.

Gaétane Ponce est une belle femme d'une quarantaine d'année. La peau mate maquillée avec recherche, de belles boucles longues et noires lui tombent dans le dos, ses lèvres colorées par un rouge à lèvres osé se fendent en un sourire tandis qu'elle ouvre les placards.

― Ça va, répond la jeune fille. Mais c'était plus difficile cette fois...

― Les vidéos ? Ah, je m'en doutais. Désolée, je n'en avais pas de meilleure qualité. Est-ce que tu as réussi un peu quand même ?

― Je ne suis pas sûre...

― Montre-moi.

Gaétane laisse les courses et se place juste à côté de sa fille pour lire les notes prises sur un petit calepin posé contre le clavier, l'enveloppant de son parfum de qualité. Ses longs cheveux glissent et viennent chatouiller l'épaule nue de Rébecca, qui se recule un peu, soucieuse de faciliter la tâche à sa mère.

Physiquement, elles ne se ressemblent pas du tout. Sa mère a toujours été évasive à ce sujet, et Rébecca se doute qu'elle ressemble plus à son père qu'elle n'a pas connu.

― C'est tout ? murmure Gaétane en triturant nerveusement l'anneau immense qui lui sert de boucle d'oreille.

La déception s'entend facilement dans sa question courte, et Rébecca se ratatine sur sa chaise. Elle voudrait tellement lui faire plaisir ! Mais cette fois, son don n'a pas pu lui servir convenablement.

Ce don, elle s'en sert depuis qu'elle est toute petite. Ces dernières années plus intensément, puis quasiment chaque jour depuis plusieurs mois. C'est un travail que sa mère lui a demandé de réaliser, pour s'occuper et s'amuser au début, puis plus régulièrement. Et depuis peu, avec des outils plus difficiles d'utilisation.

La vision « rayon x » de Rébecca ne lui est d'aucune utilité pour détecter des objets cachés sur des photos ou des vidéos floues. Et les dernières fournies proviennent d'une caméra de sécurité de qualité médiocre, avec une scène se passant la nuit.

Sa capacité à voir à travers les choses est unique, elle le sait par sa mère, et par les nombreuses lectures qu'elle a fait au long des années. Elle n'a aucune idée de son origine et a arrêté de se poser des questions depuis bien longtemps, puisque sa mère n'en sait rien non plus.

Les poings de Gaétane se serrent et se desserrent sur le bureau, elle paraît contrariée pendant quelques secondes, puis se tourne vers sa fille avec un sourire et une voix douce :

― Ce n'est pas grave, ma chérie. Tu feras mieux la prochaine fois. Je suis sûre que tu peux encore t'améliorer.

Rébecca hoche la tête en regardant ses pieds. Elle n'aime pas décevoir sa mère, et hésite d'autant plus à lui faire sa demande concernant son anniversaire.

Ce sont les grands yeux caramel de Calou, fixés sur elle tel un reproche, qui lui redonnent le courage de se lancer. D'une toute petite voix, elle commence :

― Maman ?

Revenue dans la petite cuisine, Gaétane suspend son geste, la main en l'air tenant une boite de conserve qu'elle s'apprêtait à poser dans un placard.

― Oui, ma chérie ?

― Tu sais quel jour on est demain ?

La femme brune reprend son rangement tout en réfléchissant. Elle met tellement de temps à répondre, que Rébecca la devance :

― C'est mon anniversaire !

― Oh, mais oui, je sais bien, ma puce. Qu'est-ce qui te ferait plaisir ?

― Je... j'aimerais... tu sais...

― Arrête donc de marmonner, Ré ! Tu sais que j'ai horreur de ça, c'est très malpoli.

La jeune fille avale sa salive et prend une grande inspiration avant de sortir d'une voix tremblante :

― Je voudrais aller dehors. Juste un petit peu, un tout petit peu, pas loin, juste toi et moi. Pour voir les lumières de plus près. Seulement demain soir. Et puis on revient tout de suite.

Cette fois, Gaétane a posé ses mains à plat sur le plan de travail et fixe sa fille de ses grands yeux sombres aux longs cils. Elle ne sourit plus.

― Ni vues ni connues, personne ne saura, continue la jeune fille sans réussir à s'arrêter, prenant le mutisme de sa mère pour un encouragement. Ça serait tellement chouette, tellement...

― Ré ! la coupe enfin sa mère. Ça suffit, j'ai compris.

― C'est vrai ?

La jeune fille s'est redressée sur son fauteuil, les yeux pétillants d'espoir demandant confirmation de ce qu'elle vient d'entendre, elle a du mal à y croire.

― J'ai compris ta demande, reprend Gaétane. Cela ne signifie pas que je vais l'accepter.

Rébecca s'affaisse de nouveau sur sa chaise roulante, déçue, son regard vert cependant toujours suppliant posé sur sa mère. Celle-ci contourne le plan de travail de la cuisine pour la rejoindre et s'assoir près d'elle.

― Je suis désolée, ma puce, c'est trop dangereux.

― Mais...

― Non, laisse-moi te faire une petite piqure de rappel, je crois que tu en as besoin.

La main manucurée à la peau mate de Gaétane vient remettre doucement une mèche blonde rebelle de sa fille derrière son oreille, puis elle reprend, assurée de l'écoute de cette dernière :

― Quand tu étais petite, des personnes se sont rendu compte que tu avais une capacité particulière et unique : celle de voir à travers les objets, les murs, les gens, sans le moindre effort. Ce don te rendait unique, mais aussi possiblement très utile. Les hommes son égoïstes, cruels, sans cœur, peu importe que tu sois une petite fille innocente, ils voulaient se servir de ton don pour des raisons louches et malhonnêtes.

Lorsque Rébecca courbe la tête à ces paroles, une lueur de satisfaction traverse le regard sombre de Gaétane. Puis elle continue avec un léger sourire que sa fille ne voit pas :

― Aujourd'hui, te voilà grande. Mais rien n'a changé, comprends-tu ? Je t'ai mise à l'abri car, malgré ton don extraordinaire, tu ne peux pas te défendre toute seule. C'était la seule solution. La moindre petite sortie peut se faire poser des questions au premier venu. Ce serait prendre trop de risque et gâcher toutes ces années pendant lesquelles nous avons tenues loin du monde. Je t'aime très fort, ma chérie. Ne l'oublie pas.

Rébecca regarde enfin sa mère qui finit sa tirade avec une larme au coin de l'œil. La jeune fille se tord les mains sur ses genoux pendant quelques secondes de silence. Sa mère a raison. Comment a-t-elle pu oser penser qu'elle serait assez forte pour affronter le monde extérieur ? Comment a-t-elle pu mettre en doute l'amour qui a poussé sa mère à la retirer du monde pour sa sécurité ?

― Je suis désolée, maman.

― Ne t'en fais pas, lui répond-elle en se relevant, après une dernière caresse.

Puis elle change tout de suite de sujet :

― J'ai à faire ce soir, je repasserai demain matin et tu me diras ce que tu veux pour ton anniversaire.

La gorge nouée, Rébecca acquiesce en silence et regarde sa mère reprendre son sac et sa veste avant de la saluer :

― Je t'aime, ma chérie ! A demain !

― Je t'aime aussi, maman.

Comme s'il comprenait les états d'âme de sa maîtresse, Calou saute sur ses genoux dès qu'elle se retrouve seule. Encore tendue, dans ses pensées, Rébecca le caresse machinalement et sent bientôt la vibration de satisfaction de son compagnon contre elle. Rien ne vaut une séance de "ronronthérapie" pour se sentir mieux.


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Hello hello ! Un chapitre un peu plus long pour aujourd'hui... 

Alors qu'est-ce que vous pensez de la mère de Rébecca ? 

Et de son don ?

Il va lui servir bientôt dans des circonstances un peu particulière et inhabituelles... 🤓

A bientôt pour la suite ! 😁

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