Tu sais où est mon frère ?
1 090 jours avant...
🌻🌻🌻
Killian
J'entends des battements de cœur, forts et lourds, comme si un orage grondait dans ma tête. Ils marquent la mesure comme un métronome. Ils sont réguliers, presque rassurants pendant quelques instants puis ils se font de plus en plus espacés et lointains. Ils ralentissent, faiblissent et perdent le rythme. Ils sont de plus en plus lents, bien trop lents puis deviennent aussi légers qu'une plume.
Soudain, ils s'arrêtent et le silence hante ma tête, comme un brouillard épais qui me boucherait les oreilles. Je disparais dans un vide sombre provoqué par l'absence de son. Je tombe sans pouvoir m'accrocher. Je vole comme dans l'œil d'un cyclone mais je vois le sol se rapprocher, toujours plus vite. Je panique, tentant d'agiter les bras pour ralentir mais ça ne sert à rien. Tout à coup c'est le choc, violent, percutant. Je ne peux plus bouger, comme enfoui dans le sol, faisant maintenant partie de lui. Je n'existe plus.
Je me relève en sursaut, le front humide de sueur et le cœur en panique mais je suis heureusement dans mon lit. J'ai encore fait ce putain de cauchemar ! Dehors la nuit étale encore son ombre vaporeuse mais quelques oiseaux sifflotent déjà pour accueillir les premiers rayons du soleil. Fermez-la bon sang ! Je cache ma tête sous mon oreiller pour ne pas entendre leur joie de vivre. Je la déteste cette putain de joie de vivre, la jalouse parce que j'ai l'impression de ne jamais y avoir droit. Chaque fois que je l'aperçois au loin, elle me fuit comme une proie voulant sauver sa peau. Je suis tout le contraire d'un aimant, je repousse tout sans même le vouloir.
Je soupire et tente de me rendormir mais le son des battements de cœur reprend et m'angoisse. J'en ai la boule au ventre et la nausée. Un matin qui commence bien ! Je souffle fort et repousse mes draps d'un coup de pied rageur. Assis sur le matelas, mon regard évite le cadre posé sur ma table de chevet. Les battements sont toujours là quelque part, ils me narguent comme une migraine prête à m'engloutir.
J'allume la petite lampe qui diffuse une douce lumière sur ma bibliothèque pleine de livres que je n'ai pas ouvert depuis longtemps. Je la contourne et me glisse dans la salle de bain afin de prendre une douche bien chaude. J'ai toujours froid après un cauchemar, comme s'il aspirait toute ma force vitale et laissait un vide glacial coulant dans mes veines.
J'enfile ensuite un pantalon de jogging et un t-shirt et me pose sur mon lit. J'attrape mon téléphone et constate que j'ai toujours pas de nouvelles de Tim. Ça va faire dix jours que je lui ai écrit pour la dernière fois et depuis, son portable est éteint. J'ai peur de l'avoir fait fuir avec mes conneries.
Tim... dis-moi que tu vas bien cazzo* !
Ce silence m'angoisse, comme tous les silences d'ailleurs. Je déteste l'insonorité du monde, ça ressemble à la mort, à la fin de tout. J'attrape mes écouteurs et les glisse dans mes oreilles afin de remplir ce vide. La voix de Lewis Capaldi envahit ma tête d'une douce mélodie mais la crainte est toujours là, tapie tel un prédateur affamé. Je décide d'aller voir si Anna est déjà à son poste. Il n'est que six heures et demie mais je sais qu'elle commence tôt sa journée. Je me tue à lui dire qu'elle pourrait venir plus tard mais elle insiste pour être là pour faire le premier café de mon père.
Elle travaille pour nous depuis la mort de ma mère et avec Alfred et les quelques employés de ménage et le jardinier, Anna est devenue une sorte de marraine, une bonne fée pour mon père et moi. Sans elle, nous ne mangerions pas. Ils sont tous un peu comme une famille de remplacement.
J'arpente le couloir de parquet sombre, portable en main et me glisse dans les escaliers, traverse l'entrée puis le salon déjà baigné de lumière.
Du bruit me parvient depuis la cuisine en face de moi. Je l'entends malgré mes écouteurs.
— Bonjour Anna ! dis-je pour ne pas lui faire peur.
Je n'aime pas la surprendre, surtout pas avec ma tête d'après cauchemar.
— Bonjour Killian, vous êtes déjà debout ?! dit-elle depuis la cuisine.
— Ouais mais ne vous pressez pas, j'ai le temps, dis-je en me glissant sur l'un des tabourets.
Soudain, son visage souriant débarque près du bar en marbre noir qui sépare la cuisine du salon, elle apporte avec elle l'odeur du petit déjeuner. Elle dépose sur le plateau du bar, la cafetière et deux mugs blancs aux motifs floraux peints à la main par ma mère. Des fleurs d'orangers, ses préférées.
— Vous voulez quelque chose de spécial Killian ce matin ? Vous avez l'air d'avoir besoin de force.
Elle me connait trop bien depuis le temps.
— Vous pourriez me faire des pancakes s'il vous plaît Anna ?
— Volontiers mais il faudra patienter un peu, ajoute-t-elle en repartant vers la cuisine sourire aux lèvres.
Je me sers un mug entier de café noir et observe les premiers rayons de lumière qui atteignent le jardin. Les orangers sont en fleurs, ma mère adorerait les voir. J'expire tristement lorsque je sens une main se poser sur mon épaule. Le regard bleu glacier de mon père brille d'une douce lueur. Je sais déjà ce qu'il va me dire.
— Elle serait heureuse de voir qu'ils sont toujours en vie. Heureusement que le jardinier s'en occupe, sourit mon père en prenant place à mes côtés.
— C'est pas avec moi qu'ils auront beaucoup d'attention, dis-je en buvant une gorgée de café.
— Tu tuerais même les cactus, rit mon père.
Je l'imite volontiers. Il n'a pas tort, je ne sais pas m'occuper des plantes et encore moins des êtres humains, moi le premier. Je ne peux m'empêcher de penser tout à coup à Tim qui ne répond toujours pas à mes appels et mes messages et ça m'inquiète vraiment. Je l'ai fait fuir, j'en suis sûr. J'aurais dû insister pour qu'il vienne chez moi la dernière fois que je l'ai vu, peut-être qu'il a besoin d'aide. Le problème c'est que j'ai une adresse mais je me vois mal débarquer chez lui s'il n'y est pas. Qu'est-ce que je pourrais bien dire à ses parents ? Je suis personne pour lui.
Mon père me tire de mes réflexions en enlevant un de mes écouteurs.
— Tu m'as entendu ?
Je me tourne vers lui, encore perdu dans mes pensées.
— Mhh ? Non, excuse-moi 'pa. Tu disais ?
Il secoue la tête de gauche à droite.
— Que je devais m'absenter pendant deux jours pour notre bureau de San Francisco. Je pars demain, tu veux venir avec moi ? Je sais que ce genre de séance n'est pas ton truc mais si tu veux apprendre le métier, c'est une bonne occasion. J'ai pas envie de te laisser seul ici, ajoute-t-il en tapotant ma joue, un air de pitié sur le visage.
Un frisson parcourt ma colonne vertébrale mais je serre le poing sur ma cuisse et tente de garder contenance.
— Ecoute 'pa, je préfère rester ici. J'ai mes repères et l'agence de mannequin doit me rappeler pour le job, ce serait bien que je sois sur place au cas où elle aurait besoin de moi immédiatement.
Je ne sais pas si je suis convaincant mais mon père acquiesce et nous terminons notre petit déjeuner dans un silence remplacé par la musique pour moi, mon père lit le journal mais me jette parfois des regards discrets. Bon ok, soyons honnête, je crois qu'il n'a pas vraiment cru à mon semi-mensonge mais il n'insiste pas.
Si je tiens à rester ici, c'est surtout parce que j'ai peur de m'éloigner au cas où Tim reprendrait contact avec moi. Et s'il avait besoin de moi ?
Ce ne serait pas plutôt le contraire ? me souffle ma conscience.
Ouais, en vérité c'est que je me suis accroché à lui et qu'il me manque. Voilà, c'est dit. J'ai vraiment la trouille qu'il soit parti pour de bon, qu'il soit tombé sur un autre gars, mieux que moi. C'est pas compliqué d'ailleurs. J'ai l'impression que tout me glisse entre les doigts depuis bien trop longtemps, que tous ceux que j'aime s'échappent et tentent de me fuir et ça me fiche les chocottes !
Papa me salue et disparait après avoir englouti son petit déjeuner alors que mes pancakes sont encore entassés dans mon assiette et certainement froids. Ça m'a coupé l'appétit et je sens cette putain de boule d'angoisse grossir à nouveau dans mon estomac. J'en ai marre.
— Anna ? Vous pouvez mettre les pancakes au frais, je les mangerai plus tard.
— Oui sans problème, crie-t-elle depuis la cuisine. Vous serez là à midi Killian ?
— Je ne pense pas. Je reviens dans l'après-midi. A tout à l'heure Anna.
Elle me souhaite une bonne journée et je monte sans attendre dans ma chambre qui me semble vide tout à coup. La solitude me tombe dessus dès que je pose mes fesses sur mon lit. La maison est silencieuse mais je me sens étouffer, suffoquer. Ce vide qui ressemble bien trop à ma vie me fait peur, me paralyse.
J'allume la télé accrochée au mur en face de mon lit et cherche sur un site dédié, un bon porno pour me divertir. J'ai besoin de respirer, d'évacuer ce qui m'en empêche. J'ai besoin de faire disparaitre cette espèce de boule infâme qui prend toute la place dans ma poitrine et qui me comprime le cœur.
Le film commence et même si la honte m'accompagne, je me soulage plusieurs fois pour alléger ce poids, cette oppression constante sur mon cœur, cette impression d'étouffement. Je serre les dents pour me délivrer de ces émotions qui me noient chaque jour un peu plus. Je sais que je me fais plus de mal que de bien mais je dois faire retomber la pression et rien d'autre n'est aussi efficace. J'ai besoin de satisfaire ce foutu appétit sexuel et c'est ce que je fais. C'est malsain mais c'est tout ce que j'ai. Au bout d'une heure, mon sexe me fait mal et je suis bien obligé de le laisser en paix. Je me glisse alors nu dans mon lit et m'endors comme une masse, comme toujours après avoir abusé.
Lorsque je me réveille, deux heures se sont écoulées et j'ai toujours des douleurs à mon entre jambe. J'ai honte et je culpabilise à nouveau. Il me faut toute la volonté du monde pour sortir de mon lit et me trainer jusqu'à la salle de bain. Je me glisse sous la douche et tente de calmer mes battements de cœur et d'autres qui ne sont pas les miens. Est-ce qu'un jour cette souffrance s'arrête bordel ?!
M'enroulant dans une serviette, je rejoins ma chambre et m'habille d'un short en jean et d'un t-shirt tout simple. Je retourne finalement manger les pancakes d'Anna puis retrouve mon portable quelque part dans mes draps au retour du salon. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine quand je vois que Tim m'a envoyé un message.
Je l'ouvre mais ne sourit pas pour une fois. Mon cœur se serre comme s'il avait perdu toute envie de battre à nouveau. Je crois même qu'il s'est déchiré en deux telles les voiles trop minces d'un bateau, ballotées par le vent.
« Killian, je suis désolé de te le dire comme ça mais je crois qu'on ne devrait plus se voir. C'est pas une bonne idée. M'en veux pas s'il te plait. Oublie-moi »
La main tremblante, je presse le bouton d'appel mais tombe directement sur sa boîte vocale, je raccroche, détestant ce truc. Je tourne en rond dans ma chambre, sentant les ténèbres refaire surface et moi me noyer sous dix mètres d'eau. J'ai à nouveau du mal à respirer et ma vision se trouble. J'enfile mes baskets et descend l'escalier en appelant Alfred. Celui-ci me rejoint dans l'entrée l'air étonné.
— Alfred vous pouvez m'emmener à cette adresse s'il vous plait ? dis-je en lui montrant l'écran de mon portable.
Il hoche la tête et je le suis dans le garage. On dépasse les voitures de sport de mon père et prenons une plus discrète. La Porsche Caïman passe pour modeste dans notre quartier mais arrivés dans celui où habite Timothy, à une dizaine de kilomètres d'ici, je remarque que ce n'était peut-être pas le meilleur choix. Je m'en fous, j'ai besoin de le voir et je ne suis pas vraiment du genre patient.
Alfred se gare devant une petite villa en pierre blanche et coupe le moteur. Je traverse la rue à grands pas et alors que je rejoins le perron de la maison de Tim, une voix féminine m'interpelle. Je lève la tête et découvre sa sœur, enfin je crois que c'est elle. Il m'en a beaucoup parlé et je ne l'ai jamais vue jusqu'ici mais son regard semblable à celui de Tim et ses cheveux blonds me confirment que c'est elle.
— Hey ! Passe par derrière, je descends, chuchote-t-elle par la fenêtre du premier étage.
La pelouse du jardin ressemble à celle d'un parcours de golf mais la maison a plutôt la taille de notre pool house et semble assez vieille. Je ne m'attarde pas à observer la propriété et longe le mur. Arrivé à l'arrière de la maison je vois Rosie, l'air plutôt fâché, bras croisés sur sa poitrine, me dévisager.
— Euh, salut Rosie. Je m'appelle...
— Killian ! Oui je sais qui tu es ! Tu sais où est mon frère ? demande-t-elle précipitamment en levant la tête vers moi.
Elle est toute petite et a bien le même regard d'obsidienne que Tim mais dans ses yeux se lit la crainte. On dirait qu'elle veut ma peau.
— Non, je ne sais pas et il ne veut plus me voir justement, dis-je tout bas.
Elle pince ses lèvres, renifle puis papillonne des yeux. Une larme coule sur sa joue et vient se planter dans ma poitrine. Je me sens tellement coupable à cet instant.
— Il n'est pas rentré depuis trois jours et on ne sait pas où il est, s'exclame-t-elle en serrant les poings.
Je sens mes poumons se comprimer mais je tente de rester calme. C'est compliqué mais j'espère que Rosie pourra soulager ma conscience.
— Je n'ai aucune nouvelle, je te l'ai dit. Tu as une idée d'où il peut être ?
Elle secoue la tête négativement et jette des regards vers la porte arrière de la maison dont la vitre est baignée de lumière. Elle n'est pas seule et je crains de voir débouler le beau-père.
— Il faut que tu le retrouves, j'ai peur qu'il fasse une bêtise, chuchote-t-elle en faisant un pas vers moi. Roger l'a mis dehors... à cause de toi ! ajoute-t-elle en me frappant l'épaule de son petit poing.
Je recule d'un pas sous la surprise, et comprends enfin les mots de Tim qui me percutent avec la violence d'un tsunami. Son connard de beau père est encore pire que ce que je croyais. J'ai peur pour Tim et j'ai bien peur de m'être un peu trop attaché à sa tête de petit blond.
Porca puttana** Tim, je gère comment le merdier que t'as mis dans ma vie ?
*Merde en italien
** Putain d'enfer en italien
❤❤❤
Hello,
J'espère que ce chapitre vous a plu ?
Est-ce que Killian va retrouver Tim ? Et dans quel état ?
On le saura samedi prochain...
Merci de m'avoir lue et merci aussi pour vos votes et commentaires, ils me font énormément plaisir !
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