Peur d'être submergé

1 126 jours avant...


🌻🌻🌻

Killian

Le lendemain au réveil, j'ai la tête embourbée dans un brouillard aussi épais qu'un milkshake à la banane. J'ai mal dormi, fais des cauchemars et les paroles d'Alicia tournent en boucle dans ma cervelle de moineau. Je sais ce qu'elle pense de ma rencontre avec Tim. Elle croit que je cherche une personne à sauver parce que je n'ai pas pu sauver ma mère. Elle se trompe, ils se trompent tous.

Le seul psy que j'ai vu après la mort de celle qui m'a donné la vie m'avait sorti le même discours foireux. Je comble soi-disant le vide qu'elle a laissé en tentant de sauver les autres parce que je culpabilise. Ils peuvent dire ce qu'ils veulent, ils ne sont pas dans ma tête et je ne laisserai plus personne y entrer. Foutez-moi la paix avec vos psychanalyses, je vais bien. Je gère.

Je repousse la couette d'un coup de pied rageux et vais prendre ma douche pour tenter de me réveiller et de faire taire mes angoisses, discrètes pour le moment. J'ai des courbatures d'avoir autant couru cette semaine. Heureusement l'eau chaude détend lentement mes muscles mais mon cerveau turbinant comme un moulin soufflé par le vent, a du mal à trouver le calme. Ma tête va exploser et plus je tente de ne pas penser, plus j'entends des voix qui me rappellent en hurlant que ma mère aurait honte de me voir comme ça. Oui je suis faible, ébréché, brisé par la vie et malgré-moi, je cherche une délivrance face à cette souffrance. La seule échappatoire que je connaisse et qui fonctionne pour moi face à ce monde parfois terrifiant.

Sous le jet d'eau chaude ma main savonneuse glisse sur mon ventre, jusqu'à mon sexe que j'empoigne timidement d'abord puis je raffermi ma prise, sachant exactement ce que j'ai à faire. Je ne perds pas de temps pour libérer ma tête et tout mon être de cette pression insupportable. Je serre les dents, je ferme les yeux et lorsque tous les muscles de mon corps se tendent sous la douche, je me sens enfin plus léger. Voilà ce que je suis devenu depuis quelques années, dépendant, accro, esclave de ma douleur. Je me garde bien de le dire à qui que ce soit, même Alicia n'est pas au courant et pourtant on se dit tout elle et moi. Mais la honte me retient. Je sais que ce n'est pas une solution mais le déni est aussi mon ami hélas et je ne sais pas vivre autrement.

Je sors de la douche, encore tendu, et rejoins ma chambre afin de m'habiller pour prendre mon petit déjeuner avec mon père. Lorsque je descends, il est déjà installé devant le bar qui sépare la cuisine du salon. Il lit le journal par-dessus ses lunettes, sa veste de costume grise posée sur le deuxième tabouret. Je la déplace sur le dossier du canapé en faisant attention de ne pas la froisser et vais enlacer mon père. Je lui colle un bisou sur la joue tandis qu'il m'offre un sourire, ses yeux bleus dans les miens. Son sourire pétille et je me dis qu'il n'aurait pas la même intensité s'il savait ce qui se cache derrière le mien.

- Bien dormi Killian ?

- Oui, comme une marmotte, dis-je en m'installant à côté de lui.

- Je vais faire comme si je te croyais. Encore des cauchemars ? demande-t-il plus sérieusement.

J'ai pas envie de lui mentir mais j'ai encore moins envie de lui gâcher sa journée alors je zappe l'étape explication, comme bien souvent.

- Non pas de cauchemar, t'inquiète pas. Je vais bien, précisé-je en faisant face à son front plissé par les soucis.

- C'est mon rôle de père que de m'inquiéter pour toi mais je ne veux pas te pousser, je sais que ça ne sert à rien. Tu me parleras quand tu en auras envie. Et à part ça, ton rendez-vous, c'est cet après-midi ?

Bordel de merde ! J'avais complètement oublié !

- Oui à quinze heures. T'es sûr que ça te dérange pas que je cherche du travail en dehors de l'entreprise ?

- Mais non, je sais que la finance c'est pas vraiment ton truc et je suis plutôt heureux que tu ne profites pas de notre fortune pour ne rien faire de tes journées. Au contraire je suis fier que tu veuilles prendre ton indépendance, même si j'aurais préféré que tu continues tes études. Je veux que tu sois heureux fiston et tu as le temps de trouver ta voie.

- Merci 'pa. Je suis content que tu me comprennes.

Il m'enlace avant de me dire qu'il rentrera tard puis me souhaite une bonne journée en me laissant seul avec mon petit déjeuner. Je ne suis pas vraiment seul puisqu'Anna est là mais je n'ai pas très faim et la nausée malheureusement. Je repousse mon assiette et vais m'installer dehors sur un des transats qui fait face à la piscine. Je surfe sur internet pour en savoir un peu plus sur l'agence où je dois me rendre cet après-midi, histoire de ne pas débarquer sans m'y être intéressé.

Poussé par Alicia, j'ai postulé dans une petite agence de mannequin qui a comme clients, des créateurs spécialisés dans la lingerie pour hommes. J'étais pas trop chaud au départ mais elle m'a tellement bien vendu le truc que plus je me renseigne, plus j'ai envie de tester. Il y a un casting cet après-midi dans leurs bureaux de Los Angeles. Alicia vient avec moi et si j'ai hâte d'y être, j'appréhende un peu. J'ai jamais défilé mais ma meilleure amie ne devrait plus tarder pour me donner des conseils.

Sa mère travaillait dans le mannequinat et elle avait son petit succès à l'époque, hélas les régimes à répétition n'ayant pas fait que du bien sur son corps, elle a vite arrêté pour se consacrer aux fleurs. Elle possède une petite boutique sur Ocean Boulevard et se plait parmi les végétaux. Alicia n'a jamais voulu marcher dans les pas de sa mère et s'est tournée vers une école d'infirmière, cette dernière a respecté sa décision et la soutient dans ses études.

Je ferme les yeux quelques instants, tentant de m'imaginer en train de défiler en lingerie, j'espère sincèrement que la réalité sera moins ridicule. Alfred toussote derrière-moi puis Alicia déboule à mes côtés, sourire aux lèvres comme à son habitude. Elle sent la rose, le parfum de notre amitié.

- Salut Kiki ! T'as une sale tête dit donc. Tu sais que t'es censé faire sensation cet après-midi, pas leur faire peur !

- Haha, très drôle Ali... J'ai mal dormi.

Alfred disparait aussi discrètement qu'il était arrivé. Alicia m'ébouriffe les cheveux puis s'assoit sur le transat à côté du mien. Elle est jolie dans sa robe mauve, ses longs cheveux blonds descendant jusqu'au creux de ses reins. On dirait une divinité Nordique. Elle en a aussi parfois le caractère.

- Oh Kiki, t'as encore fait des cauchemars ?

- Pas vraiment, j'ai surtout repensé à ce que tu m'as dit hier... enfin, ce que tu voulais me dire. Je sais que j'ai parfois tendance à me précipiter...

- Et parfois à fuir très loin, soupire-t-elle. T'as pas à t'excuser Killian, c'est plutôt à moi de le faire. Je voulais pas que tu sois blessé en te faisant de fausses idées sur ce mec. J'ai peur et pas envie de te voir au fond du trou, encore.

Elle caresse ma joue et essuie une larme qui s'y était attardée.

- Je sais que je suis pas quelqu'un de fiable, que je m'éparpille comme des grains de sable soufflés par le vent. Seulement, cette fois j'ai l'impression qu'il y a quelque chose de différent. Il n'est pas comme tous les autres, je le sens.

Un sourire vient étirer ses lèvres roses de gloss. Elle serre ma main contre son cœur et me tend son auriculaire libre, plongeant son regard bleu lagon dans le mien. J'attrape son doigt fermement. Je sens qu'elle va me sortir une dinguerie.

- Moi Alicia Malmström, je te fais le serment à toi, Killian Shelby, de toujours te soutenir dans tes choix, même s'ils sont barrés, foireux ou complètement fous. Parce que je t'aime comme un frère et jamais je ne te laisserai tomber, dit-elle sur un ton solennel.

Je me relève sur un coude puis m'assois en lui faisant face et je répète son serment, les lèvres tremblantes. Une fois fait elle crache par terre, attendant que je fasse de même.

- C'est dégueulasse Ali.

- Fais-le, ou ne sois plus jamais mon meilleur ami, dit-elle les dents serrées.

Sous son regard plus qu'insistant, je m'exécute en me retenant de râler. Alfred va apprécier que je salisse la terrasse c'est sûr.

- Bien, maintenant voyons comment tu dandines tes petites fesses joli cœur !

La tornade Ali déplace les transats et fait de la place entre la piscine et le poolhouse pour me faire défiler. Elle éclate de rire à mon premier passage puis me guide avec plus de sérieux sur les suivants et au bout d'une heure environ, satisfaite de son travail, elle m'enlace sans prévenir.

- T'es prêt beau gosse. Tu vas les éblouir j'en suis sûre.

- Je l'espère. Tu m'accompagnes on est d'accord ?

Elle me fait un clin d'œil et moins d'une demi-heure plus tard on se rend à l'agence en bus. L'enseigne est discrète sur la façade de l'immeuble jaune canari qui ressemble à tous les autres du quartier. Alicia me suit dans les couloirs mais reste en retrait lorsque vient le moment que je redoute le plus. Elle me fait un bisou et attrape mon auriculaire et mon regard puis s'assoit sur une des chaises, parmi les recruteurs.

Une vingtaine d'autres gars sont présents au casting. Je ne suis pas franchement très à l'aise mais après quelques passages, je me détends. Si bien qu'à la fin, je suis félicité par la directrice de casting qui pense me donner réponse rapidement. Je suis fier d'avoir réussi là où je pensais ne plus avoir le contrôle sur mon corps mais ce n'est pas fini et j'appréhende tout de même la suite. Alicia et moi ressortons de l'agence une heure plus tard, bras-dessus, bras-dessous et allons directement dans un petit bar de plage de notre connaissance. On s'envoie quelques cocktails puis on rentre, heureux d'avoir passé du temps ensemble.

De retour chez moi, je suis satisfait de ma journée mais je redoute la nuit qui vient et son obscurité. Heureusement, je dors bien mais j'ai toujours des pensées pour Tim et je décide d'aller courir pour me dégourdir les jambes et vider mon esprit. Je continue de courir chaque soir pendant une semaine, inquiétant mon père et Alicia, même Alfred se demande ce que je trafique. Puis un soir, alors que deux semaines se sont écoulées, il est là, assis sur la balustrade, éclairé par l'unique lampadaire de cet endroit devenu particulier.

Ses boucles blondes volent au vent, je sens son parfum sucré. Il porte un short en jean et une marinière à longue manche, on dirait un matelot. Je m'assieds à côté de lui, en silence, le cœur battant. Il observe l'horizon dont la lumière orangée se reflète sur son visage. Il a le sourire aux lèvres, j'ai le cœur qui cogne comme un tambour.

- Salut Killian, souffle-t-il en me sondant de son regard brillant de malice.

Dans sa bouche, mon prénom sonne comme un message d'espoir.

- Salut Tim.

Ses pieds se balancent dans le vide tandis que ses mains s'accrochent à la balustrade. Ma main glisse vers la sienne sur ma droite. Nos doigts se frôlent, nos regards se croisent et je sens des picotements me chatouiller la colonne vertébrale.

- Tu... t'as laissé tomber le pyjama ?

Il sourit, mon cœur palpite.

- Ouais, j'ai fait attention avant de partir cette fois.

- C'était pas si terrible en fait.

- T'en a fait des cauchemars ? demande-t-il en mordillant sa lèvre inférieure.

Ma langue humecte ma bouche, je déglutis.

- Non pas vraiment des cauchemars...

Il fronce ses sourcils par-dessus ses lunettes rondes, grimace puis secoue la tête.

- Je veux pas savoir, dit-il en riant.

- Je ne te dirais rien dans ce cas, je garderais pour moi ce secret.

- Ça vaut mieux. Ça risquerait d'être gênant, précise-t-il en observant nos mains qui se frôlent. Killian ?

Je capte son regard pétillant, mon cœur s'agite soudain sous mes côtes lorsque je le vois se rapprocher de mon visage.

- Quoi ? demandé-je en déglutissant bruyamment.

- T'as un brin d'herbe dans les cheveux, dit-il en me le montrant, tout sourire.

Je ris et au fond de moi c'est comme si la lumière venait de s'allumer, comme s'il avait ravivé un feu éteint depuis longtemps. Comme secoué par une décharge électrique, mon corps est déséquilibré et je me casse la figure de la barrière.

Il éclate de rire avant de venir s'asseoir dans l'herbe alors que je me redresse. Son regard lorgne sur ma bouche, mon envie me pousse à me rapprocher mais je me retiens. Je serre les dents parce que cette attirance me terrifie, m'angoisse. J'ai peur d'être submergé, de me noyer dans un océan d'émotions que je ne saurais pas gérer.

Je me recule, mordant ma lèvre pour ne pas dire ce que je pense, là toute de suite. Je risquerai de foutre en l'air le début de quelque chose que je ne sais pas encore comment définir. Tim baisse les yeux puis porte son regard vers l'horizon. Ses cheveux blonds flottent dans le vent comme l'étendard d'un bateau.

- Cette nuit est magnifique, tu ne trouves pas ?

Je n'ose pas lui dire que c'est lui que je trouve magnifique, je ne peux pas. Mon cœur ne supporterait pas un autre abandon. D'un autre côté, j'ai la douce sensation que ça pourrait être bien différent. Qu'est-ce que je dois faire avec le tourbillon d'émotions qui me fait tourner la tête bordel ?

- Magnifique ouais, murmuré-je bêtement en l'observant après quelques instants de silence.

Il sourit, mon cœur s'emballe, encore.

Est-ce que tu aurais trouvé l'interrupteur d'une partie de mon cerveau que je croyais éteinte Tim ? Bordel de merde Tim, qu'est-ce que tu m'as fait ?

❤❤❤

Alors ces premiers pas dans l'histoire vous plaisent-ils ?

N'hésitez pas à me le dire, ça m'aide et ça me fait toujours plaisir.

On se retrouve samedi prochain même heure pour la suite.

Un bon weekend et des bisous (* ̄3 ̄)╭❤

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