Pas assez courageux

1 089 jours avant...

🌵🌵🌵TW en commentaire → 

Timothy

J'avais que vingt dollars en poche mais après le repas de midi d'hier, je n'ai quasiment plus rien et je ne sais toujours pas où dormir la nuit prochaine. J'ai passé les trois derniers jours à flâner dans des quartiers de la ville plus animés les uns que les autres. J'ai préféré le centre-ville pour être plus discret, passé inaperçu et éventuellement trouver de la nourriture dans les poubelles des restaurants huppés. Leurs poubelles ont des cadenas !

Ce matin, mon ventre gargouille mais je me contente de me nourrir du paysage et du bruit ambiant. Je me laisse bercer par le son régulier des allées et venues du métro et des passants pour oublier les paroles de Roger. Cette fois, il est allé trop loin, même ma mère a tenté de le retenir mais la gifle sur ma joue a fait moins mal que ses mots.

Ma mère pleurait à genoux entre lui et moi. Je sentais son halène de poivrot me repousser, son regard de dégout m'achever. Il m'a traité de p... Le mot ne veut pas sortir. Ce mot-là m'a écorché le cœur et m'a violemment arraché à ma famille. C'était celui de trop, celui qui a peut-être bien bousillé ma vie. Je déteste Roger, depuis le premier jour, depuis qu'il a essayé de prendre la place de mon père dans notre vie.

Le dos contre la pierre froide, je me sens à la dérive, abandonné comme on jette des déchets aussi insignifiants qu'un carton usagé de pizza. J'ai même pas pu dire au revoir à Rosie et maintenant mon portable n'a plus de batterie. Je voulais contacter mon père mais je n'ai pas son numéro et le Canada me semble bien trop loin pour m'y rendre sans argent.

Je remonte mes jambes contre mon buste et repense au message que Roger m'a obligé à envoyer à Killian. C'est le pire dans cette histoire. Il l'a fait exprès parce qu'il savait que je tenais à lui, même s'il ne comprend pas comment deux hommes peuvent être attirés l'un par l'autre. Même si ça le dégoute et lui file la gerbe comme il dit. Je le déteste à un point que je ne pensais pas imaginable. Revoir son regard me tord l'estomac, réentendre ses mots me glace le sang et pourtant ça tourne en boucle dans ma tête, comme un horrible cauchemar sans fin. J'arrive pas à me défaire de cette scène.

Je décide de bouger un peu car mon corps est encore engourdi par la nuit passée sur le trottoir. Je constate que personne n'a volé mon vieux vélo, c'est déjà ça. Je glisse mon sac sur mon dos et me dirige vers un parc arborisé de l'ouest de la ville en pédalant doucement. Les gens y promènent leur chien tôt le matin mais il n'y a pas d'enfant à cette heure matinale. Je passe par les toilettes publiques, sales, et me rafraichis le visage. J'ai l'air aussi fatigué que le miroir fissuré de l'endroit. J'ai des cernes violets et les cheveux en paquets sur ma tête. Je ne dois pas sentir la rose non plus mais je m'en fous.

Qui le saura ? Personne ! Puisque désormais plus personne ne voudra de moi.

Je fais discrètement le tour des poubelles du parc mais les employés de la ville se sont levés plus tôt que moi et les sacs sont vides, tout comme mon estomac. Je reprends mon vélo et parcours quelques kilomètres vers le nord, jusqu'au zoo où on allait quand j'étais petit, avec maman, Rosie et Jackson. Mon frère aîné a quitté la maison il y a longtemps et je ne sais même pas où il est. Il me manque, Rosie me manque. Tout le monde me manque.

Je cadenasse mon vélo dans le parking prévu à cet effet puis j'attends l'heure d'ouverture du zoo. Dès que les portes s'ouvrent, je m'y engouffre en y laissant mes dernières pièces. Je parcours les allées, observe tous les animaux et lis chaque panneau pour faire passer le temps. Le zoo se remplit doucement et bientôt des troupeaux d'enfants courent partout avec leurs parents leur tenant la main. Ils rient, chantent et s'amusent avec l'insolence de leur âge. Ça me rappelle mon enfance. J'ai l'impression qu'elle est tellement loin et en même temps si proche. Un morceau de temps impalpable qui n'est plus qu'une illusion dans mes souvenirs.

Je m'arrête près des tigres en pensant à Twinkle, cette boule de poils adorable qui me manque tout autant que le reste de ma vie. Je me couche sur le banc, la tête sur mon sac à dos et ferme les yeux. Je suis fatigué et ne veux plus voir ce qu'est devenu ma vie. Je voudrais fermer les yeux et pouvoir tout réparer ou tout détruire et recommencer, je ne sais pas ce qui serait le mieux. J'aimerais avoir des pouvoirs magiques et garder uniquement ce qui me fait sourire et jeter le reste dans l'océan. Je m'imagine sur un bateau, lançant dans les flots les morceaux pourris de ma vie, sourire aux lèvres. Je m'endors sans même m'en rendre compte, bercé par l'agitation du zoo et la chaleur du soleil sur ma peau.

Lorsque je me réveille, je mets quelques secondes à me rappeler où je suis et je réalise que quelqu'un me secoue l'épaule. Killian m'observe l'air paniqué. Il s'assoit à côté de moi et me prend dans ses bras. Il sent la cigarette et son parfum sucré et rassurant.

— Putain Tim mais qu'est-ce que tu fous là ?! Je te cherche depuis hier soir bordel, souffle-t-il dans mon cou.

Ses bras tremblent contre mon dos et je sens son cœur battre fort et rapidement contre le mien. Je suis soulagé.

— Je suis désolé. Je pensais que tu voudrais jamais me revoir après le message que je t'ai laissé. C'était pas moi d'ailleurs, dis-je en reniflant.

— Ouais je sais, ta sœur a fini par me le dire. Je l'ai un peu harcelée toute la journée, avoue-t-il en me relâchant.

Son regard dégage une peur évidente.

— Tu ne m'en veux pas ?

Sa main encore tremblante caresse ma joue. Une douce sensation s'infiltre dans mon estomac lorsque je réalise que je ne dois pas sentir la rose. Je me recule.

— Je ne t'en veux pas mais ne me refais plus ce genre de truc ! Je sais pas gérer et... bordel j'ai eu peur !

Il m'enlace à nouveau mais je me recule et me lève du banc.

— Je suis tout dégueulasse, dis-je en grimaçant.

— Et alors ? Je m'en fous, tout ce qui compte c'est que je t'aie retrouvé. Je me suis inquiété pour toi et pour être honnête j'ai pas dormi de la nuit. Viens là, dit-il en me tendant la main.

Mon estomac se contracte, je recule d'un pas, me rendant soudain compte que je fais encore souffrir quelqu'un. Finalement Roger a peut-être raison, peut-être que je ne suis pas une bonne personne. Peut-être que je ne vaux pas qu'on s'inquiète pour moi. Peut-être que je mérite ce qui m'arrive finalement.

— Tu devrais rentrer chez toi Killian, dans ton joli quartier où tu trouveras certainement quelqu'un de mieux que moi. Je veux pas être une source de stress et de déception pour toi, dis-je en reculant encore.

— Quoi ?! Non, attends Tim !

Je me retourne avant de changer d'avis. Il m'appelle mais je l'ignore et cours à travers les allées du zoo, me rendant compte que le soleil s'approche doucement de l'horizon. Ce parc est un véritable labyrinthe mais je le connais comme ma poche et sème Killian assez rapidement. Je retrouve mon vélo et des larmes plein les yeux, je roule sans savoir où je vais. Je roule sans m'arrêter, jusqu'à ce que mes poumons crient au désespoir, jusqu'à ce que les premières étoiles s'allument dans le firmament.

J'ai le cœur au bord des lèvres tellement je pédale vite. Je veux m'éloigner le plus possible et ne plus jamais faire souffrir les gens. Je déçois toujours ceux à qui je tiens. Ma mère, qui doit avoir honte de moi. Ma sœur, qui sait que je suis un trouillard qui fuit devant les difficultés. Killian qui sera bien mieux sans un boulet comme moi. Je te souhaite une belle vie Killian ! La mienne est merdique et franchement pas enviable. Pourquoi est-ce que je suis encore sur cette terre bon sang ?!

Je m'arrête net après avoir avalé plusieurs kilomètres de bitume, constatant que j'ai roulé jusqu'à l'observatoire qui surplombe la ville. Ses trois dômes noirs virent à l'orange sous le ciel du soir. Je laisse mon vélo sur l'allée de bêton, sous un lampadaire aussi blanc que les murs de l'imposante bâtisse. Je grimpe les marches de l'escalier et monte sur la terrasse qui domine la ville. La vue est splendide et je me dis que partir à cet instant ne me ferait rien. C'est tellement beau. Tellement apaisant. Est-ce un bon jour pour mourir ?

Je me hisse sur le mur qui entoure la terrasse, écarte les bras et ferme les yeux. Perché au-dessus du vide, le vent souffle dans mes cheveux et semble vouloir m'aspirer, me soustraire à ce monde et m'emporter loin d'ici. Peut-être que ce serait bien, peut-être que je trouverais un autre monde, meilleur. Je lève un pied au-dessus du mur qui me sépare du reste du monde et m'imagine tomber jusque tout en bas, dans la végétation. Personne ne trouverait mon corps au pied de la colline. Je serais tranquille, soulagé et n'emmerderais plus personne. On ne me dirait plus de me taire, de faire comme si je n'existais pas, de me rabaisser pour ce que je suis ou de me demander d'être quelqu'un que je ne suis pas.

Le silence serait doux, apaisant. Je flotterais peut-être au milieu des étoiles, comme une comète dont la queue se verrait jusque sur terre, pour rappeler qu'un jour, Timothy Anderson a foulé cette planète de fous. Je pourrais visiter toutes les galaxies et nébuleuses que compte l'univers ou créer mon propre royaume, loin d'ici. Un rire nerveux s'échappe de mes lèvres.

Non, reviens à la réalité mon gars ! Tu ne sais rien construire, tu détruis tout et tout le monde sur ton passage. Ta famille, tes amis... Killian.

Je rouvre les yeux et m'assois sur le mur, les pieds dans le vide. A quoi je pensais bon sang ! Je ne suis même pas assez courageux, ni pour sauter, ni pour quitter les gens que j'aime pour leur bien. Je suis pathétique !

Je soupire et tente de réfléchir mais mon cerveau est empli de paroles, de mots qui se percutent les uns contre les autres. Les mots horribles, les mots rassurants et je ne sais pas lesquels gagnent la bataille à la fin. Mais un visage s'impose soudain. Le tien Killian. J'ai beau essayer d'ignorer ta présence dans mon esprit, tu es toujours là, comme un rappel de mon échec. J'ai fui alors que tu tentais de m'aider. La réalité est parfois crue mais je réalise que dans ce monde effréné et complètement fou, il y a quelqu'un qui s'est soucié de moi aujourd'hui. Je ne peux pas l'ignorer. Je ne peux plus t'ignorer Killian.

Assis devant l'immensité de la nuit, mon cœur s'affole soudain, je ne me sens plus vide. Et si l'univers t'avait mis sur ma route pour que je vive une seule nuit de plus ? Et demain et tous les autres jours du reste de ma vie ?

Je saute du mur, du bon côté. Sur la terrasse de l'observatoire, les mains dans les poches de mon short, je prends une décision, peut-être un peu folle. Poussé par une nouvelle envie, je cours aussi vite que je peux et retrouve mon vélo abandonné sur le bitume. Je l'enfourche et resserre les bretelles de mon sac à dos, un pied sur la pédale. Je pousse aussi fort que je peux, comme si ma vie en dépendait et je dévale la route qui mène au pied de la colline, heureux de ne pas y voir mon corps écrasé finalement.

Soudain je souris, je ris même. Je me moque de l'univers qui a encore essayé de me kidnapper.

— C'est pas cette nuit que tu m'auras ! crié-je en souriant aux étoiles.

Je pédale à m'en faire des crampes aux jambes. Je roule vite et dépasse les voitures qui se traînent et remonte une colline que je ne connais pas mais que je découvre avec joie. Les maisons y sont toutes plus grosses et imposantes les unes que les autres, tout comme les voitures garées dans la rue. Ici on cache sa fortune derrière d'immenses murs d'enceinte mais la taille des SUV ne trompe pas. Je ne suis pas du même monde mais pour une fois, je m'en fiche. Alors que je pousse mon vélo dans cette montée qui n'en finit pas, j'arrive enfin au numéro que je cherche, enfin je crois. Je ne vois même pas la maison, juste un immense portail en fer et une sonnette. Je ne suis pas sûr d'être au bon endroit mais le cœur battant, je sonne. 

❤❤❤

Hello,

Tim est de retour et on en sait un peu plus sur ce qu'il s'est passé. 

La suite samedi prochain ;)

Des bisous (* ̄3 ̄)╭❤

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top