Me guider sur le bon cap

1 086 jours avant...

🌵🌵🌵 TW

Killian

Je me lève et vais ouvrir à Alfred dont le visage transpire l'inquiétude.

— Il y a quelqu'un à la porte qui demande Timothy, dit-il avec retenue.

Mon cœur se serre et je crains la descente qui m'attend. Je ne veux pas savoir qui est à la porte mais j'ai ma petite idée et plus elle fait son chemin jusqu'à mon cerveau, plus la nausée me tord l'estomac. Lorsque je me retourne vers toi, je sais que tu as compris toi aussi. Ton visage est blême et ton sourire s'est fait la malle loin d'ici.

— Je vais aller le voir, dis-tu en remettant ton t-shirt correctement.

Je te retiens d'une main sur ton torse, incapable de te laisser franchir le pas de ma porte. 

Le tissu se froisse, ton sourire s'efface.

— Non, attends Tim. Je viens avec toi.

Tu secoues la tête de gauche à droite. Je lis de la peur dans ton regard, on dirait un petit chat perdu.

— Je suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Tu ne le connais pas. Tu ne sais pas de quoi il est capable.

— Peut-être que c'est pas lui, peut-être que c'est ta mère ou ta sœur, dis-je pour m'en convaincre moi-même.

Alfred se râcle la gorge et confirme qu'il s'agit d'un homme. La boule dans mon ventre grossit plus encore, écrasant mes organes déjà contractés.

— Tim, je veux pas que tu y ailles seul, je viens avec toi, dis-je en glissant ma main dans la tienne, ne te laissant pas le choix.

Tu la regardes et retires ta main, mordant ta lèvre si fort qu'elle vire au blanc.

— Reste en dehors de ça Killian, j'ai peur qu'il te fasse du mal.

Tu me pousses fermement contre la porte et me dépasse mais je te suis de près dans le couloir, pas question que je te lâche d'une semelle. Des éclats de voix montant depuis l'entrée, viennent confirmer mon angoisse. Celle de mon père et une que je ne connais pas mais que je crains s'affrontent à coups de mots incompréhensibles. Mon père se retourne en nous entendant et l'homme qui me fait face me dévisage comme si j'étais une abomination. Son visage anguleux et mal rasé transpire la haine et son regard me sonde de la tête aux pieds.

— Timothy, tu rentres à la maison ! T'as rien à foutre ici, crache l'homme que tu n'oses pas approcher.

Je tente un pas en avant mais mon père me retient d'une main ferme sur mon bras. Son regard ne permet aucune opposition, je le comprends très vite. Son ton confirme son désaccord et appuie là où ça fait mal.

— Il n'est pas majeur Killian, il doit rentrer chez lui et on ne peut pas s'y opposer, me dit-il le plus calmement possible.

Il sait que si je sens la moindre tension dans son ton, je risque de partir en vrille. Je ferme les yeux pour ne pas voir ceux de ton beau-père sur toi. J'entends sa voix, autoritaire, te demander d'aller chercher tes affaires sans que je ne puisse bouger. J'aurais préféré ne jamais l'entendre. Je suis soudain pris dans un lourd brouillard, englobé par une couche de haine et de mépris que je tente de ne pas entendre mais elle est partout hélas. J'ai envie de m'opposer, de frapper mais tout ce que je suis capable de faire c'est d'insulter cet homme qui vient t'arracher à moi. Les mots partent tous seuls, tranchants, crus, violents. Je fais ressortir mon pire côté, celui qui n'a aucune barrière, aucune limite, quand je suis submergé. Il ne faut pas me chercher.

Mon père me serre le bras et je m'enfuis dans le jardin pour ne pas te croiser dans l'escalier. Je ne peux pas te voir partir, t'imaginer à nouveau entre ses griffes. Assis par terre au milieu des orangers de ma mère, je réalise qu'à nouveau la situation me percute violemment. Je savais que cette montée d'adrénaline bienvenue et positive allait être suivie par une descente aux enfers aussi soudaine qu'abrupte. Le choc fait mal et me brise un peu plus que la dernière descente. Un jour je m'écraserai avec tant de violence que j'éclaterai en un millier de morceaux qui s'éparpilleront aux quatre vents et il ne restera de moi que des microparticules de poussière insignifiantes.

J'attends longtemps en observant le va et vient des insectes qui butinent les fleurs, espérant qu'à mon retour, tout ne soit qu'un mauvais rêve. Mais lorsque je reviens dans le salon, je croise le regard désolé de mon père et m'enfuis dans ma chambre puis dans la salle de bain. Je n'entends plus rien, je ne ressens que cette douleur sourde qui me brûle de l'intérieur. J'ai mal partout et me recroqueville au fond de la douche, mes mains sur mes oreilles pour ne pas entendre le claquement de la porte d'entrée et le moteur de la voiture qui s'en va. Je reste là longtemps et lorsque je commence à avoir froid, je sors de la pièce, me glissant sur mon lit. J'attrape mon oreiller et hume la douce odeur d'abricot que tu y as laissé. J'entends un miaulement et observe Twinkle se blottir contre moi. Tu es parti, sans lui. Sans pouvoir nous dire au revoir.

— Je te promets qu'il reviendra p'tit gars. Il ne peut pas nous abandonner hein ?

Bien sûr qu'il le pourrait. Il ne serait pas le premier. Cette pensée rouvre d'anciennes blessures qui se cachaient au fin fond de mon esprit tels de vieux fantômes. Je ferme les yeux pour ne pas revoir ces images, pour ne pas réentendre ces souvenirs. J'embrasse la tête de Twinkle et laisse les larmes courir le long de mes joues. Quelques minutes plus tard, on frappe à nouveau à ma porte. Mon père entre, une tristesse évidente sur le visage. Il s'assoit sur mon lit et me caresse l'épaule en signe de soutien.

— Je suis désolé Killian mais je ne pouvais rien faire. Je ne savais pas que Timothy était mineur. Tu aurais dû me le dire lorsqu'il est venu l'autre jour.

— Je n'y ai pas pensé, je suis désolé, dis-je en reniflant.

Il caresse mes cheveux puis lâche un soupir aussi long que la distance qu'il y a maintenant entre toi et moi.

— C'est moi qui suis désolé Killian. Je vois bien que tu tiens à lui, je me trompe ? dit-il en m'observant de ses yeux bleus.

— Tu as toujours su mieux que moi papa. Mais je crois que oui, je tiens à lui.

Il passe une main dans ses cheveux, l'air de réfléchir.

— On ne peut pas faire grand-chose malheureusement. Tu n'as plus qu'à attendre quelques mois, jusqu'à ce que Tim soit majeur et tout s'arrangera, tu verras.

Je me relève et prends Twinkle sur mes genoux.

— T'en sais rien papa... quelques mois c'est long, trop long. Tu ne sais pas de quoi son beau-père est capable !

Ma voix, qui ressemble plus à un cri de désespoir qu'à des paroles sensées, crispe ses traits.

— Killian, si cet homme est vraiment violent avec Tim, on ne peut rien faire hélas. C'est à lui de porter plainte.

Pourquoi c'est toujours la victime qui trinque dans ce genre de situation putain !?

— Il ne le fera pas. Il en a peur, tout comme sa mère et sa sœur.

— On trouvera une solution, d'accord ? Mais pour l'instant, on reste en dehors de ça et tu viens me parler si tu en as besoin. Tu ne restes pas seul d'accord ?

Je relève les yeux vers mon père et acquiesce sans broncher. Au fond je sais qu'il a raison, même si je ne veux pas entendre ses mots.

— Je ne serai pas à la maison ce soir, je rentre demain en fin de matinée, ça ira pour toi ?

— Ouais, j'irais chez Alicia s'il le faut.

Mon père me prend dans ses bras, Twinkle entre nous qui miaule comme un lion. Moi aussi j'ai envie d'hurler pour que tu reviennes.

— Je suis désolé Killian. J'aimerais être là ce soir mais je ne peux vraiment pas annuler cette séance malheureusement. Je fais au plus vite, je te le promets.

Je sens qu'il est sincère. Je ne lui en veux pas mais je crains cette soirée et j'espère qu'Alicia est libre ce soir. Mon père m'embrasse sur le front et après une caresse à Twinkle, il nous laisse seuls dans ma chambre.

Il y a une heure j'ai fait un serment avec toi et je suis incapable de tenir une promesse sans merder. Je suis lamentable Tim et je ne sais même pas pourquoi tu as voulu faire ce serment avec moi. Pourquoi t'as cru que j'étais cette personne sur qui tu pouvais compter ?! Pourquoi j'y ai cru moi-même ? Je me connais, moi et mes faiblesses qui chaque jour tentent de me terrasser.

Je m'empare de mon portable et t'envoie un message, même si je suis quasiment certain que ton beau-père te l'a confisqué. Je cherche mes mots, caressant Twinkle d'une main encore tremblante. J'ai soudain une révélation ; Twinkle, lui tu ne peux pas l'abandonner.

« Hey chasseur d'étoile. Twinkle te réclame, tu lui manques je crois. Je ferai attention à lui, je te le promets. »

J'envoie le message en espérant que tu le verras. Je me sens si vide, si fatigué, toute cette histoire a absorbé toute mon énergie. Je me glisse dans mon lit, Twinkle à mes côtés en soutien. Lorsque je me réveille quelques heures plus tard, j'ai une furieuse envie de cigarette. J'avais essayé de m'arrêter mais j'ai les nerfs en pelote et besoin de me détendre. J'attrape mon paquet sur le bureau et enjambe la fenêtre afin de m'asseoir sur le toit, mon regard plongeant sur la maison d'en face. J'aurais dû appeler Alicia, elle aurait su m'aider, elle sait toujours.

J'allume ma cigarette et accueille la brulure de la nicotine avec un certain soulagement. J'expire longuement, profitant du répit que m'offre cette drogue douce en libérant la dopamine dont j'ai besoin pour me sentir mieux. Putain d'addiction, si seulement c'était la seule. Je ferme les yeux en tirant une nouvelle bouffée lorsque j'entends mon prénom au loin.

Alicia me fait signe depuis son jardin, comme toujours depuis qu'on est petit.

— Il fait encore jour Kiki, qu'est-ce que tu chasses depuis tout là-haut ? crie-t-elle avec ce sourire à faire fondre la banquise, plaqué sur son visage.

— Ce que je vois dans les nuages ! Tu viens les regarder avec moi ? dis-je en m'allongeant sur les tuiles réchauffées par le soleil.

Quelques minutes plus tard, elle est étendue à côté de moi, sa tête sur mon torse, les yeux au ciel.

— Il bat super vite ton cœur, qu'est-ce qu'il essaie de me hurler que tu veux me cacher Kiki ?

Je soupire longuement, cigarette entre mes lèvres et regard fixé dans les couleurs qu'elle observe aussi. Elle me connait trop bien hélas, je ne peux pas faire semblant avec elle. Je n'ai jamais pu, elle a toujours su quand je lui cachais quelque chose. Surtout quand je lui volais du chocolat dans sa réserve secrète. Sa boîte à chaussures sous son lit en était toujours pleine, comme si elle la remplissait juste pour que je puisse en voler en venant chez elle.

— On me l'a encore brisé Ali, soufflé-je en glissant ma main dans la sienne.

— Oh Kiki, il n'est pas brisé puisque je l'entends battre. Dis-moi à qui je dois m'en prendre, j'aime pas te voir comme ça.

— Timothy a dû rentrer chez lui contre son gré et je me sens hyper mal, parce que j'ai pas pu le retenir ici alors que je le lui avais promis. Je sais pas quoi faire.

Je lui raconte plus en détail toute l'histoire, sachant qu'elle m'écoutera sans me juger, parce qu'elle est comme ça depuis que je la connais. Alicia c'est le parachute de notre duo et moi... celui qui saute sans vraiment réfléchir. Mon impulsivité me perdra un jour.

Elle se relève sur un coude et repousse une mèche de cheveux sur mon front.

— Killian, ce n'est pas de ta faute et je suis certain que ton père et toi trouverez une solution. Tu aimerais qu'on fasse une soirée Netflix, popcorn et crèmes glacées ?

Je me tourne vers elle et acquiesce. C'est exactement ce qu'il me fallait. Une soirée juste elle et moi, comme pendant notre adolescence. Ça me rappelle qu'elle était la seule à qui je pouvais me confier à cette époque où tout allait mal, où je repoussais tout le monde, même mon père. Si aujourd'hui nous sommes très proches lui et moi, il fut un temps où on se détestait, où on ne savait pas comment communiquer, comment se parler sans se faire mal. Alicia a été la traductrice de nos mots autant que de nos maux et a certainement sauvé notre relation.

J'avais perdu ma mère et lui sa femme. Nous partagions la même peine et si en apparence notre souffrance était similaire, nous avons vécu cette tragédie chacun à notre manière. Mon père en se plongeant corps et âme dans son travail, moi beaucoup moins bien. J'ai tout essayé pour amoindrir cette douleur insupportable mais comme son nom l'indique, je ne la supportais plus. J'ai fini par trouver un moyen de ne plus rien ressentir, un moyen de me détacher de ce qui me brisait à petit feu. Aujourd'hui encore je tente de me battre chaque jour contre mes démons mais ils sont trop forts, trop nombreux pour que je sois en paix.

J'ai beau faire tout ce que je peux, j'ai toujours l'impression de me noyer et de m'enfoncer dans les abysses chaque jour un peu plus. Avec Tim, j'ai cru entrevoir un espoir, une petite lumière briller à la surface, loin de ce trou noir infini. J'avais l'impression de pouvoir remonter un peu vers la lumière, de pouvoir retrouver un peu d'air et de calme dans ma vie. Mais la tempête n'est jamais loin et aujourd'hui le phare s'est à nouveau éteint et je suis plus perdu que jamais. Tu m'as abandonné sur l'ile de mes démons, seul. Je sais que je suis lâche de tout te mettre sur le dos, que tu n'es dans ma vie que depuis cinq minutes à peine aux yeux de l'univers mais je ne sais déjà plus comment faire sans toi Tim.

Depuis le chambranle de la porte, Alicia me supplie de la suivre et je m'accroche à elle comme à une ancre parce que j'ai perdu mon phare dans la tempête. J'espère qu'elle ne durera pas et que je retrouverais bientôt l'étincelle rassurante de tes yeux pour me guider sur le bon cap.

❤❤❤

Hello vous,

J'espère que vous allez bien et que ce chapitre vous a plu malgré les évènements ?

Comment va réagir Timothy ?

On le saura samedi prochain...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top