La promesse silencieuse


1 076 jours avant...

🌻🌻🌻

Timothy

Roger est aussi lunatique et instable que la Lune elle-même. S'il ne voulait plus me voir dans sa maison il y a un mois, aujourd'hui je n'ai plus le droit d'en sortir. Ça fait dix jours qu'il est venu me chercher chez Killian et depuis, je suis devenu son esclave. Je n'en peux plus. Il prend un malin plaisir à me torturer l'esprit chaque jour que je dois vivre sous son toit. Ma mère n'ose plus croiser mon regard et la seule qui me soutienne dans cette maison c'est Rosie. Je dors dans sa chambre parce que j'ai peur de ce que Roger pourrait me faire. Depuis qu'il sait que je suis homosexuel, j'ai l'impression que son regard sur moi a changé et même s'il n'a rien montré jusqu'ici, j'ai peur de ce que je vois au fond de ses yeux quand il a bu.

Je ne l'ai jamais vu violent, ni avec ma mère, ni avec moi ou Rosie mais depuis quelques temps, la bouteille est devenue sa meilleure amie et son comportement a quelque peu changé. Je n'ai plus aucune confiance en lui. J'aimerais que Jackson soit là, il saurait quoi faire lui en tant qu'aîné de la famille, mais il n'y a que Rosie et moi malheureusement. Ma sœur lit, allongée sur sa couette, tandis que je gratte ma guitare en observant ses yeux balayer le papier. Son regard à elle aussi a changé, elle a grandi bien plus vite ces derniers jours que depuis bien longtemps. Elle n'est plus la petite fille effrayée par les goélands sur la plage, elle est devenue courageuse, par obligation. Du haut de ses dix-sept ans, elle ressemble de plus en plus à notre père et lorsqu'elle a tenu tête à Roger hier soir, j'ai cru le voir un instant dans ses pupilles.

Rosie est silencieuse depuis de longues minutes, accaparée par Gabriel et Raphaël, les héros de sa romance, mais elle me sort soudain de mes pensées en chuchotant.

— Toi aussi tu vas me quitter ?

Je relève les yeux de mes cordes et l'observe. Son regard déborde de tristesse humide.

— J'en n'ai pas envie Rosie mais si Roger continue à me persécuter, je vais pas le supporter bien longtemps. J'ai pas de solution pour l'instant mais j'y pense de plus en plus souvent c'est vrai. Mais ça ne veut pas dire que je vais t'abandonner.

Sa main attrape la mienne tout comme son regard attire le mien tel un aimant puissant.

— J'ai pas envie que tu partes Tim, je vais me retrouver toute seule avec maman et Roger et ça me fiche la trouille putain !

— Rosie arrête de jurer, c'est pas joli dans la bouche d'une fille.

— J'en ai rien à foutre que ce qui sorte de ma bouche ne soit pas joli, dit-elle en me tirant la langue.

Je secoue la tête de gauche à droite en souriant. Le même caractère que notre père.

— Papa serait fier de toi, dis-je soudain.

Ses grands yeux s'écarquillent plus encore. Un immense sourire barre son visage.

— Tu penses vraiment ce que tu dis ?

— Bien sûr que je le pense. Il adorerait voir quelle femme têtue et bornée tu es maintenant.

— Ta gueule ! Je suis pas bornée !

Elle éclate de rire et me lance son livre à la tête.

— Aïe ! Je plaisantais. Il serait fier de voir que tu as de bons résultats et que tu saches exactement ce que tu veux faire de ta vie, pas comme moi, dis-je en baissant les yeux.

Elle me prend dans ses bras et m'embrasse la tempe.

— C'est pas parce que tu ne vas pas à l'université que tu as raté ta vie Tim. Tu trouveras ta voie toi aussi. Et je suis sûre que papa serait fier de toi. T'es mon grand frère, c'est déjà pas mal, non ?

Mais est-ce que je suis un bon grand frère ? Est-ce que je lui montre le bon exemple ? J'en sais rien mais j'espère ne pas la décevoir. Pour l'instant on passe la soirée tous les deux et c'est tout ce que je demande. Un peu de calme afin de réfléchir à mon avenir.

Le lendemain après une nuit plutôt agitée passée sur le canapé-lit de Rosie, je suis de corvée de course avec ma mère. L'ambiance est plutôt tendue entre nous depuis quelques jours. Elle est silencieuse, ce qui n'est pas dans ses habitudes mais je ne l'aide pas vraiment en restant moi aussi muet comme une carpe. Je ne sais pas comment aborder la situation entre Roger et moi. Je crois qu'elle ne sait pas non plus comment me parler alors elle se contente de me sourire tendrement sans pouvoir avouer ce qui encombre son cœur.

Tenant la liste de course, elle m'envoie chercher quelques articles dans un rayon différent. Je suis à la recherche d'une épice que je ne connais pas, lorsque j'entends une voix familière dans mon dos.

— Timothy, c'est bien vous ?

Je me retourne et fais face à Anna la gouvernante de Killian, sourire aux lèvres.

— Bonjour Anna, comment allez-vous ?

Elle fait un pas dans ma direction, poussant son charriot rempli de provisions.

— Je vais bien merci et vous ? demande-t-elle un peu gênée.

Je me gratte la nuque, embarrassé à mon tour.

— C'est pas la grande joie mais merci de vous inquiéter pour moi.

Elle se rapproche encore et me glisse un mot à l'oreille et lorsque mon regard croise le marron de ses yeux, j'y lis de la tristesse.

— Il ne parle que de vous et il m'inquiète vraiment. Il ne sort quasiment plus de sa chambre, même pas pour manger. Son père ne sait plus quoi faire pour l'aider. Killian va mal, dit-elle en me prenant soudain le poignet.

Mon cœur se serre en sachant que tu vas mal. Killian bon sang, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

— Je n'ai plus de téléphone mais est-ce que vous pouvez lui transmettre un message de ma part ?

— Oui bien sûr, ça lui fera plaisir.

J'ai à peine le temps de lui dire tout ce que j'ai sur le cœur qu'Anna s'enfuit lorsqu'elle entend ma mère m'appeler mais son regard me transmet une lueur d'espoir. J'ai soudain une idée et me dépêche de finir les courses avec ma mère. Le chemin du retour se fait dans le silence, semblable à celui de ces derniers jours entre nous. J'ai l'impression de la perdre. Ma mère ne sait plus quoi me dire et d'un côté je la comprends mais le fait qu'elle m'ignore, commence à me peser.

Je l'aide à ranger les courses dans la cuisine et romps ce silence insupportable entre nous.

— Maman ?

— Mhh, marmonne-t-elle en refermant le frigo.

— Est-ce que je peux aller à ma leçon de guitare ce soir ?

Elle croise mon regard puis sa main caresse ma joue avec tendresse. La seule qu'elle ose encore me donner.

— Je pense que ça doit pouvoir se faire mais tu rentres juste après, d'accord ? C'est à quelle heure déjà ?

— A vingt heures mais ce soir il y a une chanteuse qui vient nous faire une démonstration, je crois que ça fini plus tard, vers vingt-deux heures trente.

Je crois les doigts pour qu'elle y croit mais ma mère est tellement déconnectée de la réalité ces temps-ci qu'elle ne remarque rien d'anormal à mon mensonge.

— C'est d'accord, je préviendrais Roger. Il peut t'y emmener si tu veux.

Merde, non !

— Euh, c'est pas la peine, on y va en vélo avec Samantha. On s'était organisé la semaine dernière et comme je n'ai plus de téléphone, je peux pas la prévenir !

Ma mère soupire mais accepte, ayant apparemment oublié que nous avons un téléphone fixe mais je ne relève pas. Je n'entends pas la suite, trop excité pour l'écouter et n'attends plus que l'heure de partir à ma leçon de guitare. Samantha est une amie que j'ai depuis le lycée et avec qui j'ai découvert cet instrument, elle continue de me soutenir dans mon apprentissage même si je suis moins doué qu'elle.

Je suis tellement tendu et stressé en partant, que j'en oublie de prendre mon instrument, heureusement que Rosie est là pour me couvrir. Vingt minutes avant l'heure, j'enfourche mon vélo et file sur le bitume aussi vite que je peux, guitare sur le dos. Je me rapproche de Pasadena, cherchant le café dans lequel quelqu'un devrait normalement m'attendre.

Quand j'entre dans l'établissement, la musique et les conversations emplissent l'espace, me changeant du silence qui plombe la maison depuis quelques jours. L'odeur du café et du chocolat me détend un peu, le stress s'en va lorsque je cherche du regard des cheveux bruns en bataille ou un regard ambré que je trouve avec joie au fond du café. Tu portes une chemise bleue ouverte sur ton torse sur lequel pend un collier en or et lorsque je croise ton regard, ton sourire s'illumine. Tu es sublime et en réponse à ton sourire, mon cœur accélère comme pour me pousser à te retrouver.

Je n'hésite pas et m'assois en face de toi sur la banquette en cuir, glissant l'étui de ma guitare sous la table.

— Tu joues de la guitare ? me demandes-tu en tapotant du bout des doigts sur le panneau de bois.

— Ouais mais pas très bien. Ma sœur me dit que je suis doué mais j'ai pas confiance en elle sur ce coup.

— Je suis sûr que tu te sous-estimes.

Ton regard me dévisage et si ton sourire est là, l'étincelle de joie dans tes yeux semble s'être absentée ce soir.

— Non, je te jure, je suis plutôt nul. Enfin bref, comment tu vas Killian ? dis-je d'une voix non assurée.

Parce que j'ai peur de savoir. Peur que tu me dises que tu ne veux plus me voir. J'ai l'estomac noué lorsque tu t'appuies contre la banquette, jouant avec ton zippo tout en évitant mon regard.

— Pas vraiment bien et ne pas avoir de nouvelles de toi, ça n'aide pas.

Je respire, à moitié seulement. Ta voix trahit tes émotions et dans mon esprit c'est le chaos.

— Je sais, j'aime pas ça non plus. Je suis désolé mais Roger m'a pris mon téléphone et celui de Rosie aussi et je n'ai pas le droit de quitter la maison. Sauf pour m'instruire, c'est la seule condition acceptable pour lui. Tu sais, c'est pas facile pour moi non plus, mon chat me manque, dis-je rien que pour revoir un sourire sur ton visage qui s'est à nouveau fermé.

Tu m'observes, souriant à nouveau et joues le jeu.

— Twinkle va bien, c'est un vrai pot de colle, je crois bien qu'il m'adore.

— Je peux même pas lui en vouloir mais je suis... un peu jaloux de lui, qu'il soit près de toi et pas moi.

Tu m'observes puis poses ta main au milieu de la table. Sans réfléchir, ma main vient la surplomber, comme une couverture chaude en hiver. Je glisse mes doigts entre les tiens, je me sens mieux.

— C'est vrai ? Toi aussi tu me manques Tim, bien plus que ce que je pensais avant que je ne te voie ce soir. T'imagines pas ce qui se passe dans ma tête. C'est le bordel et je sais pas quoi faire pour calmer mes pensées. Je dors mal et je me suis engueulé avec mon père.

— A propos de moi ? demandé-je en appréhendant ta réponse.

Je ne veux pas que tu perdes ton père et je ne veux surtout pas en être responsable.

— Oui et non. J'ai pas très bien supporté ton départ et mon père n'a pas trop su comment gérer la crise qui a suivi. On a d'abord discuté calmement lui et moi mais le lendemain, il m'a demandé de ne pas trop espérer, j'ai pas voulu accepter ses paroles. J'arrivais pas à imaginer ne plus te voir, le ton est monté entre nous. Je lui ai dit des choses que je regrette maintenant, dis-tu en baissant la tête.

— Je suis sûr que ça va s'arranger, ton père a l'air d'être quelqu'un de compréhensif.

— Ouais, il l'est mais j'ai vraiment pas été sympa avec lui. Je m'en veux.

Un serveur vient prendre notre commande et s'éclipse aussitôt. Tu restes muet quelques instants, le regard à travers la vitre du café, comme si tu y cherchais des réponses, puis soudain, ton regard plonge dans le mien si profondément que j'ai l'impression que tu tentes de lire en moi.

— J'ai plus que lui Tim, je peux pas le perdre lui aussi. Lui et... toi. Je sais c'est fou, un peu précipité peut-être mais putain je peux plus faire semblant.

Tu te mords la lèvre et moi je panique à l'idée d'entendre la suite. Je ne peux plus respirer, comme si tu bloquais mes poumons en gardant tes pensées pour toi.

— Faire semblant... de quoi Killian ?

Ta main serre la mienne sur la table, écrasant mon cœur dans ma poitrine.

— Je suis pas doué pour parler de ce genre de choses, je fais ça même très mal mais je crois que mon cœur t'a fait une place spéciale, juste là, dis-tu en posant ta main à plat sur ton torse.

Mon rythme cardiaque atteint des sommets et j'ai toujours plus de mal à respirer tout à coup. Je suis pas certain de bien comprendre ce que tu viens de me dire.

— Killian, t'essaies de me dire quoi exactement ? Je suis un peu paumé là.

— Tu vois, je t'ai dit que je faisais ça très mal. Cazzo* Tim ! ne me demande pas de te le répéter, j'ai beaucoup de mal à dire ce genre de choses à voix haute. Dis-moi que t'as compris, je t'en supplie.

Quand tu jures en italien, je sais que c'est le moment de me lancer pour te sauver.

— Est-ce que comme moi, tu aurais des sentiments très forts à mon égard ? Est-ce que comme moi, ton cœur fait n'importe quoi en ce moment ? Est-ce que comme moi, tu te sens entier seulement quand on est ensemble ?

Tu hoches la tête, souris aussi niaisement que moi et rougis comme une tomate trop mûre. J'ai l'impression de sauter d'une falaise sans parachute, je sais pas comment je vais atterrir mais je sais que tout se passera bien. Pourquoi ?

Parce que désormais, il y a toi et moi et qu'ensemble on forme quelque chose de fort, de rassurant. Un nous que je protégerai de toutes mes forces. Un nous que personne ne pourra jamais détruire. Je t'en fais la promesse silencieuse mais néanmoins sérieuse.

*Cazzo / Merde

❤❤❤

Hello vous,

J'espère que vous allez bien et que ce chapitre vous a plu ? 

On se retrouve la semaine prochaine pour la suite ? 

Je vous fais des bisous...

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