Chapitre 7 - Archibald

Ambrose entre dans l'atelier d'Archibald. Le sol brut en béton est couvert de toiles et de draps pour protéger des éclaboussures de peinture, les chevalets sont usés et les pinceaux collés dans un coin, les toiles s'empilent contre un mur. L'odeur de térébenthine remplit les lieux. Une baie vitrée en guise du mur donne plein Sud, le soleil empli la pièce, lumière blanche, crue, presque aveuglante.

Archibald conduit le jeune homme en plein soleil, devant les chevalets, gardant la tête baissée sur ses mains tâchées de peinture. Des mains épaisses et rugueuses, héritées de ses origines prolétariennes.

« Je m'installe ici ?

Il s'agit plus d'une affirmation que d'une question mais Ambrose, comme à son habitude cherche à engager la conversation. Sans le regarder, Archibald acquiesce. Il n'ose pas lever les yeux sur lui. Depuis qu'il a rencontré le garçon, il a rouvert son vieil atelier, dans lequel il n'avait pas mis les pieds depuis des années. Il fourmille d'idées et celle dont il est le plus satisfait, est d'avoir demandé à Ambrose de lui servir de modèle. Comme s'il n'ose pas le regarder sans se passer du prétexte artistique, il aura une raison pour le dévisager.

Sous la verrière, le soleil chauffe rapidement le modèle qui commence à ôter sa chemise. Il ne porte pas grand-chose de plus, un short de lin court et des mocassins de daim, aussi ne voit-il pas l'utilité de les garder.

« Je peux tout enlever ?

A nouveau Archibald ne répond pas. Sa gorge se sert, son cœur cogne dans sa poitrine. Il taille ses crayons, mélange ses peintures et installe ses toiles. Ambrose ne pose pas encore, Archibald n'est pas prêt à peindre et il ne parvient pas à lui parler ni à le regarder. Il est encore son invité, celui qui s'occupe de son jardin et qui l'intimide trop pour converser. Ambrose prend son silence pour un acquiescement et se déshabille rapidement. Nu, il respire la simplicité. Aucune autre tenue ne lui sied aussi bien et il n'éprouve aucune gêne. Il est tellement à l'aise, qu'il n'imagine pas l'embarras dans lequel sa nudité plonge son hôte. Ce dernier ne souhaitait que le peindre, sans imaginer que son modèle se dénuderait. Le voilà pris à son propre piège. Ambrose baigne dans la lumière aveuglante du soleil, qui dévoile la poussière en suspension autour de lui. Arrosé par cette pluie d'or, il se transforme en une nouvelle Léda obsédante.

« Je ne savais pas que vous peignez autant.

Le jeune homme rompt le silence et embrasse du regard l'atelier et les nombreuses toiles peintes.

- Ce sont des anciennes toiles. Mais je peignais beaucoup avant. Je voulais en faire mon métier.

- Avant ?

- Avant de rencontrer Lauren, de l'épouser. C'était ce que je faisais. Peindre.

- Pourquoi avez-vous arrêté ?

Archibald sourit en baissant la tête. Il se souvient de cette époque, où ils vivaient avec sa femme, dans un minuscule studio qui lui servait aussi d'atelier. A l'abri derrière sa toile, il ose se laisser aller à des confidences.

« Quand son père a appris que nous nous étions mariés sans le prévenir, il est devenu fou de rage. Il aurait pu me faire tuer.

Devant l'expression de surprise d'Ambrose, Archibald se met à rire.

« Je plaisante – il semble soudain soucieux – enfin j'espère. Mais il était – un moment de silence – il est si riche et si influent. Je crois, je sais qu'il me faisait peur – son regard se perd dans le vide – et toutes ses menaces sur comment subvenir aux besoins de ma famille, sur mon talent – un sourire triste – mon absence de talent qui ne pourrait jamais nous faire vivre. Lauren était tellement anticonformiste, elle reniait totalement sa famille et m'a encouragé jusqu'au bout. Elle m'admirait à l'époque – il pousse un soupir plein de regret – mais ça n'était pas suffisant, pas pour moi en tout cas. Et quand elle est tombée enceinte de Lysandre, très tôt, je n'ai plus supporté de continuer la voir prendre en charge notre ménage.

« Je suis allé voir son père. Je lui ai appris que sa fille était enceinte et que j'étais prêt à abandonner la peinture, à travailler pour lui. Je ne voulais qu'un poste en bas de l'échelle, pour ne pas lui être trop redevable. Mais de façon perverse, pour me montrer tout ce que je lui devais, ou pour pouvoir me surveiller, il m'a introduit très rapidement dans les conseils d'administration de ses banques, de ses laboratoires...

Archibald redevient silencieux, ses pensées perdues dans le fil du temps.

« Et vous avez arrêtez de peindre.

- Je ne le faisais plus qu'en vacances, trop peu souvent et sans jamais rien finir. Puis petit à petit l'envie m'est passée.

Un ange passe.

« Comment dois-je m'installer ?

Le modèle se contorsionne sur son trépied. Le peintre tente de lui donner quelques explications mais bredouille, se perd.

« Plus haut le genou... tourne moi plus le dos...

Incapable de traduire sa pensée, Archibald finit par quitter le rempart de sa toile et s'approche de son modèle. Nerveux, il tente de le positionner comme il l'imagine pour sa toile. Mais sans le toucher la tâche est ardue. En soupirant profondément, il finit par s'agenouiller devant son modèle et prend son pied pour lui relever la jambe. Son cœur bat à tout rompre, résonnant à ses tempes. Il pose ses deux mains sur le pied de son modèle, comme on le fait autour du visage d'une femme qu'on aime passionnément. Ses doigts tremblent irrépressiblement. Relèves-toi ! Ressaisis-toi ! Mais rien, son corps refuse de lui obéir et il reste agenouillé devant d'Ambrose, tétanisé, le souffle coupé. Il retient un sanglot, la gorge tellement nouée qu'elle en est douloureuse. Ses lèvres se posent doucement sur les orteils d'Ambrose et entrouvertes, elles laissent échapper un soupir douloureux.

« Et mes chevilles, vous les aimez mes chevilles ? Murmure le modèle.

Archibald relève la tête et regarde le jeune homme sans comprendre. Ambrose sourit.

« Le Mépris, Bardot... vous connaissez ?

Dans un mouvement de recul, Archibald baisse les yeux. Il bafouille

« C'est étrange que tu cites ce film. Je ne m'attendais pas à ce que tu le connaisses.

Il tourne la tête et achève dans un murmure :

« C'est l'un des préférés de ma femme.

Ambrose glisse lentement de son trépied pour s'agenouiller face à lui. Archibald pose sa main sur sa joue, son pouce sur ses lèvres. Ses doigts tremblent. Ils laissent sur la peau du garçon des traces de la peinture. Le modèle se love contre le peintre, comme un chat, mais Archibald n'ose pas refermer ses bras, qui restent en suspension, effrayés par le corps si nu, si proche. Il sent à travers ses vêtements la chaleur de la peau de son jeune invité. Celui-ci cherche ses lèvres mais le peintre se détourne, embarrassé. Archibald sent une tempête grandir dans son esprit, tiraillé entre son désir et les barrières qu'il se fixe lui-même. L'âge et le sexe de l'objet de son obsession, ce qu'il risque de perde, les personnes qu'il va faire souffrir, sont autant d'obstacles auxquels sa morale ne peut échapper. Cette confusion des sentiments, qui met son esprit et son cœur à mal finit par s'extérioriser en éclat de larme. Secoué par les sanglots, Archibald s'écroule devant Ambrose.

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