Chapitre 2 - Lauren
Lauren soupire devant la glace et ses doigts effleurent les pates d'oie sur ses tempes et les plis à la commissure de ses lèvres. Depuis toujours, elle était habituée aux louanges sur sa beauté et elle n'a pas fait attention aux effets du temps s'installant progressivement. Les compliments n'ont jamais cessés mais depuis quelques années, elle ne voit plus que ces minuscules sillons sur sa peau. De rage, elle retourne brutalement le miroir pivotant pour ne plus affronter son reflet. Elle noue une ceinture de soie pourpre sur sa robe blanche aux imprimés fleuris. Ne sachant comment se coiffer, elle décide d'emprunter son borsalino à Archibald. Au moment où elle saisit le couvre-chef, elle réalise que ce geste plein de souvenir et de complicité est devenu une terrible habitude pour elle, à laquelle elle ne prend même plus garde. Au moment de leur rencontre, elle adorait emprunter ses chemises et ses chapeaux à celui qui n'était pas encore son mari. Elle se glissait avec délice dans les vêtements imprégnés de son odeur, si grands qu'elle flottait dedans. Elle s'amusait de faire hurler de rage ses parents et ses sœurs, grands bourgeois qui ne supportaient pas le moindre écart, qu'il soit comportemental ou vestimentaire. Mais aujourd'hui, s'il lui prenait l'envie d'enfiler une chemise d'Archibald, c'est lui qui lui en ferait le reproche. Elle soupire pesamment et songe comment sa famille a si bien su broyer l'homme qu'elle a épousé. C'est ma faute, pense-t-elle, si Archi a abandonné tous ses rêves et toutes ses illusions, pour se faire accepter par ma famille, pour pouvoir rentrer dans ce clan à l'esprit si étriqué et aux normes bien établies. Est-ce parce qu'il m'en veut de ce moule dans lequel je l'ai indirectement poussé que nos relations sont ce qu'elles sont aujourd'hui ? Ou est-ce ma déception de l'avoir vu se conforter si rapidement aux attentes de ma famille ?
Qu'importe la réponse, Lauren ne peut qu'admettre que son couple ressemblait enfin à celui de ses parents, à ceux de ses sœurs, qu'elle avait si souvent décriés. Comme elles ont du jubiler de nous voir devenir comme elles.
Elle secoue la tête pour chasser ses idées noires, comme elle l'aurait fait pour chasser un insecte. Son rendez-vous n'allait pas attendre que son spleen s'évanouisse. Rapidement elle descend les escaliers et traverse le salon.
« Lauren !
Le bruit d'une chaise traînée au sol la stoppe dans son élan et elle se retourne pour voir son époux se lever de sa chaise. Elle ne l'avait même pas vu en entrant dans la pièce. Je n'ai même pas cherché à savoir où il était. Elle coupe court à sa réflexion, refusant de se perdre à nouveau dans la mélancolie. Archibald tient un livre dans une main, refermé sur un doigt. Même dans la pénombre, elle devine son trouble. Que lui arrive-t-il ? Ses yeux luisent d'une fièvre qu'elle ne lui connait plus et tout son corps tremble, tendu comme en équilibre sur un fil. Lauren doit s'avouer qu'elle le trouve toujours aussi beau, que chez lui les marques de l'âge ne renforcent que plus l'attraction qu'il dégage. Mais cette beauté ne suffit plus pour qu'elle se sente attirée par lui et plutôt que de chercher à comprendre ce qui l'agite, elle s'en tient aux banalités.
« Je vais en ville, tu as besoin de quelque chose ?
Archibald retombe aussitôt sur sa chaise, bredouillant quelques mots incompréhensibles. Elle n'attendait pas, ne souhaitait pas de réponse et sort rapidement de la maison. La lumière du soleil l'aveugle quelques secondes puis elle se rend dans la remise, chercher une des vieilles bicyclettes qui ne servent que l'été.
La maison de Marleen donne sur une place entièrement pavée, où s'est installé le marché. De nombreux étals se sont dressés sous les marronniers centenaires. Habituellement d'un calme d'église, la petite place fourmille de monde. Les passants traînent entre les allées du marché, s'installent aux terrasses des cafés qui encerclent les lieux. Le crépi ocre de la maison de la vieille domestique disparait petit à petit et des fissures lézardent les murs. La peinture verte s'écaille également sur les hautes persiennes.
Lauren se fraie un chemin au milieu de la foule, garde la tête baissée pour ne pas être reconnue. Elle traverse la place, pose son vélo contre le mur et se rue sur la porte d'entrée dont elle sait trouver la clef sous un pot de géranium. Le cœur battant, elle referme précipitamment la porte derrière elle. Une odeur de cire et de renfermé embaume le hall d'entrée et le carrelage luit de propreté. Lauren monte directement à l'étage, dans la chambre d'Ambrose.
Les courses et son travail à la maison vont tenir Marleen loin de chez elle au moins jusqu'à la fin de la journée. Quant à son petit-fils, il rentrera directement chez lui et à présent, il ne devrait plus tarder.
En attendant, Lauren fait les cents pas. Que peut-il bien être en train de faire ? Lauren est certaine d'avoir vu le garçon prendre son vélo juste après elle pour la suivre. Il devrait déjà l'avoir rejoint. Le parquet grince en même temps que claquent ses talons. Fenêtres et persiennes sont fermées mais les bruits du marché emplissent la chambre d'Ambrose. La lumière parvient dans la pièce sous forme d'une multitude de rais horizontaux qui découpent l'obscurité. Le lit simple semble minuscule dans la chambre aux proportions impressionnantes – le plafond doit bien être à trois mètres cinquante de hauteur. Avec une chaise en bois qui sert de table de nuit, il n'y a pas d'autre meuble. Comme à l'extérieur, la peinture s'écaille et les murs se fissurent.
En tremblant, Lauren s'assied au bord du matelas, presque en équilibre, comme si elle n'osait pas s'installer et pose le borsalino d'Archibald sur la chaise. Son cœur bat la chamade, autant d'excitation que parce qu'elle s'énerve d'attendre Ambrose. Le lit n'est pas fait et les draps sont pliés en boule au pied du matelas ; celui-ci a pris la forme du corps de son occupant et Lauren pose sa tête dans le creux formé. Elle inspire profondément pour s'enivrer de l'odeur du garçon qui couvre tous les draps. Ambrose à laissé trainer quelques sous-vêtements par terre. Tremblante, Lauren se laisse glisser sur le parquet et les saisit. Elle n'ose pas les porter à son visage et réprime un sanglot. Qu'est ce que je suis en train de faire ? Elle perd un peu son sang-froid quand elle réalise qu'elle se tient à genoux, dans une chambre quasiment vide, serrant sur son cœur les sous-vêtements d'un garçon, à peine plus âgé que son fils. Tout dans cette pièce devrait la révulser, la faire fuir. Les vieilles baskets trouées qui trainent par terre, les vêtements au pieds du lit. La pièce est dramatiquement vide et le peu d'affaires qui s'y trouvent ne sont pas rangées ; rien n'est propre. Mais tout ça la rapproche d'Ambrose plus que toutes les conversations, plus que tous les moments passés ensemble, plus que tout ce qu'ils peuvent faire à deux. L'odeur des vêtements portés la chavire plus qu'elle ne veut l'avouer. Balayant le parquet de son bras, elle réuni le tas de sous-vêtement, qu'elle presse contre son sein puis les lâche précipitamment pour se relever et saisir un tee-shirt jeté sur le dos de la chaise. Elle y enfouit sa tête avant de se jeter comme une folle sur le lit. Le claquement de la porte d'entrée au rez-de-chaussée la tire de sa crise de nerf et comme un enfant pris en pleine faute elle se redresse et s'éloigne du lit. Enfin ! En reniflant, elle lisse ses cheveux en arrière et tire sur sa robe pour la défroisser. Le cœur battant, elle écoute les pas monter bruyamment les escaliers et la porte de la chambre s'ouvre. Ambrose s'arrête net à l'entrée de sa chambre en la découvrant. Avec des gestes lents, il entre dans la pièce et referme la porte derrière lui. Aussitôt, Lauren se jette à son cou et l'embrasse à perdre haleine.
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