Chapitre 10 - Derek
Derek marche difficilement sous le soleil en plein zénith. Le ciel qui le surplombe est d'un blanc grisâtre tant il fait chaud. Autour du chemin de poussière qu'il longe, les champs sont couverts de blés secs et cassants. Seul un arbre s'élève au milieu du champ, mais le soleil se tient si droit au-dessus de lui que ses branches sèches ne projettent aucune ombre. Parce qu'elle s'est moqué de lui quand ils traînaient ensemble dans les rues du village, Derek a refusé de rentrer en voiture avec sa sœur. A présent il réalise qu'il n'avait aucune idée d'à quel point leur maison était isolée. Lysandre avait ri de l'attention qu'il avait porté à s'habiller pour aller faire un tour dans le centre ville, une place pavée à peine plus grande que notre jardin avec un PMU et une librairie autour. Sa sœur exagérait et le petit village ne manquait ni de charme ni de commerces mais Derek admet dans son for intérieur, s'être exagérément habillé. A présent, il regrette son pantalon et sa chemise à manches longues.
Le sac rempli de livres lourds tire douloureusement sur son épaule et cela fait déjà plusieurs fois qu'il change de main pour le porter. Il le pose un instant à terre et s'essuie le front du revers de la main. Il ferme les yeux un instant puis un bruit de mécanique rouillée attire son attention. Il aperçoit sa mère à une dizaine de mètres, qui descend le chemin à bicyclette. Son vélo soulève un nuage de poussière et maladroitement, elle tente de retenir sa robe légère que la vitesse remonte jusqu'à sa taille en même temps que le borsalino qui lui couvre la tête. Comme elle est ridicule avec ses robes fleuries d'écolière et le couvre chef de papa. Derek se surprend d'être aussi dur envers elle mais ses mots sont calqués sur ceux de Lysandre, qui a passé la matinée à critiquer leur mère. A qui veut-elle faire croire que cette formidable complicité qui les a unis, elle et papa, existe toujours ? ça n'est pas en lui empruntant un chapeau qu'elle y réussira en tout cas.
Lauren arrive à la hauteur de son fils et lui adresse un timide sourire, un sourire faux pense aussitôt le jeune homme qui ne prend pas la peine de lui retourner son sourire. Penses-tu qu'elle s'arrêterait pour me proposer de l'aide pour transporter mon sac ? Derek se retourne pour la regarder disparaître. Trop pressée d'aller faire ses courses pour s'arrêter dire un mot à son fils. Quelles courses d'ailleurs ? Je ne l'ai jamais vu faire quelques courses que ce soit, à part du shopping mais je doute qu'elle trouve son bonheur au village. Le cœur battant et les tempes bourdonnantes, comme à chaque fois qu'il s'énerve contre sa mère, Derek sert les poings et expire violemment pour se calmer. Il lui faut attendre de ne plus la voir, que le nuage de poussière soulevé par son passage retombe et que le silence revienne pour qu'il retrouve son calme. C'est à ce moment qu'Ambrose apparaît à son tour au bout du chemin. Le cœur de Derek fait un bond dans sa poitrine et il se sent aussitôt rougir et cette fois-ci, le soleil au zénith n'y est pour rien. Jamais Marleen, qui travaille pourtant pour ses parents depuis aussi longtemps qu'il s'en souvienne, n'avait parlé de son petit fils et cet été, il débarque pour tailler quelques arbres et tondre la pelouse. Depuis le début de leur villégiature, Derek n'ose pas aborder le jeune jardinier, ni réellement engager la conversation avec lui. Ambrose en revanche se montre bien moins timide, sans que Derek ne comprenne l'intérêt qu'il peut bien lui trouver. Le jardinier a toujours une attention ou un mot gentil pour lui. Il s'intéresse aux livres que Derek lit et pose de multiples questions à leurs propos ; il lui apporte du thé glacé en pleine après midi et lui recommande de ne pas rester trop longtemps au soleil. Toutes ces attentions troublent Derek, autant que le physique du jardinier, mais il sait qu'Ambrose doit se jouer de lui, par facétie. Derek sait par Marleen, qui ne cache pas la fierté qu'elle a pour son petit fils, que celui-ci multiplie les conquêtes, que tous se battent pour lui, les hommes pour être en sa compagnie et les femmes pour partager son lit. Il sait bien qu'un garçon aussi ordinaire que lui ne peut pas intéresser quelqu'un d'aussi fascinant qu'Ambrose. Et l'attention constante du jardinier lui rappelle de mauvais souvenirs, qui incitent le jeune homme à la prudence voire à la défiance.
Au lycée, Derek avait connu une mésaventure, qu'il redoutait de voir se répéter aujourd'hui. A l'époque – et encore aujourd'hui – Derek n'avait rien d'un leader, sans pour autant être un souffre douleur. Il était le garçon que l'on connait, car il obtenait toujours les meilleures notes, mais pas celui auprès duquel on s'asseyait en cours, à moins de ne plus avoir de place disponible, ni celui à qui on réservait une chaise quand il arrivait en retard. Il faisait partie des derniers à être choisi dans les équipes de sport collectif et quand on lui adressait la parole durant les travaux de groupe, c'était avec politesse mais distance. Aussi, quand un des garçons les plus populaires du lycée avait commencé à s'intéresser à lui, quand il lui avait montré de l'attention voire de l'affection, Derek avait senti de nouveaux sentiments, un trouble violent lui tordre le ventre, comme ce qu'il ressentait actuellement avec Ambrose. Mais par le passé, il n'avait pas fait preuve de prudence contrairement à aujourd'hui. A force de remarques gentilles et d'attentions, le garçon avait fini par prendre toute la place dans le monde de Derek ; celui-ci ne cachait pas sa joie quand le garçon ne lui adressait ne serait-ce qu'un signe de la main en l'apercevant, il exultait quand la popularité du garçon déteignait sur lui et que d'autres personnes le saluaient dans l'enceinte du lycée. Et bien entendu, ses devoirs passaient toujours dans les mains du garçon avant qu'il ne les remette aux professeurs. Mais Derek n'y prêtait pas attention et même s'il avait vu les notes de son compagnon s'envoler, il n'imaginait pas un seul instant que seul l'intérêt motivait ses prévenances. Il croyait sincèrement que ses sentiments étaient partagés. Il lui fallu tout son courage pour oser se déclarer au garçon, à un moment en tête à tête où il lui donnait sa copie, un devoir destiné à être recopié. La réaction du garçon avait d'abord été amusée puis dédaigneuse et dégoutée. Le monde de Derek s'effondra en même temps que ses illusions quand le garçon le rejeta. Il parla de sa déclaration à tout son cercle d'amis et tous au lycée le regarda rapidement d'un air moqueur, apitoyé. L'incident se tassa rapidement et Derek redevint un inconnu, mais il n'oublia pas ni la douleur ni l'humiliation. Et aujourd'hui, il refusait de se laisser piéger une fois encore. C'est pour cela qu'il ne souhaitait pas se lier d'amitié avec le jardinier. Il évitait de l'observer avec trop d'insistance, le regard moqueur de sa sœur et celui, soupçonneux, de sa mère n'étant jamais loin. Il avait le souffle court et les mains tremblantes à chaque fois qu'il lui parlait et il le fuyait un maximum pour masquer son trouble. Mais malgré son attitude des plus froides, Ambrose revenait toujours vers lui avec son sourire désarmant et ses attentions gratuites.
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