« Regarde-moi comme c'est beau ! 

- Ah ah, mais c'est que je connais déjà les lieux, moi ! »

Nuage de Trèfle fit semblant de bougonner.

« En attendant, moi j'ai voyagé à plein d'endroits où tu n'as jamais posé la patte ! »

Nuage Solitaire lui sourit.

« Très bien, alors j'imagine qu'on est quittes. »

Elle sauta par dessus le ruisseau qui les séparait de quelques mètres l'un de l'autre. Le mâle brun-doré vint se frotter à elle.

« Je t'aime, murmurèrent-il en même temps. »

Et ils éclatèrent de rire.

« Alors les amoureux, ça va toujours pas mieux, hein ? »

Nuage de Foudre les rejoignit en sautillant.

« Ah là là, les d'jeuns... moi, de mon temps, ça ne serait jamais arrivé... »

Les deux compagnons échangèrent un sourire complice. C'était devenu la nouvelle phrase favorite du jeune mâle, juste avant son fameux : « Copain comme papillons ».

« Ça va ? l'interrogea Nuage Solitaire. Tu sais, tu n'es pas obligé de faire ton foufou juste parce que Nuage de Trèfle est là, hein. Je suis sûre qu'il apprécierait amplement le Nuage de Foudre plus sérieux que je connais.

- Parce que ça existe, ça ? ronronna l'apprenti aux yeux verts. Je demande à voir ! »

Son frère fit une moue théâtrale.

« Et bien, dans ce cas, vas-y, parle au vrai Nuage de Foudre ! Tu seras surpris. Je ne t'explique même pas la tête de Nuage Solitaire quand elle a découvert comment j'étais pour de vrai... »

Il donna un coup de flanc à cette dernière.

« Pas vrai ? »

La jeune femelle hocha vigoureusement la tête.

« Ah ça ! J'ai failli m'évanouir quand il a commencé à faire de la philosophie... »

Nuage de Trèfle plissa les yeux. Il n'aimait pas cette relation que sa compagne entretenait avec son frère.

« J'ai pas tellement envie de voir, finalement, grogna-t-il. Je préfèrerai pêcher. Enfin... »

Il mordilla l'oreille de Nuage Solitaire.

« Si tu n'as pas tout oublié de ton entraînement ! »

Celle-ci prit un air offusqué.

« Ça, même pas en rêve ! Je parie que, même morte, je te supplante toujours autant !

- Toujours ? répéta Nuage de Trèfle, taquin. J'ai toute ma vie été le meilleur, et ça ne changera pas ! »

Et, tout à leurs remarques, ils ne virent même pas que Nuage de Foudre s'en allait discrètement.

Un peu plus tard dans la soirée, les deux félins rentrèrent sur l'île que s'était aménagée Lune Claire, la mère défunte de Nuage de Trèfle et sa sœur, Nuage de Pollen. Ils trouvèrent d'ailleurs celle-ci blottie contre le giron de la belle chatte roux clair, fondant sa fourrure dans celle de sa génitrice. Le jeune mâle, attendri, fut prit d'une envie irrépressible de se joindre à elles. Il se retint cependant. Il ne voulait pas paraître trop faible devant Nuage Solitaire. Le novice jeta un coup d'œil a celle-ci le cœur serré, mais par la joie. Quand il était près d'elle, il se sentait meilleur. Et capable de faire tout les efforts du monde pour la jeune chatte. 

Comme avant.

Frôlant le pelage de la femelle tout en avançant, il finit par s'asseoir près d'une Nuage de Pollen et d'une Lune Claire assoupie, bientôt imité par sa compagne.

Celle-ci frotta son museau au sien, avant de chuchoter :

« Réveillons-les. Lune Claire et moi avons quelque chose à vous dire. »

Le jeune matou, déçu, baissa les yeux, mais acquiesça cependant. Il donna un petit coup de patte à sa sœur, tandis que Nuage Solitaire faisait de même avec sa mère. Bientôt, les deux femelles furent réveillées et la petite chatte crème fut au centre de l'attention, épaulée par la femelle au pelage clair.

« Nuage de Trèfle, Nuage de Pollen... commença-t-elle. Ici, au Clan des Étoiles, nous sommes heureux d'être avec vous, et j'ai bien l'impression que c'est réciproque... »

Frère et sœur échangèrent un regard complice. Elle disait vrai.

« Cependant, vous le savez, les vivants ne vous ont pas oublié. Et toi, Nuage de Pollen, ils te cherchent encore... »

Celle-ci afficha une mine coupable. Et, à en voir son regard, elle pensait à quelqu'un en particulier. Aussitôt, Nuage de Trèfle détesta cette personne. C'était sa sœur. Personne ne la lui prendrait. Il s'en assurerait personnellement. Les crocs à découverts, il continua à écouter le discours de Nuage Solitaire d'une oreille inquiète. Il aurait tant voulu rester ! Il espérait qu'ils ne seraient pas congédiés avant quelques jours au moins.

« Tout ça pour dire que, malheureusement, vous ne pouvez pas rester éternellement. Vous avez une lune. Ce laps de temps passés, vous devrez redescendre sur la terre ferme... mais ce n'est pas que de ça dont nous voulions vous parler. »

Elle se tourna vers Lune Claire. Celle-ci hocha imperceptiblement de la tête et avança d'un pas.

« Pour le moment, Nuage de Trèfle, tu es un solitaire. Et toi, Nuage de Pollen, tu n'es partie de ton clan qu'il y a une demi-lune, puisqu'on t'as réceptionnée presque aussitôt. Alors...

- Mais... l'interrompit doucement la rouquine d'une voix tremblante. J'ai été frappée par la foudre... je suis morte. »

Nuage Solitaire sourit doucement et vint se frotter à le jeune chatte.

« Ne t'inquiète pas. On a tout arrangé. N'y repense plus. »

Son interlocutrice baisse les yeux, l'air perdu.

« D'ac... d'accord. »

Nuage de Trèfle fronça les sourcils. Ça ne ressemblait pas à sa sœur de se laisser décourager comme ça, et d'avoir l'air si fragile... elle devait vraiment avoir un problème. Il la regarda un instant. Oreilles baissées, moustaches tombantes... il plissa les yeux.

J'irai la voir, tout à l'heure.

Sur cette dernière pensée pour sa sœur, il se re-concentra sur l'annonce que faisait les deux chattes.

« Donc, continua Lune Claire. Nuage de Pollen, il serait assez simple de rentrer chez toi si tu le souhaites. Quand à toi, Nuage de Trèfle... »

Elle se tourna vers le jeune chat et lui adressa un petit sourire compatissant. 

« Oui ? s'enquit-il, pressé de savoir où il en était exactement. »

Nuage Solitaire se rapprocha un peu de lui et fit une petite moue.

« Ce sera plus compliqué... marmonna-t-elle. Tout le monde te croit domestique. Et...

- Mais pourquoi domestique ?! s'exclama le matou, agacé qu'on lui répète ça sans cesse. Ils me connaissent, quand même ! Je hais ces fichus bêtes qui se plient aux ordres des Bipèdes ! Ce ne sont même pas des chats, mais des souris ! »

Nuage de Pollen sembla reprendre ses esprits quelques instants : elle se redressa, s'avança d'un pas et cracha :

« Ça, ce sont ces sales raclures du Clan du Vent ! feula-t-elle en montrant les crocs. Pendant une Assemblée, alors qu'Étoile de Silex annonçait qu'un apprenti avait disparu, Étoiles des Prés a supposé que tu avais rejoint les domestiques. Alors..

- Mensonge ! cracha Nuage de Trèfle. Ils m'ont menti avant de me retenir prisonnier ! Ce n'est pas un clan, ce ne sont que des chats galeux ! »

Nuage Solitaire soupira et l'entoura de sa queue avant de lui lécher la joue.

« Oui. Cette meneuse est affreuse, je suis d'accord. Mais il faut que je te montre quelque chose si tu veux connaître toute l'histoire. Demain ? »

La tête basse, le novice marmotta :

« D'accord. Vas-y, tu peux continuer ce que tu disais... »

La petite femelle acquiesça.

« Ne t'inquiète pas. Tout ira bien... donc, je disais que, puisqu'on te croit devenu domestique, il faudrait te refaire accepter. »

Lune Claire intervint.

« On pense que ça devrait aller. Il n'y a plus d'apprenti depuis que tu es partie, Nuage de Pollen. À part ce petit Nuage de Baie qui vient de le devenir... mais c'est une autre histoire. Donc, même si ton mentor s'entête à le rester, ma fille, il n'y a plus qu'un véritable novice dans le clan. Nuage de Trèfle, ça devrait donc être simple pour toi de revenir. »

Celui-ci hocha la tête, mais se rendit alors compte que sa sœur avait une expression de visage pire encore que tout à l'heure : ses yeux semblaient luter pour rester ouverts, sa queue restait immobile, comme paralysée, et ses pattes étaient prises de tremblements impressionnants.

Mais... qu'est-ce qui lui arrive ?!

Il se dirigea vers la rouquine, abandonnant tristement les caresses de sa compagne.

« Nuage de Pollen ? chuchota-t-il. Qu'est-ce qui se passe ? »

Sa sœur le regarda, les yeux exorbités, le regard dans le vague.

« J'ai fait une énorme erreur. »