La forêt s'étalait, telle une grande page noire cachant le sol. Longue et profonde, aucune lumière, pas même celle de la lune, ne passait au travers. Les arbres, incrustés dans le sol, semblaient figés dans le temps. Plus loin, de grands pics de plusieurs mètres transperçaient l'horizon. Rien ne semblait prouver qu'on pouvait trouver de la vie dans ces lieux désolés, sous ces centaines de rocs. Et pourtant, une sombre silhouette de félin sortit sa tête de sous l'un d'eux. Lentement, celui-ci monta sur une pierre et s'y assit. Puis, après quelques minutes, il s'allongea et leva la tête vers les cieux. Les étoiles, comme si elles étaient les reflets des roches, étaient des milliers. Cependant, celles-ci brillaient, contrairement aux rocs qui se dressaient près de lui.

« Tu n'arrives pas à dormir ? demanda une voix sortie de nulle part. »

Le félin dressa les oreilles et baissa la tête vers l'endroit d'où provenait le son. Il décela un visage dans le creux de la roche et sourit, laissant de la place à ses côtés pour que son camarade le rejoigne. Celui-ci agita les moustaches et bondit sur la pierre.

« Pas vraiment, non... murmura le premier chat. J'ai l'impression d'attendre quelque chose. »

L'autre enroula sa queue autour de ses pattes en acquiesçant. Il voyait ce qu'il voulait dire.

« Au fait, Le Croc a fait fuir un renard, ce matin, fit-il remarquer après plusieurs minutes. »

Son interlocuteur lui lança un regard inquiet, ses yeux sombres brillant sous la lumière des étoiles.

« Ils sont revenus ? s'enquit-il. »

L'autre secoua la tête en ronronnant.

« Le Bleu, ils sont partis depuis longtemps. Nous les avons fait fuir ! Il ne faut plus s'en inquiéter. »

Le matou gris foncé esquissa un sourire avant de hausser les épaules.

« Tu as raison. Mais chaque jour, je repense aux attaques... et à toutes ces pertes. Mais bon... il ne faut pas se plaindre. »

L'autre sourit et vint se frotter à lui pour se réchauffer.

« Tu as raison. Ça ne sert à rien. Et puis celui-ci était aveugle, de toute façon. Il a dû s'égarer de la forêt. »

Le Bleu acquiesça, frissonnant, et regarda autour d'eux. Les étoiles étaient de plus en plus nombreuses, telles des petits points de lumière dans le ciel inquiétant.

« Il fait froid, fit-il remarquer. Les Pousses ne sont pas trop exposées ?

- Non. La Feuille a eu l'idée de poser des grandes branches au dessus d'eux, et ils vont beaucoup mieux qu'avant. »

Le matou jeta un œil derrière lui. En effet, il ne l'avait pas remarqué auparavant, mais un enlacement de brindilles se trouvait à plusieurs queues de renard d'eux.

« Elle est intelligente. Tu as bien choisi ta petite sœur, ronronna-t-il. »

Son interlocuteur roula des yeux, faussement agacé.

« Pff... je ne l'ai pas choisie, sinon je n'aurais pas prit une si forte tête, plaisanta-t-il. »

Le Bleu donna un petit coup d'épaule au matou brun.

« Attend un peu que je lui répète ça, elle sera contente... "Hé, La Feuille, tu savais que Le Combattant voulait te faire disparaître de la surface de nos rochers ? Mais sinon, il t'adore, hein..." »

Son camarade agita les oreilles, amusé, et leva à son tour les yeux sur l'immensité du ciel. Le matou gris ronronna en voyant le sourire rêveur du chat au poil sombre.

« On a de la chance d'avoir une vue aussi dégagée sur le ciel, remarqua ce dernier. »

L'autre acquiesça et, pendant plusieurs minutes, ils contemplèrent la large étendue qui s'offrait à leur vue. Cependant, le froid finit pas se faire sentir et ils furent obligés de se coller, ne voulant pas que le froid commence à engourdir leurs membres. Même leur perchoir commençait à prendre cette température glaciale.

« Il faudrait peut-être aller dormir, on aura plus chaud. »

Le Combattant soupira et commença à s'éloigner du centre de la pierre.

« Oui... miaula-t-il. Mais je te préviens, je suis d'humeur bavarde cette nuit. Tu vas pas pouvoir dormir de sitôt.... ronronna-t-il en sautant sur un rocher plus bas. »

Le Bleu le suivit en levant les yeux au ciel.

« Qui m'a fichu un matou pareil...? »

* * *

« Alors ? Il va mieux ? »

Une chatte au pelage clair jetait un regard interrogateur à un grand matou brun-crème. Celui-ci baissa les yeux pour la regarder droit dedans.

« Je ne sais pas ce qui lui est arrivé. Mais... il devrait pouvoir sortir d'ici dans trois jours, cinq maximum. Et il pourra aussi reprendre l'entraînement, mais pas au combat. Pour l'instant. »

La femelle jeta un regard inquiet derrière la haute épaule du félin. Dans un nid de mousse se trouvait le corps d'un chat de petite taille, dont le pelage clair portait des marques de sang séché.

« Nuage de Baie... murmura la chatte d'un air atterré. Qu'est-ce qui t'es arrivé...? »

Le mâle qui se tenait devant elle se plaqua contre la paroi de branches de la tanière pour la laisser rejoindre son fils. Elle s'empressa de le faire mais n'osa pas le toucher, sûrement de peur de lui faire mal. Les yeux rougis par le chagrin, elle resta assise un long moment à côté de l'apprenti dans un silence pesant. Le chat qui était resté à l'entrée de sa tanière finit par la rejoindre.

« Moustache Courte... souffla la femelle d'une voix brisée. Tu penses que c'est la Forêt Sombre ? »

Le matou sentit comme une pierre tomber dans son estomac. Il n'avait pas pensé que ça puisse être ça, mais quand il l'imagina, il sentit l'inquiétude monter en lui. De plus, la chatte qui le fixait, les larmes aux yeux, n'arrangeait pas les choses.

« Je n'en sais rien... finit-il par soupirer. Je... je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Il ne dormait pas, pourtant... nous étions en train de parler. Et puis... je suis presque sûr de l'avoir entendu parler d'Aile de Libellule, et de... je ne sais plus qui exactement. Mais des chats morts pendant la bataille qui faisaient partie de notre clan, il me semble... pourquoi parler d'eux, si... si il était dans la Forêt Sombre...? Ce n'est pas logique... »

La reine à ses côtés étouffa un sanglot. Cependant, alors qu'elle allait partir, elle se retourna lorsque Moustache Courte l'arrêta.

« Ciel du Matin... il t'as aussi appelée. »