Chapitre 20 - Del Cyrispile

Del n'hésita pas un seul instant. Le sortilège brisé cingla son essence magique, mais il sauta tout de même sur ses pieds pour courir après son amie.

— Ode !

Elle filait entre les arbres à toute allure, sans se retourner. Del pressa le pas, poussa sur ses jambes pour tenter de la rattraper. Il dût vite se rendre à l'évidence, cependant : « tenter » était bien le mot clé. Il n'arriverait jamais à la rejoindre. Il continua néanmoins à courir, même lorsqu'il l'eut perdu de vue, appelant son nom encore et encore dans l'espoir qu'elle s'arrête et fasse demi-tour. Il courut jusqu'à ce que son souffle siffle dans ses poumons et que ses genoux cèdent sous son poids. Éreinté, il se laissa tomber dos dans la mousse et visage tourné vers les cimes, la vue trouble et des milliers de douleurs dans ses muscles.

— Flûte, pesta-t-il. Lo ? Je crois que...

Il se redressa brusquement, fronça les sourcils. Comme Ode, Lo n'était nulle part en vue. Il aurait juré que ce·tte dernièr·e l'avait suivi, pourtant. Mais pourquoi ? Est-ce qu'il l'avait entendu·e le suivre ? Vu·e se lever à son tour ? Ou l'avait-il supposé seulement parce que c'était ce que Lo ferait ?

— Lo ? Où t'es ?

Même en montant la voix, aucune réponse ne vint. Quel idiot ! Il s'était lancé sans vérifier que Lo était parti·e à leurs trousses. Et en plus, Ode n'avait pas couru tout droit depuis leur point de départ. Retrouver leur campement serait bien trop difficile, du moins sans sortilège, et Del était trop fatigué pour en faire un. Et qu'est-ce qu'il allait devenir, tout seul dans cette forêt ? Et Ode, est-ce qu'elle allait bien ? Del ne se faisait pas trop de soucis pour Lo, mais d'un autre côté, si iel ne l'avait pas suivi, c'était que quelque chose clochait...

Son estomac se contracta brusquement et, sans lui laisser le temps de réagir, ses genoux cédèrent aussitôt sous son poids.

La panique le gagnait de seconde en seconde. Là, tout de suite, il ne pouvait plus rien faire d'autre qu'attendre que ça passe et espérer que rien ne l'attaque. Et puis, peut-être que tout ça n'était qu'une hallucination particulièrement élaborée : s'il faisait semblant que tout allait bien, il se réveillerait sûrement au campement, avec Lo et Ode. Oui, voilà ! C'était juste un cauchemar.

La douleur finit par passer, le mensonge aussi.

Del était seul. Vraiment seul.

Ok. Pas de panique. Il n'était pas encore mort. Pour un petit bonhomme perdu dans une forêt hantée, c'était plutôt impressionnant, quand on y réfléchissait un peu. Il était vivant, et il n'avait plus mal, non plus. Attendre ici ne lui apporterait pas grand chose : il pouvait tenter de retrouver Lo et le campement, ou de continuer à suivre la piste d'Ode.

Que ferait un apprenti Chevalier ? Que ferait Lo ? Del n'avait aucune idée de la réponse à aucune de ces questions, alors il dut se résoudre à poser celle, bien plus terrifiante, de savoir ce que lui, Del Cyrispile, rejet de l'Académie, morrin et malade chronique, ferait dans cette situation. Il ferma les yeux brièvement, et laissa la réponse venir.

— Ode, murmura-t-il.

Elle aussi, elle aurait peur, une fois qu'elle se rendrait compte qu'elle était seule. Il se souvint de l'état de panique dans lequel iels l'avaient rencontrée, le premier jour, sur un chemin normalement tranquille des plaines de la Botte. Ici, elle aurait toutes les raisons du monde de paniquer.

C'était décidé. Del prit une grande inspiration, rajusta ses vêtements, écarta les mèches bouclées qui tombaient sur son visage, et partit d'un pas déterminé dans la direction où Ode avait disparu. Pour se donner du courage, il fredonna la petite musique qu'elle avait chanté la veille, faux mais avec un entrain qu'il voulait rassurant. Il marcha ainsi pendant ce qui lui sembla des heures, s'il en croyait les douleurs qui s'accentuaient, sa voix qui s'enrouait, son estomac qui gargouillait, sa gorge qui s'asséchait. Il avait grimpé une colline aux arbres tordus, traversé un sous-bois aux larges fougères plus hautes que lui, pataugé dans un marécage qui n'était pas aussi asséché qu'il en avait l'air, et appelé Ode des dizaines - non, des centaines - de fois.

Et pendant tout son trajet, il n'avait rien vu ni rien entendu bouger. Ni oiseau, ni grosse bestiole, ni petit insecte, ni même une seule hallucination pour le maintenir en alerte. Du moins, pas avant qu'il n'eut rejoint une partie de la forêt où les buissons, plus bas, laissaient passer des grandes herbes violettes aux petites fleurs blanches, et où des ruisseaux serpentaient entre les arbres fins et droits à l'écorce prune. Del s'arrêta, les yeux écarquillés, une main sur le pommeau de son épée abîmée, et analysa les alentours avec tous ses sens.

Son essence magique lui confirma qu'il y avait bien quelque chose, ou quelqu'un, avec une essence magique dans les parages. Pas Ode, non : c'était trop différent d'elle, qu'il commençait à connaître par coeur. Il ne voyait toujours rien, mais entendait distinctement le bruit des feuillages remués et un léger clapotis de l'eau. Avec prudence, Del s'avança dans la direction du bruit, essayant de rester le plus silencieux possibles. Une dizaine de mètres plus loin, au détour d'un minuscule ruisseau qu'il enjamba d'un petit pas, apparut une silhouette terriblement familière.

Elle avait tourné ses grands yeux doux dans sa direction, les oreilles pointées en avant et sa queue vacillant de gauche à droite pour chasser des mouches invisibles. Après une légère hésitation, elle ouvrit la bouche et laissa échapper un mouh timide dans sa direction, presque interrogatif. Del sourit, tellement soulagé qu'il aurait pu en rire.

— Coucou petite valiette, l'appela-t-il. Tu es toute seule ici ?

Un autre mouh, et la valiette fit un pas dans sa direction, curieuse. Il la laissa s'approcher sans bouger, jusqu'à ce qu'elle soit assez prête de lui pour renifler ses mains. Quelques secondes suffirent à la valiette pour se décider à frotter amicalement sa tête contre son ventre. Del s'autorisa enfin à rire de joie, et câlina la bestiole qui lui lécha le visage sans retenue avec sa grosse langue râpeuse.

— Tu n'es clairement pas sauvage, toi. Qui t'as laissée toute seule ici ?

Il savait bien qu'il n'obtiendrait aucune réponse, mais ça ne coûtait rien de demander. Pendant quelques instants, elle s'était laissée caresser et gratouiller avec une satisfaction évidente, les yeux mi-clos et la bouche entrouverte. Puis, elle secoua la tête, poussa un nouveau mouh interrogatif, avant de montrer son dos du bout du museau.

— Oh, tu veux que je te gratte là ? Pas de problème, ma grande.

La valiette se laissa faire, mais se décala pour échapper à ses mains avant de recommencer le même signal qu'auparavant. Del essaya de la caresser, de la masser, de vérifier qu'aucune bête ne la piquait ou qu'il n'y avait aucune blessure cachée sous l'épaisse fourrure, mais c'était peine perdue : il n'arrivait pas à comprendre ce que la valiette voulait. Il aurait abandonné, si elle n'avait pas changé de message en le poussant du bout du museau avant de remontrer son dos.

— Tu veux que je monte ?

Pas de réponse, évidement, mais quand il tenta maladroitement de grimper sur son dos, par la gauche pour ne pas la transpercer avec son épée suspendue à sa ceinture, la valiette poussa un petit meuglement satisfait. Elle attendit qu'il soit bien installé avant de se mettre en route, d'abord au pas puis au petit trot.

— Donc c'était ça, tu veux m'emmener quelque part ! D'accord, d'accord. Où on va, maintenant ?

Un nouveau meuglement ne lui apprit pas grand chose. Au point où il en était, il n'avait plus d'autre choix que de faire confiance à la créature. Les doigts dans sa crinière, bercé pour son allure étrangement confortable, il se laissa porter vers l'inconnu. Au moins, il n'était plus seul. 

Mais où étaient Lo et Ode ?

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