7. Diviser pour mieux régner
Reykjavík visait du côté de la cuisine, où se trouvait notamment Tokyo. Immobile, cette dernière esquissa un sourire moqueur et s'adressa à Denver en regardant Reykjavík.
« Hé Denver, t'as vu ? On l'a retrouvée notre fugitive. Alors, tu t'es fait de nouveaux amis ? poursuivit la jeune femme en s'adressant cette fois directement à Reykjavík.
— Tu trouves pas que tu fais un peu tache au milieu de tout ce kaki ? lança Denver.
— Ta tête aussi elle va faire tache quand elle sera étalée sur le mur », articula lentement Reykjavík.
Il y eut un rire, venant sans grande surprise du cinglé qui riait presque tout le temps. Avec sa tête de pyromane et son rire étrange survenant un peu n'importe quand, Reykjavík était prête à parier qu'il était artificier.
« Qui est aux commandes ici ? s'enquit Palerme quelque part derrière.
— Commandant Sagasta, se présenta alors le meneur du commando qui faisait face au musée.
— Bah Sagasta, vous êtes cernés. Jetez vos armes au milieu de la pièce, rétorqua Palerme.
— Viens les chercher toi-même sale pédale ! », le provoqua Gandía avec la connerie qui caractérisait visiblement chacune de ses interventions.
Derrière elle, Reykjavík entendit alors Sagasta parler avec Tamayo, lui demandant d'envoyer la seconde équipe dès maintenant. Un court mais lourd silence suivit, et c'est la voix chargée de reproches que Sagasta reprit :
« Ils viennent de nous prendre à revers sous votre nez et maintenant vous nous laissez tomber ? Terminé. »
Reykjavík ignorait pourquoi Tamayo abandonnait sa meilleure chance de stopper le braquage à coup sûr, mais elle était infiniment soulagée : ils pouvaient vraiment gagner.
« Arteche, t'en penses quoi ? demanda Sagasta.
— On est coincés entre deux feux, il faut en éliminer un, répondit l'intéressée à quelques mètres sur la gauche de Reykjavík.
— Sagasta, on vous laisse dix secondes ! prévint Palerme pour mettre la pression.
— Gandía, on peut fermer les portes du musée d'ici ?
— Affirmatif, il y a un lecteur d'empreintes dans la salle, confirma Gandía.
— Sept secondes ! cria Palerme.
— OK, les quatre coins, attendez mon signal », conclut le commandant.
Reykjavík aurait aimé prévenir les braqueurs, mais même un mouvement de tête pourrait être repéré par les deux militaires qui se trouvaient du même côté qu'elle. Elle se contenta alors de pincer les lèvres en regardant Tokyo, et dans la périphérie de son champ de vision elle remarqua que son voisin de droite approchait très lentement une main d'une grenade accrochée sur son uniforme. Il faisait semblant de s'apprêter à se rendre en éloignant sa main de la détente de son arme, mais en réalité il se préparait à en utiliser une autre.
« Cinq secondes ! »
Reykjavík était inquiète, mais elle ne pouvait rien dire, alors elle imita les autres. Très lentement, elle écarta sa main droite de la détente, dépliant son index puis un à un le reste de ses doigts.
« Quatre ! »
Malgré les mains couvertes de poussière, de sang, de poudre et de sueur qui s'éloignaient minutieusement des détentes, Palerme s'impatientait.
« Trois ! »
Alors, lorsque Palerme cria « Deux ! », Sagasta redressa son fusil à la verticale, levant sa main libre en signe de reddition.
« OK ! C'est bon d'accord on jette nos armes, annonça-t-il.
— Mettez tous les mains sur la tête. Et tous à terre bordel ! lâcha Palerme.
— OK. »
Mais personne n'avait encore déposé son arme, et Palerme était de plus en plus nerveux.
« Soldats, on va jeter nos armes », déclara alors Sagasta en se tournant brièvement vers le reste du groupe.
Le commandant voulait gagner du temps en rassurant Palerme, en tentant de le convaincre qu'ils allaient réellement se rendre. Cela sembla fonctionner, car quelques secondes supplémentaires s'écoulèrent alors que les dix accordées étaient déjà largement dépassées.
« Allez-y ! » cria soudain Sagasta.
Quatre grenades s'envolèrent dans un menaçant crépitement, créant la panique dans les rangs des braqueurs.
« Grenades ! » hurla Rio avant de s'éloigner aussi vite que possible en direction du musée.
Tous ceux qui le pouvaient l'imitèrent, et alors que les tirs reprenaient, l'équipe de braqueurs fut séparée en deux : Manille, Denver et Tokyo se réfugièrent derrière les colonnes en périphérie de la salle de réception, les autres s'abritèrent dans le musée.
Les quatre grenades explosèrent. Quatre détonations simultanées, quatre boules de feu éphémères. Elles dégagèrent une importante chaleur, et la température de toute la zone augmenta de plusieurs degrés pendant l'espace d'un instant, jusqu'à ce que l'air bouillonnant s'évacue par le gouffre dans le toit de la salle de réception. Le commando au complet put quitter son retranchement, et la petite dizaine de combattants se répartirent les deux zones où se cachaient les braqueurs. Il fallait à présent maintenir la pression sur chacun des deux groupes, afin de les empêcher de contre-attaquer. Le commando se sépara donc en quatre groupes, pour couvrir à la fois le côté cuisine et les trois portes menant au musée. Reykjavik avait cru que sa mission deviendrait inutile, que les braqueurs allaient stopper l'intervention militaire, mais non, le groupe en combinaisons rouges venait de reperdre l'avantage. La fausse policière aurait voulu pouvoir agir pour éviter ce retournement de situation, mais elle devait s'y résoudre : il n'y avait rien qu'elle aurait pu empêcher, ou alors ça aurait été la dernière chose qu'elle aurait entreprise de sa vie. Elle devait pour le moment rester à sa place d'adoptée au sein de ce commando, et attendre une occasion plus discrète pour agir en faveur de son véritable camp.
Sans que les tirs se soient calmés un seul instant, Gandía enclencha la fermeture des portes de sécurité du musée, et des cloisons en métal commencèrent à s'abaisser. Lentement, les membres du commando reculèrent sans cesser de tirer, jusqu'à être tous sortis du musée. Seul Gandía s'y trouvait toujours, il en sortit à la dernière seconde et dut faire une roulade sur le dos pour passer sous la porte de sécurité.
Les portes touchèrent le sol, et ce fut le calme.
Un calme de courte durée cependant, car Tokyo, Denver et Manille rouvrirent le feu pour couvrir leur retraite du côté de la cuisine. Après une courte riposte, les tirs cessèrent tout à fait, et les deux portes de la cuisine claquèrent en se refermant après les trois braqueurs qui venaient de s'y réfugier. Alors, le commando se rassembla, formant un triangle qui s'avança vers la cuisine. Gandía se trouvait tout devant, visiblement très impatient d'en découdre, contrairement à Reykjavik qui était positionnée plus loin derrière sur la gauche du chef de la sécurité de la Banque d'Espagne. Toujours bien consciente de la nécessité de paraître investie dans la traque des braqueurs, Reykjavik gardait pourtant un air concentré et déterminé, et elle avança calmement en enjambant les débris qui jonchaient le sol de la salle de réception en ruines.
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