16. Nouvelle altercation

Le commando progressait lentement, à l'affût du moindre son suspect, dans le silence le plus absolu. Mais bientôt, Sagasta fit signe aux survivants de l'expédition de se stopper, à une intersection où le couloir qu'ils suivaient se séparait pour former deux nouveaux corridors.

« On s'arrête une minute, vérifiez où en sont les blessures, on risque de devoir se séparer si on veut trouver les trois braqueurs de tout à l'heure. Ils doivent pas avancer vite donc on va pas avoir de mal à les rattraper, mais il faut s'assurer qu'on peut former des groupes suffisamment solides pour se séparer sans prendre trop de risques.

— Par définition, c'est pas risqué de se séparer ? lança Gandía.

— Si on retrouve pas les trois de là-haut avant que les autres se pointent, ça sera plus dangereux que de se séparer pour neutraliser deux braqueurs qui transportent une blessée », assura pourtant Sagasta alors que le reste des militaires commençaient à renforcer les pansements de ceux qui en avaient besoin.

Reykjavík regardait devant elle, essayant de se rappeler où menait le couloir en face, mais un bref flash de lumière attira son attention sur sa droite, derrière une grille de ventilation. Seuls ses yeux gris avaient bougé, et Reykjavík resta immobile en découvrant le visage de Denver faiblement éclairé par une torche. Il avait dû se cacher dans le conduit avec Tokyo et Manille en sachant qu'ils risquaient de ne pas avoir le temps de disparaître au bout de l'un des deux couloirs avant que le commando n'arrive ici. Gandía et Sagasta se trouvant à quelques mètres devant et les autres étant occupés un peu plus loin sur la gauche, seule Reykjavík pouvait apercevoir ce qui se tramait à l'entrée du conduit d'aération. La femme en combinaison rouge remarqua que Denver tenait une grenade dans une main, et dès que le jeune veuf fut certain que Reykjavík l'avait vue, la faible lumière s'éteignit, et la grille de ventilation ne laissa plus apparaître qu'un vide sombre.

« Sinon j'ai une autre idée, reprit Gandía, visiblement très fort en insubordination dès qu'il s'agissait de Tokyo et du reste des braqueurs en rouge. On descend à la réserve d'or, on bousille tout à coup de grenades et de rafales, et on s'enferme. Ils seront bien emmerdés, et ils pourront rien faire contre la porte. »

Sagasta s'apprêtait apparemment à répondre, mais Reykjavík fut plus rapide :

« C'est n'importe quoi ton idée », lâcha-t-elle en haussant les sourcils.

Gandía pivota pour la regarder, et il ne se laissa évidemment pas faire.

« Si on te laisse prendre un peu d'or t'arrêteras d'être chiante ?

— Si mon truc c'était le fric j'aurais fait tueuse à gages ou politicienne, rétorqua Reykjavík en s'avançant vers lui de quelques pas. C'est juste que c'est pas faisable ton truc, à moins que vous ayez emmené suffisamment de bouffe et de flotte pour tenir un siège. Et de l'oxygène aussi, parce que ça doit pas être trop compliqué de boucher les ventilations d'une seule pièce. À leur place c'est ce que j'essaierais de faire. Quand tu proposes de la merde, t'attends pas à ce qu'on t'applaudisse. »

Gandía était clairement irrité. Il avait déjà du mal à accepter que ses idées se fassent démonter par Sagasta, alors qu'une subordonnée s'y mette, avec tant de véhémence en plus, il ne le supportait pas. Il se tourna pour faire face tout à fait à la femme aux longs cheveux blonds attachés en queue de cheval. Les deux mains de Gandía étaient libres, car son fusil était attaché en bandoulière à son épaule droite, ce qui permit à Reykjavík de voir clairement que ses doigts étaient crispés. Il était déjà sur le point de péter un plomb.

« C'est chez les forces spéciales qu'on t'a appris à te comporter comme une connasse ? s'invectiva Gandía avec une grimace de dégoût.

— En quelque sorte. On m'a appris à m'adapter. Alors oui, quand je m'adresse à un connard je me comporte comme une connasse. »

Et voilà tout ce qu'il fallut à Reykjavík pour mettre en marche son plan. Moins de trente secondes et quelques phrases.

Gandía l'attrapa brusquement par le col de sa combinaison, et il la poussa jusqu'à ce que son dos heurte le mur le plus proche. En même temps il avait dégainé un couteau, et il en plaça la lame contre la gorge de Reykjavík. La scène avait un air de déjà-vu, sauf qu'il ne s'agissait pas de la même blonde, et que les rôles avaient été inversés.

« Gandía », fit Sagasta après un soupir désespéré.

Mais le chef de la sécurité de la Banque d'Espagne ne semblait pas disposé à se calmer. Ses traits étaient comme souvent déformés par la colère, tant et si bien que les agrafes qui maintenaient fermée l'une de ses blessures devaient être douloureuses.

Immobile, Reykjavík soutenait son regard en silence. Elle voulait qu'il sache qu'il ne lui faisait pas peur, mais elle ne souhaitait pas paraître trop agressive aux yeux des autres, pour ne pas être accusée d'être entièrement responsable de l'incident en train de se produire. C'était une technique qu'elle avait beaucoup utilisée à l'école, et qui avait fait ses preuves. En effet, provoquer une altercation avec un autre élève plus turbulent que soi adoucissait bien souvent les reproches du professeur, qui préférait punir en priorité celui qui passait son temps à foutre le bordel : après tout, il était très probable que ce soit lui l'instigateur de la dispute.

« M'oblige pas à riposter, menaça lentement Reykjavík.

— Bah vas-y, essaye, qu'on se marre, répliqua Gandía avec un sourire cruel et méprisant.

— Gandía, intervint de nouveau le commandant en faisant un pas vers eux. Lâche-la.

— T'as entendu, l'agrafé ? fit doucement la blonde aux yeux gris. Tu me lâches. Tout de suite. »

Reykjavík crut sentir que la poigne de Gandía se desserrait légèrement : peut-être avait-il finalement retenu la leçon de tout à l'heure ? En tout cas, l'avertissement de Sagasta qui avait menacé de l'exécuter s'il désobéissait encore l'avait en partie convaincu. Il s'apprêtait peut-être à lâcher Reykjavík, mais ce n'est pas ce qu'elle voulait. Alors, avant que les autres aient le temps de s'apercevoir que Gandía comptait abandonner, la femme en combinaison rouge donna un vif coup du plat de la main dans le poignet droit du militaire antipathique, ce qui éloigna le couteau suffisamment pour permettre à Reykjavík d'enchaîner d'autres coups rapidement et plus efficacement. Du plat de sa chaussure droite elle frappa Gandía à l'entrejambe, ce qui le força à la lâcher totalement, et elle profita de sa stupeur pour lui asséner un nouveau violent coup de pied, dans le ventre cette fois. Le choc le fit reculer de deux bons pas, puis il tomba en arrière et se retrouva sur le sol, le souffle court. Il était affalé à environ un mètre de la grille de ventilation où se cachaient Denver, Manille et Tokyo.

« Ortega ! Sérieusement ? » soupira Sagasta avec un regard désapprobateur.

Reykjavík n'eut pas le temps de répondre, car un bruit métallique avait résonné, suivi du cri du premier à repérer l'explosif, et tout le monde recula, mais Denver avait dû relâcher la cuillère de la grenade avant de la laisser tomber au pied de la grille, car l'explosion eut lieu seulement une seconde plus tard, si bien que personne n'avait eu le temps de reculer de plus d'un mètre.

Lorsque le souffle atteignit Reykjavík et la repoussa violemment en arrière, la peur d'être blessée était presque totalement absente de ses pensées : elle avait réussi à faire en sorte que Gandía se trouve près de la grille d'aération, et la joie qui en résultait éclipsait – pour l'instant du moins – la crainte de recevoir un éclat de grenade ou un débris propulsé à haute vitesse. Alors que son dos heurtait brutalement le sol, et alors que ses oreilles bourdonnaient, elle entendit une série de chocs métalliques, comme un grondement qui s'éloignait rapidement. Denver, Manille et Tokyo fuyaient, ils auraient le temps de disparaître avant que le commando ne soit de nouveau opérationnel.

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