13. Flammèches isolées

Les yeux de Reykjavík se rouvrirent sur le sol assombri par la poussière, et elle respira lentement plusieurs fois pour prendre le temps de se remettre de ses émotions avant de chercher à se relever. Son souffle fit voleter quelques cendres, et lentement, la blonde en combinaison rouge déplia les bras, fléchit sa jambe gauche pour pouvoir prendre appui sur son genou, et elle déposa les mains au sol pour commencer à se redresser. Dès que son regard put porter assez loin, elle scruta le trou du monte-charge dans le mur du fond de la cuisine.

Tokyo était-elle encore en vie ?

« Gandía, ça va ? lança soudain la voix de Sagasta.

— Ça va, confirma malheureusement le concerné.

— Arteche ? poursuivit le commandant.

— Brûlure superficielle, grommela la militaire.

— Ortega ? »

En entendant le nom qu'elle prétendait porter, Reykjavík quitta des yeux le monte-charge pour se concentrer sur Sagasta, toujours posté tout près de l'entrée de la cuisine, à un peu moins de cinq mètres de là.

« Tout va bien », répondit la femme aux yeux gris tout en appuyant sa main gauche sur le plan de travail pour se remettre sur ses jambes.

Le commandant continua à passer en revue l'état physique de ses troupes, mais Reykjavík n'écoutait plus. Elle fit deux pas en avant et se baissa pour récupérer son arme abandonnée lors de sa chute, l'inspecta rapidement pour vérifier qu'elle n'avait pas été endommagée, puis elle continua à s'avancer vers l'autre extrémité de la cuisine. Les militaires valides étaient tous en train de s'occuper des malchanceux, et comme aucun blessé n'était seul, Reykjavík conclut qu'ils n'avaient pas besoin d'aide supplémentaire. Alors, elle contourna les meubles, les débris, les soldats, le cadavre de Tosco, elle enjamba la barricade dressée par les braqueurs, et elle s'arrêta au pied du monte-charge. Très lentement, elle passa la tête dans l'ouverture afin de regarder tout en bas. Il faisait sombre et il y avait l'équivalent de plusieurs étages, mais Reykjavík distinguait clairement la silhouette de Tokyo allongée tout en bas, le visage brillant de sueur et de larmes, et Denver qui enroulait un bandage autour d'un morceau de bois plaqué contre la cheville gauche de la brune, sans doute pour servir d'attelle de fortune. Les traits crispés de douleur de la jeune femme se muèrent difficilement en un sourire lorsque Tokyo aperçut le visage inquiet encadré de mèches blondes désordonnées, et Reykjavík répondit à ce sourire de son mieux, mais elle ne parvint pas à faire transparaître son soulagement dans cette expression : cette contraction de ses muscles semblait bien plus térébrante que joyeuse, car la douleur de voir son amie effondrée et blessée au fond de ce trou était trop vive. Reykjavík imaginait que Tokyo était trop faible pour s'accrocher aux épaisses cordes qui pendaient depuis le sommet de ce tunnel vertical et que ses bras avait fini par lâcher. Elle était vivante, mais si l'explosion n'avait pas couvert son cri lorsqu'elle avait touché le fond, le cœur de Reykjavík serait sans doute serré plus encore.

Denver suivit le regard de Tokyo et il aperçut à son tour Reykjavík. Lui aussi lui adressa un sourire, puis il passa les bras autour de la brune endolorie pour la tirer hors du monte-charge. Les deux silhouettes disparurent, et Reykjavík scruta un instant de plus la pénombre du monte-plats en traduisant intérieurement l'échange qui venait d'avoir lieu :

« Je vais bien, lui aurait confié Tokyo si elle avait pu lui parler à voix haute sans risquer de compromettre la couverture de Reykjavík. Ça va aller, on va s'en sortir.

— Si tu le dis..., aurait répondu la fausse policière.

— Courage Reykjavík, tu te débrouilles bien. Ça va aller, on va s'en sortir », aurait quant à lui dit Denver.

Reykjavík avala sa salive tout en répétant intérieurement ces quelques mots. Ça va aller, on va s'en sortir. Ça va aller, on...

« Alors ? »

Surprise, la femme en combinaison rouge manqua de sursauter. D'un même mouvement brusque, elle sortit la tête du conduit et pivota pour voir que Sagasta était à un mètre sur sa gauche.

« Il y a plusieurs étages, se reprit-elle rapidement. Les blessés vont avoir du mal à descendre, alors si on y va ça sera sûrement un aller simple.

— Merde », souffla le commandant.

Reykjavík s'écarta du monte-charge pour laisser le militaire voir par lui-même, et elle passa la sangle de son fusil d'assaut autour de son épaule droite afin de libérer ses mains. Sans prendre la peine d'essuyer la poussière et les cendres qui maculaient sa peau, la braqueuse sous couverture détacha rapidement ses cheveux pour pouvoir refaire sa queue de cheval et éviter que des mèches blondes viennent troubler sa vision au cours d'un moment crucial. Reykjavík avait hâte de prendre une douche, elle voulait se débarrasser de la crasse, de la sueur, sans parler des résidus de tir : elle était probablement recouverte d'un mélange invisible de plomb, de baryum et d'antimoine, et une quantité de carbone relativement importante devait se mélanger à la poussière qui noircissait légèrement sa peau et ses vêtements.

« On va descendre, annonça Sagasta en revenant vers le centre de la cuisine. Les moins blessés vont aider les autres. Ortega, pour le moment tu restes ici, rejoins Ramiro et aide-le à repousser ceux du musée le plus longtemps possible. Repliez-vous quand ça deviendra trop dangereux, et retrouvez-nous en bas. Comme tu n'as ni blessure aux bras ni aux jambes, tu descendras rapidement, mais il faudra sûrement que tu aides Ramiro. OK ?

— OK, confirma Reykjavík après un hochement de tête. Par contre j'ai plus beaucoup de munitions...

— Attends, tiens », intervint l'un des militaires.

Hernando s'approcha du corps inerte de Canalejas, et il récupéra les trois chargeurs que le défunt n'avait pas eu l'occasion d'utiliser. Le militaire apporta ensuite les munitions à Reykjavík, qui le remercia avant d'accrocher ces chargeurs à sa tenue.

« Bon, on y va ! » conclut alors Sagasta à l'attention de tout le monde.

Les militaires restants se rassemblèrent ensuite au pied du monte-charge, et Reykjavík prit la direction du sellier. Elle traversa la pièce qui leur avait servi d'accès à la cuisine, et elle passa bientôt dans le gouffre laissé par les explosifs.

« Ramiro ? » appela-t-elle pour ne pas surprendre le militaire resté à l'arrière.

L'homme aux blessures impressionnantes et profondes pivota aussitôt la tête vers la nouvelle arrivante, et Reykjavík lui résuma la situation. « Canalejas s'est fait descendre, Tosco est mort aussi, il était trop près des grenades qu'une des braqueuses a balancées. Les trois voleurs se sont barrés par un monte-charge. Sagasta et les autres vont le suivre, nous on reste là pour contenir ceux du musée, et quand on tient plus on se replie pour rejoindre le reste du groupe », expliqua-t-elle en enjambant des débris pour rejoindre Ramiro. Le pyromane hocha lentement la tête avant de se reconcentrer sur la porte de métal sur laquelle les braqueurs s'acharnaient toujours pour atteindre la salle de réception et la cuisine.

Reykjavík s'abrita derrière une statue en marbre, à deux petits mètres de Ramiro, et elle se mit en position de tir, surveillant maintenant elle aussi la porte du musée. Elle ne ralluma pas son brouilleur, car elle ne pensait pas cela utile : pour l'instant le reste du commando n'avait aucune raison de tenter de communiquer avec Ramiro, et lorsqu'il deviendrait intéressant pour eux de le faire, ce serait sans doute après l'entrée des braqueurs, et il y aurait donc un risque important de bloquer également les échanges de la troupe aux noms de villes. Évidemment, Reykjavík voulait éviter ça.

Alors, la blonde aux yeux gris attendit en regardant la lourde porte de métal, les yeux parfois attirés par des cendres qui s'élevaient au-dessus de quelques flammèches isolées oscillant dans l'air entre la barricade et le musée.

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