Chapitre 36 : Peter
Une semaine que Will est à l'infirmerie. Il se remet peu à peu de ses côtes fêlées.
Avec Lucas et Simon (il nous a rejoint à mon grand mécontentement), on sort de la bibliothèque, après avoir finis nos devoirs. Je les quitte ensuite pour aller voir comment va Will.
Il finit de lire La ferme des animaux de Georges Orwell quand j'arrive. Je m'installe à la chaise d'à côté.
- Salut, me lance t-il après avoir refermé son livre.
- Salut. Comment tu te sens ?
- Ça va et toi ?
- J'ai toujours envie de casser la gueule à Simon mais sinon ça va.
- Peter, il m'a sauvé la vie, tu te souviens ?
- Après nous avoir insulté copieusement.
Il soupire. Il sait pourtant que je suis têtu. Je l'embrasse pour couper court à la conversation. Quand je finis par m'écarter, à contre-cœur, j'aperçois cet éclat dans ses yeux que je vois à chaque fois quand je suis avec lui. Ça me fait sourire.
Mais soudain ses yeux sont remplacés par un sérieux comme je n'en avais jamais vu.
- Peter. Il faut que tu saches.
- De quoi est-ce que tu parles ?
- Tu m'as raconté ton passé et tes démons. C'est à mon tour.
- Will... Tu n'es pas obligé. Si je l'ai fait, c'est parce-que, grâce à toi, je suis comme... "Guéri". Enfin, presque. J'y pense de moins en moins.
- Mais moi aussi ! Tu mérites de savoir. Tu étais là quand j'en avais besoin, et tu es là aujourd'hui.
Je sais qu'il fait allusion à la fois où je l'avais vu plié en deux, en pleurant, et que je l'avais emmené au café où nous étions avec la bande.
La bande... Elle n'existe plus à présent. Elle s'est dissous. Le temps où j'y appartenais me semble être une éternité.
Will commence son récit.
- Tout s'est passé il y a quelques années. Mon père travaillait beaucoup, alors je le voyais assez peu. Je m'entendais super bien avec ma mère, toujours là quand j'en avais besoin. Une fois, on a fait des courses. Il pleuvait super fort avec de l'orage. Mais on était obligé d'y aller car j'avais besoin d'un jogging pour le lendemain, et l'ancien était rempli de trous. Sur le retour, nous étions sur la route qui n'arrêtait pas de glisser.
J'attrape sa main.
- La pluie et l'orage n'arrêtaient pas de tomber mais il était déjà tard et on ne pouvait pas se permettre une pause. On roulait lentement. Puis ma mère a tourné la tête vers moi pour me dire quelque chose. Il a fallu d'une seule seconde. Une seule seconde pour qu'elle perde le contrôle de la voiture. Une seule seconde pour que la voiture glisse et percute un arbre.
Il sert ma main davantage.
- Le choc a été violent. On a été transporté d'urgence à l'hôpital. J'ai plongé dans le coma pendant deux mois. Deux mois où j'entendais tout mais où je ne pouvais rien faire, ni bouger, ni parler. J'entendais mon père venir, me parler, me supplier de parler, pleurer, je voulais tellement lui répondre, ou faire un geste pour lui faire comprendre que j'allais bien. Une horreur. Quand je me suis réveillé, tout me piquait les yeux. Le blanc de l'hôpital, la lumière... J'ai demandé comment allait ma mère. L'infirmière n'osait pas me répondre... Et j'ai su. J'ai su que quelque chose de grave était arrivé. Le médecin qui est venu m'a avoué que ma mère était morte. Tuée sur le coup.
Les larmes montent aux yeux de Will. Je ne m'attendais pas à ça. C'est simple, j'ignorais tout. Je sers ma main encore plus fort, pour lui dire que je suis là.
- J'ai voulu hurlé. Littéralement. Mais je n'ai pas pu. Rien n'est sorti de la bouche. J'étais traumatisé par cet accident, je ne pouvais plus parler. J'ai ressenti une douleur horrible, comme si on m'arrachait le coeur. Et j'arrêtais pas de me demander "pourquoi elle ? Pourquoi elle et pas moi ?". Je m'en voulais d'être en vie alors que elle n'était plus là. Je m'en voulais de vivre. Je voulais mourir. Quelques semaines plus tard, j'étais retourné à la maison. J'étais tenté de mettre fin à ma vie, pour la rejoindre, puis j'ai pensé à mon père. Il a déjà perdu sa femme, je ne voulais qu'il perde également son fils. Sauf qu'il ne l'a pas supporté. Il a plongé dans l'alcool, ne travaillant même plus. Je suis retourné au lycée. Je n'étais plus comme avant, et voyant que je ne parlais plus, mes amis m'ont tous abandonné. Tu connais la suite. Je rentrais tous les soirs et nettoyais le vomi de mon père. Pendant des mois. Chaque soir, il me disait qu'il était un père indigne, qu'il s'en voulait, qu'il arrêterait. Un jour, quand j'ai enfin craqué, il a arrêté. Il a trouvé un nouveau travail qui le payait mieux qu'avant, notre relation s'est amélioré.
Il pleure vraiment à présent, et je m'en veux de me sentir impuissant. Je l'ai alors embrassé, un baiser qui respirait l'espoir, car nos démons ont disparu, ou presque. Nous n'étions que deux âmes perdus, et on venait de se retrouver.
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