CHAPITRE 5

Alors que j'avais dans l'optique de faire demi-tour, son annonce me liquéfie sur place. Mon père ? Il connaissait mon père ? Comment ça ? Et pourquoi parle-il de lui comme s'il n'était pas mort ? Nous avons tout de même été à son enterrement !

Le sang quitte mon visage, pendant que je lorgne mon interlocuteur. Ce dernier ne bouge pas d'un poil, attendant certainement que je dise ou fasse quelque chose. Autant dire qu'il m'a cloué le bec. Mes pensées sont désordonnées, et je sens poindre une migraine.

Voyant que je ne serai pas la première à reprendre cette conversation, il toussote.

– Bien, je crois que j'ai réussi à attirer votre attention.

Malgré son ton ironique, je peux constater qu'il n'a plus la même morgue que quelques minutes plus tôt. Au contraire, il semble presque gêné, comme si... il ne s'attendait pas à ce genre de réaction de ma part.

Je papillonne des yeux, la bouche ouverte. C'est comme si tous les mots que je voulais dire venaient de se bloquer dans ma gorge. Une barrière que je suis incapable de casser.

Mon père...

– Vous devez penser que j'affabule, que je fais pour vous avoir dans la poche, mais détrompez-vous.

J'acquiesce, sans pour autant avoir un avis tranché sur ce qu'il me dit. Il parle, j'écoute. Il s'explique, je digère. Enfin, j'essaye.

– Asseyez-vous, s'il vous plaît, ça risque d'être long.

Cette phrase est comme un électrochoc. Ça risque d'être long ? Mais je n'ai pas de temps devant moi. Une attaque de démons est prévue, et je dois retrouver mes coéquipiers. J'avais dit une heure, pas plus.

Jetant un rapide coup d'œil vers ma montre, je constate qu'il me reste encore un bon quart d'heure avant de les rejoindre. J'ai un peu de temps. Néanmoins... est-ce que je veux vraiment écouter ce que cet homme a à me dire ?

– Je ne vous retiendrai pas longtemps, complète-t-il en voyant mon geste. Juste le temps de vous expliquer en quelques mots, OK ?

Je soupire, perdue. Est-ce que je vais lui laisser une chance de m'expliquer tout ça ? Est-ce que je vais le croire ? Est-ce que je vais le laisser me parler de mon père ?

Car bien qu'il soit mort depuis quelques années, la douleur de son absence est encore vive. Je pense à lui chaque jour. Alors que cet inconnu ravive ce souvenir ne me plaît pas forcément. Logique.

Je hausse les épaules, vaincue. Ma curiosité finira par causer ma perte. J'avise une chaise avant de m'y installer.

– Allez-y, vous n'avez pas beaucoup de temps. Comme vous vous en doutez, je suis assez pressée. Mes amis m'attendent, et vos démons vont attaquer d'une minute à l'autre.

Je veux bien lui accorder le bénéfice du doute, mais il faut aussi qu'il comprenne que je ne perdrai pas mon temps avec lui, quoi qu'il ait à me dire.

Son sourcil gauche se relève. L'agacement se lit un peu sur son visage. Rien à foutre. C'est lui qui veut me parler, pas moi.

– Et d'abord, vous vous appelez comment ? Car nous ne sommes pas à égalité. Vous semblez me connaître. Pas moi.

Ses yeux pétillent de malice.

– En effet. Je m'appelle Dennis. Pour vous répondre concernant les démons, ils n'attaqueront pas.

– Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?

Fouillant dans sa poche, il me montre du bout des doigts un talkie-walkie qu'il secoue.

Je ne peux m'empêcher de ricaner.

– Parce que vous allez me faire croire qu'ils vous comprennent et qu'ils écoutent vos ordres.

Il penche la tête sur le côté, visiblement amusé de ma réaction.

– Vous n'imaginez pas à quel point vous êtes loin de la vérité. Il me semble que votre hiérarchie ne vous ai pas tout dit, concernant ces bestioles.

– Des... bestioles, réagis-je, outrée. Des monstres assoiffés de sang, qui tuent sans remord et sans vergognes. Des ombres invisibles aux yeux des humains et qui en profitent outrageusement !

Cette fois, il explose franchement de rire.

– Eh bien... Je vois que j'ai plein de choses à vous apprendre.

Je me relève d'un bond de ma chaise, vexée. De quel droit se permet-il ce genre de remarque ? Il pense réellement que je vais me laisser faire et acquiescer à tout ce qu'il dit ?

– Je crois que nous n'avons plus rien à nous dire. Vous m'avez fait perdre mon temps, il est temps que je m'en aille.

– Au contraire, je crois que nous avons énormément de choses à nous dire. Ou plutôt moi à vous révéler. Je pensais que votre mère vous avait un peu plus renseignée que cela.

Je vois rouge. Qu'il me critique me déplaît déjà assez – après tout, il ne me connaît pas –, mais qu'il ose parler ainsi de ma mère, ça ne passe pas du tout.

– Je ne vous permets pas de parler d'elle. Vous ne la connaissez pas et ne savez en aucun cas quels renseignements elle aurait pu me donner ou non !

Je sens monter en moi une colère monstrueuse, que je vais avoir du mal à canaliser si je reste dans cette pièce avec cet énergumène qui me déplaît de plus en plus.

Il soupire.

– Vous êtes têtue comme une mule. Vous ressemblez vraiment à votre père.

Je me fige au milieu de la pièce, alors que je sens mes jambes devenir des guimauves. Seconde fois qu'il fait mention de mon père.

Je suis curieuse d'en savoir plus, et surtout de savoir pourquoi il parle de lui au présent, néanmoins, j'ai besoin de prendre l'air, de prendre du recul et de réfléchir à tout ça.

Je me masse les tempes, dérangée par ce mal de tête qui commence à devenir lancinant.

– Mon père est mort depuis trois ans. Arrêtez de parler de lui au présent, il n'est plus.

– Ou peut-être que si.

Il lâche cette phrase comme s'il parle de la pluie et du beau temps. C'est pas possible, il est dérangé, ce gars.

Les yeux écarquillés, je reste bouche bée.

– Arrêtez avec vos conneries, j'ai assisté à son enterrement. Toute ma famille et ses collègues de travail étaient là.

– Quelqu'un d'autre le remplace dans son cercueil.

– Non mais, ça ne va pas ! m'exclamé-je, hors de moi. Vous n'avez pas honte de profaner à ce point une personne morte ?

– Je ne profane rien du tout, puisque je vous dis qu'il est en vie. Vous voulez une preuve ?

Il me met au défi, je le sens bien. Je ne sais pas dire non à un défi. Et là, maintenant, cela m'agace prodigieusement.

– Allez-y, lâché-je, les bras croisés sur ma poitrine, la tête haute.

Il lance un regard à son portable, un fin sourire sur les lèvres.

– Je vous donne rendez-vous ce soir, à minuit.

Je hoquette, surprise. Il se fiche de moi, là.

– Comment ça ? Et où ça ?

– Vous vouliez une preuve, non ? Alors je vous la donne : rendez-vous ce soir à minuit, à l'angle du cimetière.

Une goutte de sueur perle dans mon dos. Le cimetière ? Que veut-il que...

Oh non, non. Il ne va pas oser ?

– Nous allons vérifier que c'est bien votre père qui repose dans sa tombe.

Si, il a osé. Il veut profaner la tombe de mon père, afin de prouver qu'il a raison ! Non mais, j'hallucinais !

Bouché bée, je ne sais que dire. Alors, il prend les devants, se lève, ouvre la seule fenêtre de la pièce et passe sur la mini-terrasse. Avant de tourner définitivement les talons, il me regarde une dernière fois, pour confirmer le rendez-vous.

– Soyez à l'heure, je ne tolère aucun retard.

Et il s'en va. Comme ça.

Choquée, les jambes tremblotantes, je me laisse tomber au sol. Première fois de ma vie qu'un inconnu arrive à me troubler. Et à remuer autant le passé.

Vais-je être assez curieuse pour aller faire un tour dans cet endroit lugubre, ou bien vais-je garder cette suspicion dans de ma tête toute ma vie ?

Je connais déjà la réponse... Je vais y aller, évidemment. Si mon père est en vie, je veux une explication, et plutôt deux fois qu'une.

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