CHAPITRE 4
L'atmosphère glaciale et rance de la pièce me saute au nez. Je tire une grimace avant de refermer derrière moi et d'allumer. La luminosité de l'ampoule m'agresse les yeux, m'obligeant à fermer quelques secondes les paupières, le temps de m'acclimater.
Le même ricanement que tout à l'heure se déploie autour de moi et ricoche contre les murs. L'endroit est exigu et les étagères en fer qui la complètent n'aident pas à s'y sentir bien. J'ai l'impression que les parois se rétrécissent au fur et à mesure.
Des courants d'air me frôlent de tous les côtés, faisant du même coup monter mes nerfs.
– Assez joué ! Montrez-vous !
Un caquètement retentit derrière moi. Me retournant, à l'affût, j'en profite pour sortir mon épée.
Tu n'auras pas besoin de cette arme de pacotilles aujourd'hui.
Je ris jaune.
– Cette arme de pacotilles, comme vous dites, a déjà tué des centaines de vos congénères.
Sais-tu qui je suis ?
– Montrez–vous et je le saurai.
L'ampoule au-dessus de ma tête clignote en réponse.
– Ce n'est pas le moment de jouer ! Montrez-vous, bon sang !
Je sens que je perds le contrôle, que la colère prend le pas sur l'intelligence et le calme qui me caractérisent normalement. Il faut que je trouve quelque chose pour m'apaiser.
La patience est une vertu.
– Je vous en foutrai, une vertu, grommelé-je pour moi-même.
Mieux vaut la patience à la précipitation.
– Ce n'est pas le moment de faire de l'esprit ! Montrez-vous ! répété-je pour la troisième fois.
Et tu feras quoi, ensuite ?
Un sourire carnassier fige mes traits.
– Je vous ferai rejoindre vos congénères en Enfer, susurré-je.
Que sais-tu de l'enfer et de l'endroit où les démons morts sont envoyés ?
La voix a changé d'endroit. Je me tourne vivement sur ma droite, les pieds bien campés au sol, la lame de mon épée perpendiculaire à mon corps.
Je ne prends pas la peine de répondre à sa question. J'en ai marre de ce dialogue de sourds. Il est temps de passer à l'action.
Les yeux clos, je me redresse afin de me concentrer. Alors que je sens l'ombre passer devant moi, derrière moi puis sur les côtés pour me déstabiliser, mes sens s'affûtent pour détecter enfin un mouvement humain sur...
Humain ?
Je hoquette. Les paupières grandes ouvertes, je regarde face à moi.
– Co... Comment c'est possible ?
– Quoi donc, ma chère ?
Les sourcils froncés, je fixe l'homme face à moi. Ce n'est pas un démon, du moins, il n'en a pas l'apparence. Vêtu d'une longue cape noire et de chaussures en daim marron, il me toise, amusé. Je déteste cette lueur dans ses pupilles.
– Vous vous fichez de moi ! Vous êtes quoi ?
– Quoi ? fait-il mine de s'insurger. Je suis touché par tant de méchanceté de votre part.
Une main sur le cœur, il avance de deux pas vers moi, tandis que j'en fais deux autres en marche arrière.
Garder une distance convenable.
– C'est vous qui me parlez depuis tout à l'heure. Mais qui êtes-vous ? Comment avez-vous fait pour...
– Que de questions qui me donnent mal à la tête. Parlons comme des gens civilisés.
– Je ne fricotte pas avec les démons, m'insurgé-je.
– Qui vous dit que j'en suis un ?
– Votre façon de...
– Oui ? m'incite-t-il à continuer, d'un geste ample de la main.
Je secoue la tête. Pourquoi je continue à lui parler, alors qu'il me suffit juste de l'attaquer ?
La seconde suivant ma réflexion, un couteau vole vers son visage. D'un simple geste du bras, l'arme dévie sa route pour se planter dans le mur à sa droite.
Choquée, j'essaye cependant de ne rien montrer. Ne pas montrer ses faiblesses à ses ennemis. Première règle que je tente d'appliquer jour après jour. Mais cet... homme, me déstabilise trop. Il m'intrigue, aussi. Qui est-il ?
– N'avais-je pas demandé à ce que nous échangions entre êtres civilisés ? ricane-t-il.
Bien qu'il semble amusé, je sens au son de sa voix que je l'ai irrité. Moi, ou le couteau ? Qu'importe, cette idée me plait beaucoup.
Un rictus d'amusement fend mes lèvres. Son visage se crispe encore plus, tandis que ses poings se tordent.
– Allez-vous enfin me dire qui vous êtes et pourquoi vous êtes là ?
Et vous, allez-vous essayer de m'écouter cinq minutes ?
Cette fois, je ne peux retenir un cri de surprise. Alors qu'il a posé sa question, ses lèvres n'ont pas bougé d'un iota. Comment fait-il cela, bon sang ?
– Enfin, vous montrer un signe de nervosité !
Je fronce le nez. Ce mec est barjo. Il faut que je m'éloigne le plus vite possible.
Ma main libre tâte le vide derrière moi, avant de toucher la poignée de la porte. Sa matière froide me soulagea, et je sens mes épaules se décontracter un peu.
Alors que je l'enclenche, une force surnaturelle la relève.
– Tut, tut, tut. Qu'est-ce que je vous ai dit, tout à l'heure ? Si vous partez maintenant, votre frère et votre mère en payeront les conséquences.
– Qui me dit que vous ne bluffez pas ? Vous ne ressemblez pas aux démons que j'ai déjà croisés.
– Peut-être parce que je n'en suis pas un. Et il n'y a pas que les démons qui soient capables d'attaquer des humains.
Je hausse un sourcil en baissant ma main, prête à dégainer une autre arme.
– Soit. Si vous n'êtes pas un démon ni un humain, qu'êtes-vous ?
– Ma condition semble terriblement vous intéresser, à ce que je vois.
Ma patience a des limites, et il s'en rapproche doucement.
L'énorme sourire qu'il m'offre me fait comprendre qu'il a suivi le cours de mes pensées.
– Asseyez-vous, m'indique-t-il en faisant apparaître une chaise d'une torsion du poignet.
– Non merci. Je préfère rester debout, sait-on jamais, rétorqué-je, butée.
Faut pas non plus abuser.
– Comme vous le sentez, hausse-t-il les épaules.
Un long silence suit sa phrase. J'en profite donc pour mieux le regarder. Brun aux yeux verts, il dégage certes un charme ravageur. Cependant pas mon style. La cicatrice qui barre son visage de l'œil gauche à la lèvre gauche, montre qu'il aime les combats. Je ne vois pas très bien avec sa cape, mais son corps me parait svelte. Pratique pour se fondre dans la masse. Il doit aussi, sans aucun doute, être assez agile pour se transformer en ombre.
C'est bien cela dont il était question, non ? Enfin... C'est bien lui qui m'a tourné autour depuis que je suis entrée dans la remise, non ?
– Dites donc, votre cerveau semble carburer à plein régime. Vous pourriez éviter de trop penser, ça me donne des migraines assez désagréables.
Je le fusille du regard. Mon Dieu, mais qu'est-ce qu'il raconte ? Est-ce qu'il peut lire dans les pensées ? Dans mes pensées ? C'est quoi cette mauvaise blague, encore ?
– S'il vous plaît, arrêtez de penser, geint-il, les mains sur les tempes.
– J'arrêterai de penser, quand vous m'aurez dit qui vous êtes et ce que vous me voulez.
Je cale mon dos contre le mur et croise les bras, en signe d'impatience.
– Très bien, très bien. Mais vous n'allez pas du tout apprécier ce que je vais vous dire.
– Ce n'est pas comme si votre présence me plaisait, répliqué-je vertement.
Amusé, il me lance un clin d'œil. Je soupire. Je ne suis pas sortie de l'auberge, avec un gus pareil.
Alors que je vais de nouveau ouvrir la bouche – et pour m'énerver une bonne fois pour toutes – il lâche la phrase que je m'attends le moins à attendre.
– Je connais très bien votre père.
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