CHAPITRE 3
Pour éviter d'être retardés par des bouchons ou les gens en général, nous prenons la route des égouts. À force, nous les connaissons par cœur, et ce qui, au début, semblait être un labyrinthe, est vite devenu un terrain de jeu pour nous.
Il ne nous faut qu'un petit quart d'heure pour rejoindre le centre commercial, qui se situe seulement à quelques pas de notre base. Vérifiant que personne n'a le regard rivé sur la route et la plaque d'égout, nous sortons un à un avant d'aller dans l'ombre d'une petite ruelle, pour mettre au point un semblant de plan.
Jetant un coup d'œil vers l'entrée du grand magasin, je ne peux retenir une grimace. Les gens affluent par grappe, courent presque pour atteindre la porte coulissante. Merde. Ils ont bien choisi leur jour, ces bougres.
- L'affluence est grande, grogne Luc.
- Il va falloir que l'on passe par le toit et la porte de service, pour ne pas nous faire remarquer, avance Tiana.
Je plisse le front. J'ai une autre idée. Lorgnant ma tenue et celle des autres, j'avance un autre plan.
- Et si on se séparait par équipe de deux ? Le premier groupe entre par la porte d'entrée, fait comme de rien n'était, et l'autre passe par les toits.
- Ça risque d'être dangereux. On va vite se faire repérer par les gens qui ne pourront pas s'empêcher de nous lorgner bizarrement, rétorque Marc.
- Ce n'est pas faux, mais il faut aussi qu'on inspecte le maximum de mètre carré le plus rapidement possible. Je ne veux pas qu'ils attaquent les innocents, et si pour ça je dois passer pour un énergumène auprès des gens lambda, aucun souci.
Luc hoche la tête, et je comprends alors qu'il est de mon avis. Tiana est plus difficile à convaincre. Les sourcils arqués, elle semble peser le pour et le contre.
Après plusieurs secondes qui me semblent des minutes, elle hoche subrepticement la tête. Je souffle, soulagée.
- Très bien ! finit par accepter le dernier membre du groupe. On fonctionne comment, alors ?
Étant donné que c'est moi qui ai avancé ce plan, ils attendent tous la suite.
- Tiana et Marc, vous prenez le toit, vous êtes plus agiles que Luc et moi et vous arriverez plus vite que nous, c'est certain. Quant à nous, nous allons nous fondre au maximum dans la foule. Nos armes sont bien cachées, continué-je en vérifiant mes dires, les gens n'y verront que du feu. Au pire, ils pourront croire que nous sommes déguisés, ce qui ne serait que mieux.
Marc grommelle pour la forme, mais je comprends qu'il adhère peu à peu à mon idée.
Lançant un regard rapide sur ma montre, je pousse un juron.
- Merde. Il ne nous reste plus beaucoup de temps. L'attaque va bientôt avoir lieu. Il faut absolument savoir où elle va commencer. L'idéal serait d'avoir accès aux caméras, pour avoir une vue d'ensemble, pensé-je tout haut.
- Ouais, mais nous ne sommes pas dans un film d'espionnage, complète mon amie, sarcastique. Il va falloir se débrouiller sans.
C'est certain. Cependant, ils ne me connaissent pas totalement. Bien que je leur fasse confiance, il n'en est pas moins que je garde certaines choses pour moi. Comme le fait que je peux repérer un démon à la ronde. Comme si j'avais un radar implanté dans mon cerveau.
Je feins d'être embêtée, mais dans ma tête, c'est la tempête. Comment je vais pouvoir foncer dans le tas en sachant pertinemment où ils sont, sans en informer totalement Luc ? Il va falloir que je brode une explication, et que cette dernière soit logique à ses yeux. J'ai envie de hurler de frustration.
Bref, ce n'est pas le moment de râler, il faut attaquer et protéger les habitants de cette ville.
- Bien, tout le monde est prêt ?
Chacun hoche la tête et nous nous séparons. Tiana et Marc partent de leur côté, et j'attends de ne plus les voir pour me fondre dans la masse à mon tour. Les regards soucieux et intrigués des gens roulent sur mon corps. Je ne fais absolument pas attention à eux. J'ai un objectif, et lui seul m'importe.
***
Je les sens, ils sont tout proches. Comme si j'étais reliée à eux, leur présence est ancrée en moi. Leur flux démoniaque me monte à la tête, comme une odeur entêtante et désagréable.
Me concentrant sur chaque entrée, chaque magasin, j'aiguise ma vue au maximum, afin de ressentir au mieux leur présence. Car ils sont là, et plus proches que je ne le pensais.
Tournant sur moi-même, mes yeux voguent tantôt vers le haut, tantôt vers le bas. Quelle idée de faire un centre commercial à plusieurs étages ! À côté de moi, j'aperçois Luc sortir de sa poche l'appareil qui nous permet de détecter leur flux démoniaque. Une petite boite noire qui nous a sauvés plus de fois qu'on ne le pensd.
- Alors ? chuchoté-je en passant à côté d'un couple de personnes âgées, main dans la main.
Il me répond d'un geste négatif de la tête, un pli de concentration barrant son front.
Nous sommes là.
Je sursaute et réfrène un cri de surprise.
Les pupilles écarquillées, je fais de nouveau un tour du propriétaire, sur mes gardes.
Nous avons un message à te faire passer.
J'ai envie de hurler. Qu'est-ce que c'est, ça ? Tout de même pas ces monstres qui me parlent ?
Si tu ne nous rejoins pas d'ici cinq minutes, ton frère et ta mère risquent d'avoir quelques bobos.
Un ricanement désagréable parvient à mes oreilles. Je grimace. Merde, merde, merde.
Bien qu'ils n'aient jamais montré qu'ils sont doués de parole, je sais néanmoins que leur envie de tuer et blesser est ce qui les font vivre. L'adrénaline de sentir le sang, la peur dans les veines de leurs victimes.
- J'ai un signal !
Mon coéquipier me tend sa petite machine et me montre du pouce le point rouge qui clignote à tout va au milieu de l'écran.
- Et ça correspond à quel endroit ?
Il fronce les sourcils avant de prendre son portable et d'ouvrir le plan du centre.
- Comment as-tu eu ce plan ? demandé-je, intriguée.
- Je ne suis pas l'informaticien du groupe pour rien. Et il s'agit de la réserve, au deuxième étage.
Viens seule.
Encore cette voix ! Je vais devenir folle. Il va falloir que je trouve un subterfuge pour que Luc ne vienne pas avec moi. Il est intelligent et assez débrouillard pour déceler un mensonge. Soit. Je vais trouver.
- Très bien, allons-y.
Il ne nous faut que quelques minutes pour atteindre la fameuse pièce. Une fois devant la porte fermée, je me tourne vers Luc.
- Il y a un gros flux ou pas ?
Il jette un rapide regard vers la machine avant de hocher négativement la tête.
- OK. Alors je vais y aller seule. À mon avis, ils sont plusieurs, et à différents endroits. Il vaut mieux que l'on se sépare. Essaye de faire tous les étages, toutes les pièces sombres, où seuls les employés peuvent accéder. Même s'ils veulent faire une attaque de masse, j'ai l'impression qu'ils cherchent d'abord à nous tendre un piège. Sauf que nous sommes plus rusés qu'eux.
La bouche ouverte pour contrer mon plan, mon ami croise les bras.
- Il est hors de question que je te laisse seule face à ces monstres. Je sais que tu te bats bien, là n'est pas la question, mais tu ne pourras pas venir à bout d'eux, en étant seule, Alexi. Tu as au moins besoin de mon aide.
Je savais que mon plan ne lui plairait pas, et qu'il ne serait pas aussi simple de le faire plier, mais je n'ai pas le choix. Il est hors de question que ceux que j'aime soient en danger, parce que j'ai refusé de les écouter. Coûte que coûte, je rentrerai seule dans cette pièce. Au risque d'être blessée.
- Luc, toi-même tu viens de le dire : je sais me battre et me défendre. Je n'ai pas envie d'avoir sur la conscience une centaine de blessés, ou pire, de morts. Si on peut atténuer les dégâts, il faut le faire. Et pour cela, le mieux est de surveiller le maximum d'endroits à la fois, de se séparer. Ça ne durera pas longtemps, juste le temps d'en tuer deux ou trois, et je te rejoins.
Je sais à cet instant que j'ai réussi à lui faire lâcher prise. Même s'il serre les poings, sa réplique est toute trouvée.
- T'as intérêt à revenir intacte, grogne-t-il.
Attendrie, je lui fais un petit sourire avant de l'embrasser sur la joue.
- Promis, Luc. Tu me connais.
- Justement !
Mes yeux pétillent. Oui, il me connaît et il sait pertinemment que j'aime me mettre dans des situations dangereuses. Pas ma faute si l'idée d'un combat me plait.
- Allez, file. Je suis sûre qu'on peut y arriver. Préviens les autres qu'on s'est séparés et qu'on se rejoint à la planque quand tout sera arrangé, OK ? Et essayez d'être discrets ! Je n'ai pas envie de nous voir demain dans les tabloïdes.
- Bah, évidemment qu'on va être prudents. Tu nous as pris pour des débutants, ou quoi ?
En réponse, je lui fais un simple clin d'œil, qui le fait grommeler. Je sais qu'il s'inquiète pour moi, comme c'est mon cas pour lui. Mais je dois y aller seule. Jamais je ne me suis séparée de mon partenaire. Mais à situation urgente, solution urgente.
J'attends qu'il ait disparu de ma vision pour coller mon oreille contre la porte de la remise.
Viens seule.
- Je suis seule, bande de ploucs, m'irrité-je.
D'une seule pression, j'abaisse la poignée et ouvre en grand la porte. Personne à l'horizon, c'est à moi de jouer. À moi de protéger les innocents qui font leurs emplettes.
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