CHAPITRE 10
- C'est bon, nous sommes assis, vous allez pouvoir tout me dire, enclenché-je.
Dennis a attendu que la serveuse vienne nous apporter notre commande, et pendant que je croque dans un donuts tout juste sorti du four et que le sucre fond en bouche, il ne cesse de me fixer, les bras en croix et le dos bien calé dans le dossier de sa chaise.
Ce qu'il peut m'agacer !
- Que savez-vous exactement des démons ?
- Pardon, vous vous fichez de moi ? Je vous demande de vous expliquer. J'estime avoir le droit à des réponses, après tout ce que j'ai enduré ces dernières heures, m'énervé-je.
Les gens autour de nous se retournent, et, gênée, je me ratatine sur mon siège. Bon, OK, ma voix a porté et la colère monte petit à petit en moi. Si celui qui se tient face à moi arrêtait de tourner autour du pot, il est évident que je serais plus calme. Enfin... je pense.
- Répondez à ma question.
La bouche ouverte pour répliquer, je me reprends au dernier moment. À trop faire ma têtue, nous n'avancerons pas. La fatigue commence à alourdir mon corps, et je veux rentrer pour dormir et alléger un peu mes pensées.
- Très bien..., abdiqué-je. Ce que je sais sur les démons ? Qu'ils sont impitoyables, des monstres sans vergogne, qu'ils tuent sans remord et qu'ils prennent un plaisir immense à faire peur aux innocents qui ne se doutent pas de leur réalité.
Dennis soupire froidement. Bon, cette description n'est pas vraiment ce que j'ai appris plus jeune, mais elle s'en rapproche fortement. Je n'ai aucune raison de lui mentir, et je dis tout simplement ce que je pense au plus profond de moi. Que ça lui plaise ou non. Et au pli qui barre son front, mon explication ne lui convient absolument pas.
Tant mieux.
- Vraiment ?
Le sourire sardonique qui suit sa réplique ne me plaît pas. Je fronce les sourcils et sa bouche s'étire encore plus.
- Vraiment, confirmé-je. Vous ne voulez pas non plus que j'en fasse l'apologie.
Il ricane.
- Et pourquoi pas ?
Je lève les yeux au ciel. Le pire, c'est qu'il semble sincère. Derrière son amusement, se cache quelque chose de plus sombre. Comme s'il mourrait d'envie de me dire quelque chose mais qu'il se retenait.
- Allez, qu'est-ce que vous ne voulez pas me dire ? Je suis prête à tout entendre.
- Vraiment ? réitère-t-il.
Le disque est rayé, ou quoi ? Les lèvres pincées, je ne dis rien et attends qu'il reprenne.
- Et si je vous disais que tout ce que vous avez appris sur les démons était faux ? Que toute votre éducation ne tenait que sur un mensonge ? Que l'on vous a fait un lavage de cerveau et que vous êtes bien plus importante que ce que vous croyez ?
Cette fois, c'est moi qui explose de rire. Sans doute un peu trop fort, car les clients se tournent une nouvelle fois vers nous, plus en colère que curieux.
- Je vous répondrai que vous êtes fou et que vous affabulez. Vous êtes un démon, mi humain certes, alors vous êtes sans doute doué pour mentir et pervertir. Et d'ailleurs, comment peut-on être un mélange des deux ?
C'est soit l'un, soit l'autre, non ?
Tout ça m'a coupé l'appétit. Déçue de voir qu'il me reste la moitié de ma pâtisserie, je recule néanmoins l'assiette. Même le bon chocolat chaud n'arrive pas à amadouer mon ventre.
- Il y a trop de choses à vous dire, que vous devez connaître.
- Commencez par le début, je trierai par la suite, le coupé-je, sarcastique.
- Depuis le début ? La Société vous ment depuis que vous avez appris à parler et à retenir les informations. Votre père est parti suite à ses découvertes sur les réelles intentions de ses patrons - et donc les vôtres. Alors qu'il ne pensait pas être inquiété plus que cela, ceux qui l'employaient l'ont retrouvé et ont essayé de le tuer.
Heureusement que je suis assise. Car je serai assurément tombée sous cette avalanche de révélations, toutes plus folles les unes que les autres. Il est difficile de croire à tout ce qu'il dit, et je n'ai pas envie qu'il ait raison sur tout ça.
La Société est bonne et m'a élevée sans jamais rien me cacher. Les démons, leurs massacres, je connais tout. Alors pourquoi iraient-ils me mentir ?
- Stop, tenté-je en levant une main devant ma figure pour le faire taire.
- Alors, pour leur échapper, reprend-il sans faire cas de mon malaise, il a imaginé un plan qui le débarrasserait définitivement d'eux : sa propre mort.
- Ça suffit..., chuchoté-je, la voix tremblotante.
Le sang quitte peu à peu mon visage, et je le sens fort bien. Les tremblements secouent mes jambes et mes mains. Ces dernières sont posées à plat sur la table. Il faut que je touche quelque chose de réel. Quelque chose qui me ferait comprendre que je ne suis pas en train de dormir, que je suis bel et bien dans ce café et que Dennis me sort vraiment toutes ces inepties.
- Jamais mon père n'aurait fait croire à une telle chose ! Il nous aimait, mon frère et moi. Il est impensable qu'il ait imaginé nous faire souffrir pour se sauver la peau.
Je réfute totalement tout ce qu'il dit. Surtout concernant celui qui m'a élevée. Il est hors de question qu'il salisse sa mémoire. Jamais. Quant à la Société, pour le moment, ce n'est pas ma priorité.
- Ce n'est pas une question d'aimer quelqu'un ou non, mais de survie. Il fallait qu'il trouve une solution pour vivre et continuer à démanteler leurs affaires. Il a réfléchi longtemps à tout cela, pour au final en arriver à cette seule idée.
- Jamais il..., hoqueté-je en sentant des larmes perler à mes yeux.
Cela me fait mal qu'il ait pensé à cette seule issue. Je comprends où Dennis veut en venir, mais... mon cerveau a du mal à l'accepter, tout simplement.
- Comment pouvez-vous savoir tout cela ? Vous m'avez bien fait comprendre que vous n'aviez pas le pouvoir de lire dans les pensées, avancé-je, pendant que le château de cartes que je me suis bâti s'écroule petit à petit.
Un sourire indulgent se peint sur ses traits, ce qui m'adoucit quelque peu.
- On peut dire que je suis en quelque sorte son bras droit. Qu'il me fait confiance et inversement.
Je hoche la tête, tandis qu'un reniflement peu sexy m'échappe.
- Je... D'accord. Et...
Merde, première fois que je perds autant mes moyens ! Je suis forte, d'habitude, rien ne m'atteint. Mais on parle de ma famille, de ma chair, de mon sang.
Si celui qui se tient face à moi est en réalité mon ennemi, il a trouvé mon point faible. Celui qui me ferait assurément plier. Touchez à quelqu'un que j'aime et vous pouvez être sûrs de me faire flancher.
- OK, très bien, soufflé-je, un peu pour moi-même, mais aussi pour lui. Je peux vous poser une question ?
Avant de me répondre, il avance sa main qu'il pose sur la mienne. J'ai l'impression de recevoir un électrochoc. Je la retire, comme si je m'étais brûlée. Je me doute qu'il veut m'apaiser, me montrer que je peux avoir confiance, mais c'est trop tôt. Beaucoup trop tôt.
- Pardon, marmonné-je, les joues écarlates.
Il hoche simplement la tête.
- Oui, il veut vous revoir. Il le souhaite du plus profond de son cœur.
Le mien s'arrête de battre en même temps que ma respiration se coupe. Peut-être que ce genre d'affirmation n'est pas importante pour lui, mais pour moi, elle a une valeur inestimable. Bien qu'elle me fasse peur, je veux le retrouver. Plus que tout.
- Je n'ai même pas eu le temps de vous poser ma question, tenté-je de me reprendre.
- Pas besoin. Je vous ai déjà dit que votre visage était très expressif. Vous êtes un livre ouvert. Littéralement.
Je hausse les épaules. Pour une fois, je n'ai rien à rétorquer. Il a raison. Je ne sais pas cacher ce que je ressens dans la seconde, c'est l'un de mes points faibles. J'essaye de travailler dessus, mais ce n'est pas facile tous les jours.
- Vous souhaitez encore quelque chose ?
Je sursaute, comme si on m'avait piquée, et lance un regard incrédule à la serveuse, qui vient de me faire reprendre pied dans la réalité.
- Tout va bien, mademoiselle ? s'inquiète-t-elle.
Je papillonne des yeux, sans arriver à ouvrir la bouche. La bulle dans laquelle j'étais sans me rendre compte vient d'éclater. Elle n'a pas été agréable, néanmoins, elle m'a permis d'échapper quelques secondes à toutes ces informations.
- Je... Pardon, m'excusé-je en me levant précipitamment et en me dirigeant vers les toilettes.
Une fois seule et les mains posées sur la vasque, je fixe mon propre visage dans la glace. Rouges, mes joues me piquent, alors que mes yeux semblent comme éclatés. Mon Dieu, quelle tête j'ai...
L'eau fraîche me fait un peu de bien et je laisse couler un filet dans mon cou et entre ma poitrine. Des frissons parcourent mon corps, ce qui m'aide à souffler un bon coup.
Je recule et me cogne dans la première porte des toilettes individuelles. Une chance pour moi, elle est fermée. Mon dos claque contre la paroi, tandis que je me laisse tomber au sol.
Ce que j'exècre par-dessus tout, c'est de me sentir faible, désarmée comme je le suis actuellement. J'aurai dû être forte, me relever et accepter toutes ces révélations. Cependant, je n'y arrive pas, j'ai besoin de souffler, de reprendre corps avec moi-même, avant d'écouter la suite du discours de Dennis. Car il est évident que ce n'est que le début. Qu'il a encore beaucoup à dire, et que la plupart me déplaira sans aucun doute.
- Vous vous sentez mieux ?
Cinq minutes - ou plus - se sont écoulées depuis, et il a bien fallu que je retourne auprès de mon interlocuteur. Je ne prends pas la peine de répondre à sa question : mon visage parle tout aussi bien pour moi.
- Voulez-vous que je vous ramène chez vous ?
Je relève la tête, tout de suite un peu plus requinquée, et acquiesce.
- Très bien. Vous avez en effet besoin d'ingérer tout ça et de vous reposer.
- De mettre mes idées à plat, grommelé-je.
- Également, confirme-t-il pendant que nous nous dirigons vers sa voiture. Je reviendrai vous voir d'ici quelques jours, d'accord ?
Je confirme une nouvelle fois, même si je ne suis pas certaine de vouloir le revoir. Quoique... Si c'est la seule façon de revoir mon père... Mon esprit est embrouillé et je ne sais plus quoi dire ou quoi faire.
Le retour se fait dans le plus grand silence, et la fatigue se fait ressentir. Néanmoins, je n'arrive pas à m'endormir, trop de choses en tête.
Je ne me souviens pas non plus quand nous arrivons chez moi, ni comment j'ai fait pour ouvrir la porte, monter dans ma chambre et me déshabiller. Seule la sensation de douceur de mon oreiller me permet reprendre possession de mon corps le temps de quelques secondes.
Une minute après, j'ai les yeux fermés et je dors profondément.
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