Chapitre 4 : questionnement et réflexion
Le reste de l'après-midi se déroula sans encombres, si bien que je ne vis pas la dernière heure de cours passer et sursautai à l'entente du bruit désagréable de la sonnerie.
Je me préparai alors en vitesse, rangeant à la hâte mes affaires de chimie dans mon sac à dos noir ébène. Je dis aussi au revoir à mon professeur, monsieur Dexter. Il était l'un des rares enseignants à m'accorder de la considération et de l'empathie. Contrairement aux autres, je n'hésitais pas à lui poser une question à la fin du cours si j'en ressentais le besoin car je savais qu'il ne me ferait aucune réflexion là dessus.
La plupart des profs jugeaient un élève sur ses notes, ne prenant pas la peine de le connaître réellement. Je trouvais cela encore plus flagrant en entrant au lycée cette année. Une fois en dehors de la salle, je marchai lentement dans la cour de récréation.
En regardant les bancs, je fus prise d'une émotion intense. À mi chemin entre la nostalgie, et le bonheur, une pointe de chagrin venait ternir ce tableau aux couleurs grisâtres, bien trop pour que j'eus espérer entrevoir ce qui se trouvait en dessous, quel « souvenir » pouvait m'évoquer pareille sensation, si bien qu'une perle salée dégringola sur mes joues pâles, venant laisser une trace éphémère sur le sol goudronné de la cour.
Ainsi, je restai immobile un instant, plongée dans une contemplation profonde, tentant de faire persister la mémoire qui ne semblait pas être la mienne. Cette situation me paraissait irréelle et incompréhensible, si bien que je n'arrivais pas à saisir mes propres actions. Pourquoi pleurer sans raison ? Comment en étais-je arriver à rester végétative devant un simple banc ? D'où venait mon mal de tête de tout à l'heure.
Une foule de questions se bousculaient en moi, toutes sans réponses. Ce fut un cri qui mit fin à ma rêverie dont j'ignorais la durée exacte. Avant même de pouvoir réfléchir, je me dirigeai à la hâte en direction du son. Celui-ci me conduisit au bout de quelques minutes dans un coin sombre de la cour, derrière un petit muret. En soit, un endroit à l'abris des regards indiscrets.
À mon arrivée, je vis juste Jean, agenouillé par terre, des larmes aux coins de ses yeux, une expression pitoyable sur son visage. Ses traits étaient fatigués, ses pupilles dilatés, toute lumière éteinte dans ses iris noisette. Il n'y restait plus que du désespoir. Mon corps réagit plus vite que ma pensée. Je tentai de poser une main sur son épaule, pour le réconforter. D'une petite voix, je lui demandai :
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Comme s'il venait enfin de me remarquer, il dirigea son regard vers moi, toujours végétatif. Au bout de quelques secondes, il se releva comme si de rien n'était, essuya les dernières larmes qui perlaient aux coins de ses yeux avec la manche droite de son pull gris, puis me répondit d'une voix monotone, comme s'il était dans un état second :
- Rien... il ne s'est rien passé... rien du tout.
Je m'apprêtai à lui rétorquer qu'il se foutait de moi, qu'il était clair qu'il était mal en point, vu son apparence presque pathétique, mais en le voyant partir d'une démarche vide, déshumanisée, les mots moururent dans ma gorge.
Qui étais-je pour prétendre pouvoir l'aider ? Il était clair que ses problèmes n'étaient pas tomber du ciel, et moi, je ne l'avais jamais remarqué. Peut-être même qu'il allait mal bien avant le lycée, quand nous étions encore amis. Et moi, j'avais juste passé mon temps à me morfondre dans ma propre tristesse, attendant que quelqu'un daigne me venir en aide alors que je n'étais même pas prête à faire de même pour quelqu'un d'autre.
Non, je le faisais toujours. Si je m'étais suicidée, c'était suite à un trop plein d'émotions à force de m'apitoyer sur mon sort alors que je n'étais pas la seule à souffrir. En fait, il était évident que certains vivaient bien pire. Avais-je le droit de me plaindre de mes soucis ? De m'être fait insultée, manipulée, tabassée, méprisée alors que d'autres vivaient au centuple mon calvaire quotidien ?
J'étais perdue et me trouvais dégoûtante, méprisable. Au fond, je voulais aider et réconforter Jean. Même s'il m'avait fait du mal, je ne pouvais pas rester insensible en voyant quelqu'un souffrir, je ne le pourrai jamais. Ce n'était donc pas l'envie qui m'en manquait. Je me sentais juste indigne de venir comme une fleur lui faire la leçon alors que j'avais ignoré ses sentiments pendant des années. Cela semblait... impossible.
Après de longues minutes à rester là, près de ce muret, complètement hallucinée par la situation, je me résolus à me mettre en route. Je sortis donc du collège et rentrai chez moi, faisant le trajet à pied, des souvenirs de cette journée plein la tête. Décidément, je ne comprenais plus ma vie depuis que je m'étais réveillé dans mon lit après être passée à l'acte.
Je soupirai alors, désespérée. J'avais beau me triturer les méninges pendant les heures de cours de l'après-midi, et les récréations, je n'arrivais à aucune conclusion logique. J'avais l'impression qu'il me manquait une pièce importante du puzzle pour commencer à le comprendre. Je ne savais pas laquelle.
Ainsi, ne pouvant pas résoudre ce mystère, j'avais choisi de le laisser de côté. De toute façon, il était clair comme de l'eau de roche que je ne trouverais pas maintenant alors à quoi bon s'acharner en vain ? Tout ce que je pouvais faire, c'était rester sur mes gardes.
Finalement, j'arrivai devant chez moi, un petit immeuble aux murs gris ternes, souvent tachés d'huile un peu plus loin, en raison de la présence de nombreux restaurants, qui au passage ne se souciaient pas que leurs portes en verre soient aussi fissurées que le téléphone de ma mère.
Bien sûr, la porte de l'immeuble, elle, était en bonne état. Enfin, il serait plus juste de dire qu'elle avait été rénovée car fissurée sur plus d'un mètre par un des voisins. Ici, il n'était pas rare, voire même commun de trouver des tâches de sang dans le couloir et les escaliers, ou des éclats de verre énormes au tournant, juste après l'escalier de mon étage, soit le numéro 2. Une barre métallique, accrochée sur la trappe menant au toit menaçait aussi de nous tomber dessus, n'étant plus retenue que d'un côté.
Parfois, j'avais l'impression d'être dans un film d'horreur. Je ricanai alors à cette pensée. Arrivant finalement devant ma porte, la numéro onze, je sortis mon trousseau de clés et l'ouvris. Ainsi, je tombai nez à nez avec mon chat à quelques mètres de ma position. Il avait un pelage noir d'encre et des yeux jaune pâle, qui pourtant brillaient presque dans l'obscurité. C'était un mâle qui devait être âgé de presque quinze ans, d'après le vétérinaire. Sa simple présence suffisait à me réconforter.
Je fermai donc en vitesse la porte à clé puis allai dans sa direction, le caressant pendant de longues secondes. Il ronronna en réponse, ce qui me fit sourire. Pourtant, il me vint à l'esprit que, en raison de l'espérance de vie moyenne d'un chat, il pouvait s'éteindre à tout moment. Je chassai bien vite cette pensée de mon esprit. Il ne servait à rien de me torturer avec ça. La mort était inéluctable, je ne le savais que trop bien. D'ailleurs, n'était-ce pas le seul point où les hommes étaient tous égaux ?
Je partai alors dans ma chambre, au fond du couloir de gauche, à droite de celle de ma mère qui ne semblait d'ailleurs pas être rentrée. Une fois dans mon havre de paix, je posai mon sac puis m'assis sur ma chaise de bureau, fis deux tours sur moi même, jouai un peu avec les roulettes sous mon siège, faisant des mini allez retour, puis finalement, sortis mes affaires et commençai à faire mes devoirs.
Au bout de deux bonnes heures, ce fut fini. Pourtant, je ne lâchai pas ma fidèle plume. Bien au contraire, je sortis un petit carnet que je gardais dans une poche intérieure de mon sac puis l'ouvris à une page blanche. Je cherchai alors un thème, un mot-clé qui libérerait toute ma créativité. Au bout de longues minutes de réflexion, j'écrivis « trahison ». S'en suivit alors d'intenses instants durant lesquelles la pointe de mon stylo grattait sur le papier, écrivant une suite de mot que j'espérais poétique avec une belle écriture cursive. Une fois satisfaite de mon travail, je relus mon texte :
Trahison
Amie perfide, tu me suis dans l'ombre,
Te délectes de mes supplications.
À l'affût tu restes, juge nos actions,
Puis nous rattrape lorsque l'on sombre.
Ainsi je sais bien que tout est fini,
Requiem posthume de mon bonheur,
Ne serait-ce que l'écouter m'écœure,
Pourtant il continue, à l'infini.
Ma rancoeur m'enchaîne, je suis prisonnière,
Ces liens, je le sait bien, je les ai forgés,
Seule moi peut espérer les briser,
Mais je reste là, face contre terre.
Puis je nage, dans ces belles émotions,
Colère et haine m'obnubilent tant,
Cachent à mes yeux ce qui est important,
Noyé sous l'encre rouge, l'aversion.
En relisant ce court poème, je me déçus. En effet, j'étais loin du niveau d'un poète de profession. Tout ce que je savais faire, c'était empiler des mots derrières les autres en respectant certaines contraintes, comme la musicalité des rimes. Cela, tout le monde en était capable, je le savais. Cette pensée me fit déprimer davantage. Décidément, l'écriture, ce n'était pas mon fort.
Un ami du collège, tenant toujours une asphodèle dans sa main, m'avait une fois complimentée sur mon style écriture, me disant que j'étais douée pour ça. J'avais d'abord été flattée et heureuse, bien sûr. Pourtant, en relisant mes textes, ce commentaire me découragea juste encore plus. J'avais beau revoir tous mes écrits, je ne voyais pas de quel « talent » il parlait. Seul le négatif se dévoilait à moi. Je ricanai alors à ce souvenir. J'avais été bête de croire ne serait-ce qu'un instant que j'avais un don. Je n'étais bonne qu'à répéter ce que l'on m'avait appris, rien d'autre.
Ayant fini d'écrire, j'éteignis ma lampe de chevet, que j'avais allumée au beau milieu de ma séance d'écriture. J'allai alors me brosser les dents et enfiler un pyjama confortable pour ensuite tomber dans les bras de Morphée. Entre cette « deuxième chance », mon rabibochage avec Jean, si je pouvais dire ça comme ça, et l'attention toute particulière de ma mère, je ne comprenais plus ma vie. Ainsi, j'étais éreintée et sentais que la journée de demain serait encore pire. Après tout, je serais à nouveau confrontée au fantôme de mon passé. Je m'endormis sur cette appréhension.
Mots : 1755
À suivre
Ça vous a plu ?
La suite mettra du temps à sortir mais vous pourrez la lire en avant première dans le Saut (magazine d'écriture) de Slimy48 tout comme B.T.E
Des théories ou autre ?
Bye ^^
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