9 | 'LES CHEVEUX DÉTACHÉS'
Après ce qu'il s'est passé ce soir là, Lucas ne m'avait plus adressé la parole. Nos insultes et disputes incessantes avaient cessé net, le seul vestige de notre haine commune étant de simples regards emplis d'éclairs dès qu'on se bousculait dans le couloir. À part ça, il m'ignorait complètement, et ne tenant pas vraiment à récupérer le caractère grognon et détestable que je m'étais forgé à force de rester à côté de lui, j'ai fait de même.
Ça faisait un mois maintenant que nos gamineries avaient cessé. J'ai toujours une attelle à la jambe suite à mon genou déboîté, et je suis encore incapable de participer aux cours de sport pour encore un bon mois et demi.
À force de rester éloignés l'un de l'autre, les rumeurs à notre sujet avaient fini par se tasser, pour disparaître aussi vite qu'elles étaient apparues. Les gens se lassaient vite de ce genre de ragots, et franchement, pour une fois je n'allais pas m'en plaindre.
D'après ce que j'ai entendu, le soir où il m'a ramené chez moi, mes parents auraient pété un boulon, ce qui est compréhensible. Je crois qu'ils n'ont jamais été aussi reconnaissants de l'existence de Lucas, même si au début, ils avaient bien cru que c'était lui qui m'avait mis dans cet état là.
Je crois d'ailleurs que ma mère lui a proposé de venir dîner à la maison avec sa famille, ce qui ne m'a pas rassuré, mais ce n'était rien de bien concret, et c'est vite passé en arrière-pensée.
En tous cas, bilan des courses : genou déboîté, quatre côtes fêlées et une commotion cérébrale.
Le CPE du lycée en a entendu parler, et mon père a même menacé de faire appel à un avocat s'ils ne réglaient pas ce genre de problèmes au plus vite. Coup du sort, le père de Lucas est avocat. Ma vie n'est qu'un enchevêtrement de coïncidences assez louches.
Titouan n'a d'ailleurs pas refichu un pied au lycée, comme l'avait prédit Lucas. Je ne sais pas exactement ce qu'il a fait pour le terroriser autant, mais je ne m'en plains pas non plus. Mes parents essayaient d'en discuter sans m'en parler, dans mon dos, probablement pour ne pas m'inquiéter, mais je crois qu'ils sont allés déposer une plainte à la police.
Alexandre s'en veut toujours autant de ne pas être resté, quitte à poser un lapin à son père, malgré le nombre incalculable de fois où je lui ai fait remarquer que même s'il avait été là, ça n'aurait pas changé grand chose.
Enfin ma vie est enfin redevenue comme avant, sans évanouissements tous les cinq jours ou blessures physiques assez conséquentes, sans bagarres constantes et rumeurs assez louches.
J'ai soupiré assez bruyamment, laissant ma tête reposer sur ma main, mon coude appuyé sur la rambarde du terrain de sport. À mes côtés, Brigitte détourna la tête pour m'observer.
— Qu'est-ce qui te fait soupirer ? s'inquit-elle.
Brigitte qui, quelques mois plus tôt, n'était qu'une simple copine, est devenue une de mes amies les plus proches. En même temps, passer tous les cours de sport seulement tous les deux à rien faire, ça rapproche. Oui, le petit détail, c'est que Brigitte est en fauteuil roulant.
— Rien. J'aime bien le football, j'aurais bien aimé faire avec eux, ai-je marmonné, déçu.
C'était vrai que la semaine précédente, après je ne sais combien de séances atroces d'accro-sport, en cours d'EPS, ils avaient commencé à faire du football. Et avec mon genou, il était clair que j'allais louper toute cette séquence.
— Vois plutôt ça comme deux équipes d'idiots qui courent après un ballon comme des chiens, me fit-elle remarquer en souriant.
— Pas tort, ai-je ris en tournant le regard vers elle.
J'ai remarqué que derrière ses mèches blondes qui lui retombaient sur le visage, elle avait l'air de se retenir de dire quelque chose.
— Qu'est-ce qu'il y a ? lui ai-je alors demandé, dans l'espoir qu'elle me raconte ce qui la troublait de cette manière.
Elle reprit ses esprits et fit la moue.
— Je n'ose pas vraiment te demander ...
— Ose toujours, avec moi tu n'auras jamais aucun problème.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Lucas ?
— Hein ?
— Vous ne vous parlez plus ... Ou plutôt vous ne vous disputez plus ... Ça fait vraiment silencieux, tu sais, de ne plus vous entendre vous chicaner. Il s'est passé quoi, le jour où tu t'es fait agresser ?
J'ai pris une inspiration, mon regard se tournant vers le garçon dont on parlait, qui venait de taper dans la balle avec force. Il avait l'air de vivre sa meilleure vie, à pouvoir exploser le pauvre gardien d'en face avec les boulets de canon qu'il envoyait – gardien qui se trouvait être Clara.
— C'est lui qui m'a sauvé, si je peux dire ça comme ça. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, j'étais inconscient, mais globalement, d'après lui, il aurait « cassé des nez ». J'étais un peu dans les vapes, et j'ai fini par être gentil avec lui et je lui ai posé des questions sur ses actuels sentiments pour moi. Ça n'a pas dû le mettre très à l'aise, je crois que je l'ai vu rougir quand je l'ai remercié.
Je ne voyais même pas le regard béat que me lançait Brigitte, comme si elle venait d'avoir une étincelle qui lui avait fait réaliser tout ce qui se passait entre moi et Lucas.
— Camille tu ... Lui et toi vous ...
— Hm ? j'ai finalement reporté mon attention sur elle, ne me doutant absolument pas des pensées qu'elle avait actuellement en tête.
Elle finit par secouer la tête en souriant.
— Laisse tomber. Tiens, d'ailleurs, s'il t'a défendu, est-ce que tu as réussi à le voir sans sa queue de cheval ?
— Hein ?
— Je me demande tellement à quoi il ressemblerait, les cheveux détachés !
— C'est un de tes fantasmes ? ai-je pouffé en grimaçant un peu.
— Tu n'en saurais rien !
Après un éclat de rire, j'ai fini par lui répondre.
— Non, quand j'ai rouvert les yeux, il venait de la refaire.
— Anh si proche et pourtant si loin du but ! gémit-elle comme une enfant, J'ai tellement envie de le voir les cheveux détachés !
Au même instant, on entendait Lucas jurer. Notre attention s'est alors portée sur lui, justement pour remarquer que son élastique venait de casser. Il le jeta par terre et passa une main agacée dans ses cheveux dans le but de les dompter vers l'arrière. J'étais tellement halluciné que je doutais que tout ça soit actuellement une coïncidence.
— Ouh mes désirs sont des ordres, je vois, rigola mon amie, On dirait un dieu grec, si seulement il n'avait pas un caractère aussi nul j'essaierai bien de me le faire !
Alors qu'elle continuait ses louanges, comme quoi elle comprenait mieux pourquoi il arrivait à se trouver une fille différente à embrasser à chaque pause déjeuner, moi, je ne l'écoutais que d'une oreille. J'étais trop obnubilé par lui.
Ses cheveux ondulaient un peu, seulement de quoi faire remarquer qu'ils n'étaient pas actuellement lisses et plutôt rebelles, et lui retombaient jusqu'un peu en dessous des épaules. Ses deux mèches teintées de bleu océan, contrairement à leur habitude de retomber sur son visage quand il tenait sa crinière en queue de cheval, étaient coiffées vers l'arrière, et retombaient vers la droite.
J'ai eu l'impression de ressentir comme une bouffée de chaleur, alors qu'on était en fin octobre – et en octobre, il pleut et il fait froid. Je me suis demandé si j'avais de la fièvre, mais les battements de mon cœur qui s'accéléraient au fur et à mesure que mon regard restait glué sur lui ne présageaient rien de bon.
Il a d'ailleurs dû sentir qu'il était fixé, parcequ'il a tourné le regard vers moi et a haussé un sourcil, se demandant probablement quel était mon problème. Et le véritable problème ici, c'est que je ne savais pas moi-même ce qu'il m'arrivait. Il finit par me faire un doigt d'honneur avant de repartir courir derrière le ballon. Je n'ai même pas réagi.
Ce n'est que quand Brigitte me frappa l'arrière de la tête que j'ai repris mes esprits, et au regard rieur qu'elle me lançait, j'ai craqué, et les joues rouges de honte, j'ai enfoui mon visage entre mes mains.
— Aaaaaah, ai-je geint, C'est pas de ma faute il est trop beau !
— Ohoh, je crois qu'un certain quelqu'un à côté de moi vient de réaliser quelques sentiments qu'il avait en trop pour une certaine personne.
— Tu rigoles j'espère ? l'ai-je contredit, immédiatement sur la défensive, Je ne suis pas du tout attiré par ce connard !
— Je suis on ne peut plus sérieuse.
Elle était pourtant hilare, trahissant son mensonge.
— Sérieusement, je pense que j'ai rarement vu quelqu'un avec de si grands cœurs dans les yeux.
— N'importe quoi, ai-je bougonné, pourtant, mon regard était toujours scotché sur Lucas.
— Ne te fiches pas de moi, tu recommences là !
— Écoute, Brigitte, je ne peux pas tomber amoureux d'un garçon juste à cause de sa coupe de cheveux.
— Je n'ai jamais dit que tu étais amoureux, juste attiré. Crois moi, il y a une grosse différence.
— Si j'étais attiré, je pense que je le saurais depuis longtemps.
— Ton corps le savait peut être mais ton cerveau refusait de l'accepter.
— Arrête de te la jouer psychologue, ça ne te va pas du tout, et ce que tu me racontes n'a aucun sens.
Elle haussa simplement les épaules avant de se mettre à encourager ses amies. Moi, je suis resté silencieux, perdu dans mes pensées et surtout vraiment confus, ne remarquant même pas le regard confus d'Alexandre à l'autre bout du terrain. Il me connaissait mieux que moi-même, et je n'étais pas préparé pour la conversation qui allait s'en suivre une fois qu'on serait rentré chez nous.
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