5 | 'SOUS LE DÉLUGE'

Deux autres longues semaines de cours se sont écoulées après ça. J'aimerais pouvoir dire qu'elles se sont déroulées sans accroc, seulement, ça n'a pas été le cas. Et ce n'était pas forcément la faute de Lucas.

Durant le premier cours d'EPS, le premier vendredi, dans les vestiaires, j'étais en train de me changer tranquillement en discutant avec Alexandre quand je m'étais fait agresser verbalement. Un garçon de ma classe qui n'avait probablement pas supporté le fait que je sois homosexuel. Titouan s'était exclamé qu'il était mal à l'aise que je me change entre les garçons, qu'il avait l'impression que je le matais et qu'en tant que pédé, il serait préférable que j'aille me changer avec les gonzesses. Sur le coup, même si ça m'a plutôt blessé qu'en 2020, il y ait toujours des gens si faibles d'esprits, j'ai préféré lui répondre que j'avais beau être homosexuel, je n'étais pas pour autant attiré par des abrutis qui font tâche qu'importe le lieu où ils sont.

Ce problème qui a enclenché la situation où je me retrouvais donc maintenant.

Titouan, énervé que je ne me mette pas à pleurer, s'est tourné vers Lucas pour qu'il l'aide à me démonter. On se détestait, à ses yeux, ça aurait été logique. Seulement, Lucas et moi, on savait très bien que dans nos disputes de gosses, il y avait des limites à ne pas dépasser. L'homophobie était un point. Les bagarres dans l'enceinte du lycée était le deuxième.

Parceque oui, le jour précédent l'incident dans les vestiaires, on s'était malencontreusement retrouvé à côté dans la file du réfectoire, et comble du comble, en dessert, c'était gâteau à la noix de coco. Vous vous doutez bien qu'on a pas arrêté de se charrier, d'abord sur ce sujet, puis sur toutes les insultes qu'on pouvait possiblement imaginer. Entre l'homme des cavernes avec son grand front et le pauvre type qui n'a jamais réussi à se faire respecter en tant que garçon, on avait fini par s'écraser notre nourriture dans le visage, jusqu'à se battre sur le sol comme deux idiots. Ça nous avait valu deux heures de travaux d'intérêts général le soir même (j'étais dans en charge de nettoyer le réfectoire, lui, les toilettes des garçons). Sachant que nos parents avaient été convoqués en plus de ça, il nous a fallu d'un seul regard le lendemain matin pour qu'on comprenne que se battre, tant que c'était pas dehors, c'était interdit.

Pour revenir à ce qu'il s'est passé dans les vestiaires. Lucas ayant catégoriquement refusé de commencer à me balancer des propos homophobes – après tout, lui-même était bisexuel, ça aurait été le comble, il est simplement resté sans rien dire, a fini de se changer rapidement et a claqué violemment la porte derrière lui en sortant. Je dois avouer que le voir ne pas prendre le parti de Titouan m'a fait me sentir étrange, et je ne saurais pas expliquer ce que j'ai ressenti à ce moment là.

Problème, depuis ce jour, les garçons de la classe ont cru qu'on ne se détestait pas vraiment, et qu'on flirtait juste ensemble depuis le début. C'est vrai, après tout, pourquoi ne m'aurait-il pas blessé quand il en avait réellement l'occasion ?

Les murs ont des oreilles, vous le savez tous, et bien vite, ces simples rumeurs se sont retrouvées partout dans le lycée à plus grande ampleur.

Maintenant, tout le monde croyait qu'on sortait ensemble, pour une quelconque raison.

En début d'année et en seconde, dans mon casier, je trouvais des lettres de filles qui me disaient qu'elles aimeraient bien apprendre à me connaître et ce genre de choses. Maintenant, je n'ai plus que des mots comme quoi elles trouvent mon couple absolument adorable. L'hypocrisie à son plus haut point, après tout on ne sort même pas ensemble, lui et moi. D'ailleurs, je crois que Lucas a plus de problèmes avec ces rumeurs. Lui que je voyais mélanger sa salive avec une fille différente à chaque pause, maintenant dès qu'il commençait à s'approcher d'elles, il se faisait soit gifler, soit repousser, soit disant « c'était une honte qu'il se comporte de cette manière alors qu'il a un petit ami ».

Je ris jaune.

Tout ça n'a pas vraiment amélioré notre relation déjà pas très agréable. Le pire, c'est qu'au final, je passe probablement plus de temps à entendre parler de lui que je passe de temps avec Alexandre – c'est à dire là globale totalité de mon temps au lycée.

J'ai fini par soupirer en entendant finalement la sonnerie retentir, me libérant d'une autre longue semaine de cours et du premier contrôle de l'année, me tendant ainsi les bras vers un weekend bien mérité. Je suis allé rendre ma copie puis suis sorti, sans attendre Alexandre. Ce dernier s'était excusé, et à ma grande surprise, s'était retrouvé embarqué en une sortie au cinéma avec une fille. Je l'avais bien taquiné sur le sujet durant la pause du déjeuner, ce qui m'avait valu un « ta gueule Monsieur Laguion ». Ça m'a beaucoup crispé, et ça a dû le faire bien rire de me charrier comme ça. Enfin du coup je me retrouvais à rentrer chez moi tout seul.

Moi qui avait d'abord été heureux de pouvoir finalement rentrer chez moi pour me reposer, mon sourire s'est complètement effondré en voyant le déluge dehors. Je n'avais pas pris mon parapluie, et en allant vite, ça me prenait une grosse demi-heure pour rentrer chez moi. Quelle arnaque, j'allais finir tout trempé et dégoulinant d'eau.

Je suis resté sans bouger quelques secondes, regardant le ciel grisâtre avec désespoir. Mes amis, eux, prenaient le bus, et ils avaient l'air de bien rire en voyant la météo qui me tendait les bras. J'ai fait une grimace à Ambre qui n'arrivait pas à s'arrêter de rire.

Pourquoi tu ne demandes pas à ton petit ami de partager son parapluie avec toi ? se moqua-t-elle avant de partir rejoindre son car sans que je puisse la réprimander pour ses remarques débiles.

J'ai quand même tourné la tête vers la gauche pour voir effectivement Lucas qui sortait son parapluie.

Le bougre.

Je l'ai fixé intensément du regard, ou plutôt l'objet de ma convoitise, et il dû d'ailleurs se sentir observé, vu qu'il tourna la tête vers moi, agacé.

Tu peux toujours crever Delbot, me cracha-t-il.

Je n'étais pas surpris pour deux sous de cette réponse. C'était Lucas dans toute sa splendeur. J'avais quand même vraiment besoin d'un parapluie. Seulement, s'abaisser au point de le supplier de me le prêter serait ridicule. Mon sourire s'est élargi sur mon visage alors que je me suis rapproché. Il prit un pas de recul en faisant la moue.

Dégage. Je sais pas à quoi tu joues mais dégage ou je te jure que tu vas te prendre mon poing dans ta face.

— Ne t'inquiètes pas, tu ne m'intéresse pas, ai-je rétorqué avant d'attraper son parapluie d'un geste vif et d'ensuite partir en courant.

Quand je disais que nos disputes étaient des embrouilles d'enfants, ce n'était pas une blague.

REVIENS ICI ENFOIRÉ ! pesta-t-il avant de me courir après.

Ses cris ont d'ailleurs attiré l'attention, mais j'ai ignoré les regards amusés des gens que je connaissais et j'ai continué à courir sous la pluie avec son parapluie.

Je ne savais pas qu'il courait vite, et j'ai dû me mettre à sprinter pour ne pas qu'il me rattrape. Je pouvais l'entendre me hurler dessus, et je n'étais franchement pas très à l'aise à l'idée qu'il m'attrape par le sac pour me faire tomber en arrière. Pour être totalement honnête, mes poumons me brûlaient et je ne sentais plus mes jambes. Je me demandais si j'allais pouvoir tenir encore longtemps à ce rythme, et surtout si lui était un monstre.

J'aurais dû aller tout droit chez moi, seulement, pour essayer de le semer, j'ai zigzagué un peu partout dans les ruelles, et j'étais maintenant totalement perdu dans la ville : malin Camille, bien joué.

Quand je suis arrivé dans le parc municipal, glissant à moitié dans l'herbe trempée, j'ai osé jeter un coup d'œil derrière moi. Malgré ses insultes incessantes qui me prouvaient qu'il était bien derrière moi, j'ai cédé à la tentation et ai regardé combien de mètres d'avance j'avais.

Probablement moins de cinq, et ça ne m'a pas rassuré, vu que j'ai fini par trébucher sur mon propre pied avant de tomber à la renverse. Le parapluie s'échappa de mes mains, et étant donné que l'autre idiot était assez proche de moi, il trébucha à son tour en essayant de s'arrêter, avant de me tomber dessus, la tête la première. Nos fronts se sont entrechoqués, les larmes me venant immédiatement aux yeux sans que je le veuille. C'était vraiment douloureux.

Aïe espèce d'idiot ça fait mal ! me suis-je plaint.

C'est le but enfoiré ! T'as tout ce que tu mérites !

Il disait ça, seulement lui aussi se tenait le front sous le coup de la douleur.

Ce n'est que là que j'ai remarqué qu'il était assis sur moi. En remarquant notre position étrange, je l'ai giflé.

Dégage enculé !

— C'est toi l'enculé ici, connard ! rétorqua-t-il en m'enfonçant son poing en plein visage comme vengeance.

J'ai senti le sang commencer à couler de mon nez et le goût métallique envahir ma bouche. J'ai craché un peu, tâchant ses vêtements au passage. Exaspéré, je lui ai donné un coup de genou, et on a commencé à rouler dans l'herbe tout en se ruant de coups et en s'insultant.

Je n'aurais jamais cru me battre un jour, et pourtant, voilà que j'étais en train de lui tirer les cheveux pour la deuxième fois en deux semaines. Il allait me faire passer du côté obscur, cet abruti. Il m'influençait beaucoup trop, et je le réalisais à peine.

Après ce qui me paraissait comme une éternité, ma tête commença à tourner et j'ai commencé à voir des points noirs. Je ne sais pas si c'était dû aux coups incessants que je recevais, à mon saignement de nez qui refusait de s'arrêter ou à l'épuisement de notre précédente course-poursuite, mais j'ai commencé à voir trouble, et j'ai bien senti que mes coups n'avaient plus aucun effet. Lucas eut d'ailleurs l'air de le remarquer, parcequ'il arrêta de m'enfoncer son poing dans mon ventre pour me regarder étrangement.

J'ai cligné des yeux, essayant de me redresser et de le pousser hors de moi, seulement, je me suis senti tomber en arrière d'un seul coup, les ténèbres m'engloutissant totalement.

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